« Depuis 1950, 70 % des haies ont disparu des bocages français. Sous l'effet conjoint du remembrement agricole et du déclin de l'activité d'élevage, la surface en haies et alignements d'arbres en France métropolitaine est en constante diminution, malgré les programmes de plantations (perte estimée à 23 500 km/an entre la période 2017 et 2021). » Tel est le triste constat effectué par une mission de hauts-fonctionnaires qui a remis son rapport au ministre de l'Agriculture en avril dernier.
Le nouveau programme de plantation présenté vendredi 29 septembre par Sarah El Haïry et Marc Fesneau, ministres en charge, respectivement, de la Biodiversité et de l'Agriculture, saura-t-il faire mieux que les initiatives précédentes ? C'est tout l'enjeu de ce « pacte en faveur de la haie » qui présente l'objectif ambitieux d'un gain net de 50 000 km d'ici 2030, sans commune mesure avec les 7 000 km de haies prévus dans le plan de relance de 2021. Ce linéaire devrait venir s'ajouter aux quelque 750 000 km de haies existants. Si l'ambition est saluée, en particulier par quatre associations de protection de l'environnement, l'initiative suscite toutefois des critiques de la part de ces dernières mais aussi d'organisations agricoles.
Approche globale et intégrée
« Ce pacte propose une approche globale et intégrée, portant sur toutes les haies, agricoles ou non, et concernant l'ensemble des maillons contribuant à leur valorisation, des pépiniéristes, au chauffage par bois-énergie, en passant par les propriétaires et gestionnaires des haies, et les organismes de conseil, notamment associatifs les accompagnant », précisent les deux ministres via un communiqué.
Les ministres annoncent également un chantier juridique, assorti d'un guichet unique afin de simplifier l'action des propriétaires et gestionnaires. « Il s'agit de sécuriser les gestionnaires de la haie par des règles clarifiées, harmonisées et intégrant le caractère dynamique de la haie, d'utiliser les documents territoriaux de planification, de permettre la territorialisation de certaines règles et d'appliquer la réglementation, de manière proportionnée et rigoureuse », détaillent-ils. Les associations ont toutefois quelques doutes sur les intentions du Gouvernement. « Nos organisations s'opposent (…) à tout assouplissement de la réglementation qui viserait à réduire la période d'interdiction de taille des haies en période de reproduction de la faune sauvage ou à simplifier les procédures d'autorisation d'arrachage », préviennent-elles.
Donner une valeur économique à la haie
L'initiative entend également donner une valeur économique à la haie grâce à une valorisation des produits et services qui en sont issus, en particulier la production de biomasse pour le bois-énergie. « Dans ce cadre, les démarches de labellisation de la gestion durable des haies seront encouragées », annoncent les ministres. « Les modalités de valorisation de la biomasse provenant des haies ne s'accompagnent pas de garanties suffisantes pour éviter leur surexploitation », alertent toutefois les associations de protection de la nature. « La certification des haies par le "Label Haie" est impératif si l'on veut que cette dépense publique soit pleinement efficace », appuie Bernard Chevassus-au-Louis.
Car le pacte passe aussi, et surtout, par un accompagnement financier à la plantation. Le Gouvernement annonce un budget de 110 millions d'euros pour 2024, qui viendra s'ajouter aux financement publics déjà existants. En complément, il mise sur « le développement de mécanismes de rémunération des aménités de la haie dont les crédits carbone » ainsi que sur l'intégration de ces écosystèmes « dans les mécanismes de compensation écologique ». L'initiative prévoit également de soutenir la production de plants et de graines « adaptés aux enjeux locaux de biodiversité et d'adaptation au climat futur ».
Un volet formation et conseil est également prévu. « Les acteurs de la haie seront (…) accompagnés à travers un renforcement et une professionnalisation du conseil et de l'expertise, notamment via un développement de la formation initiale et continue », annoncent également les ministres, qui comptent y associer les chambres d'agriculture et les associations.
Doute sur la remise en cause du modèle productiviste
L'initiative ne paraît toutefois pas finalisée, les deux ministres appelant les différents acteurs concernés à proposer des actions qui « alimenteront le plan d'action opérationnel » annoncé pour la fin de l'année. « Difficile de juger, régit ainsi la Confédération paysanne, puisque les fiches techniques qui déclineront les 25 actions identifiées ne sont pas connues. Ce sont elles qui diront l'ampleur et l'ambition de ce pacte. »
Le doute subsiste également sur la réelle volonté du Gouvernement de remettre en cause le modèle agricole productiviste à l'origine de l'éradication des haies. « Les politiques agricoles productivistes menées en Europe depuis la fin de la seconde guerre mondiale à grands renforts de pesticides figurent parmi les premières causes du déclin de la biodiversité », rappelle Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).
« L'urgence est à la préservation des fonctions écologiques et agronomiques des haies existantes, symboles de nos paysages », souligne ainsi Cécile Claveirole, pilote du réseau agriculture de France Nature Environnement (FNE). « Plus une haie est ancienne, plus elle est efficace », abonde la Confédération paysanne.
« Un pacte pour les haies avec des politiques publiques qui continuent par ailleurs de favoriser l'agrandissement des parcelles et des exploitations est une incohérence majeure, prévient le syndicat paysan. (…) Pourtant, les signaux du Gouvernement sont aujourd'hui bien plus favorables à une agriculture de firme, sans paysan.nes, qu'à un accompagnement massif et généralisé des paysan.nes dans la transition agroécologique et dans la durée ».
Le lancement, le 22 septembre, du plan « robotique agricole » par les ministres chargés de la Recherche et de l'Agriculture n'est pas là pour apaiser ces craintes.