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Actu-Environnement

« L'enjeu n'est pas de sauver la nature, mais de sauver l'Homme »

Louis de Redon, auteur d'une réflexion pluridisciplinaire sur les défis écologiques, préconise de protéger la nature avant tout pour sauver Homo sapiens. Il nous explique comment cela doit se traduire dans l'évolution de la règle de droit.

Interview  |  Gouvernance  |    |  L. Radisson
Droit de l'Environnement N°327
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°327
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« L'enjeu n'est pas de sauver la nature, mais de sauver l'Homme »
Louis de Redon
Auteur de l’ouvrage « Cessez le feu ! Traité de paix avec la nature »
   

Actu-Environnement : Dans votre ouvrage, vous faites passer le message que la transition écologique ne peut se faire sans l'Homme. Que voulez-vous signifier ?

Louis de Redon : On a un problème d'optique. À échelle humaine, les transformations environnementales se passent à une vitesse qui semble normale mais, à l'échelle des temps géologiques, on est sur des durées très très courtes. Il faut remettre un peu de focal. Ça ne sert à rien de vouloir renaturer la nature, car elle est déjà très impactée par l'Homme. Nous sommes dans l'Anthropocène. La seule chose que l'on risque, c'est de mettre un terme à cette ère géologique et disparaître, nous, avec nos cousins évolutifs que sont les autres mammifères. La nature, elle, s'en sortira, d'ici à quelques millions d'années. Ça peut paraître beaucoup à l'échelle de l'Homme, qui est apparu il y a 330 000 ans. Mais il reste plus de 4 milliards d'années au système solaire. L'enjeu n'est pas de sauver la nature, mais de sauver l'Homme. Il faut donc éviter d'avoir une approche manichéenne et misanthrope. Dans les systèmes anthropisés que l'on connaît aujourd'hui, il faut avoir une approche intégrative et l'Homme fait partie de la solution. Le mythe du retour à la nature n'est pas possible. Ce qu'il faut, c'est une véritable cohabitation Homme-nature.

AE : Comment analysez-vous les règles juridiques actuelles à la suite de ce constat ?

LdR : On a un droit qui se saisit de la nature pour la mettre sous cloche, dans une logique de conservation, alors que l'on est sur des systèmes profondément dynamiques. Si l'on n'intègre pas les enjeux du changement climatique, par exemple, on va dans le mur. Car on aura beau mettre une cloche dessus, l'écosystème sera amené à évoluer radicalement. Plutôt que des outils pour conserver strictement, il faut se mettre dans l'état de la science, c'est-à-dire permettre l'adaptation, et donc l'évolution. Or, le droit reste très conservationniste. Ce qui peut poser la question de son efficacité. Appliquer une photo finish à un système qui n'en est qu'à la moitié de sa course (le système solaire a déjà 4,5 milliards d'années) n'a pas de sens. Sinon un sens éthique, en disant que l'Homme ne doit pas faire disparaître d'espèces dites « patrimoniales ». Par exemple, le rhinocéros noir… Mais le rhinocéros noir n'a quasiment plus aucun impact sur les écosystèmes. Il a déjà été remplacé sur sa niche écologique.

AE : Le cadre juridique est-il donc inadapté à la dynamique de la nature ?

LdR : Il n'est pas satisfaisant. On peut le dire de deux manières. Premièrement, vu la dynamique du changement climatique, la rapidité avec laquelle la biodiversité disparaît, le niveau des pollutions, on peut faire un constat factuel. Si le droit était adapté et fonctionnait, on n'en serait pas là. Secondement, il y a le constat théorique d'un droit fragmentaire qui s'est construit par couches successives depuis le début des années 1970 sans réelle cohérence d'ensemble, même si la Charte de l'environnement l'a quelque peu structuré. Se dire « Qu'est-ce que la nature ? Que souhaite-ton préserver et protéger ? Où veut-on aller ? Comment on veut accompagner les changements, voire les bouleversements ? », ce sont des questions que le droit ne se pose pas. Le droit dit : « Là, on a une zone humide, elle est intéressante pour différentes raisons (pour la biodiversité, pour le stockage du carbone, etc.), donc je vais la conserver. » C'est très bien, mais il y a un risque que, dans cinquante ans, elle n'existe plus, malgré l'action du droit et à cause du changement climatique.

AE : Vous avez également toute une réflexion sur le droit de propriété. Quel est votre point de vue sur la question ?

LdR : La notion de propriétaire despote qui peut aller jusqu'à la destruction de son bien, c'est globalement terminé. Si vous êtes propriétaire d'une forêt, vous ne pouvez pas la raser, sauf autorisation et engagement de replantation. Cela est justifié par le fait qu'elle renferme une biodiversité qui fait partie du patrimoine commun de la Nation et qu'elle rend des services d'intérêt général, comme le stockage du carbone ou la prévention des risques naturels. Il s'agit donc de dire que, sur l'ensemble des biens (et pas que les forêts), il y a une dimension d'utilité publique. Mais, finalement, on n'en a jamais tiré les conséquences de manière systémique. On continue à afficher le droit de propriété tel qu'il existait en 1789, plutôt que de le repenser de manière macro : « C'est quoi posséder au XXIe siècle ? Est-ce le droit d'user et d'abuser de la chose ou est-ce le droit de l'utiliser rationnellement et la possibilité de rentrer dans un système de responsabilité ? C'est-à-dire de rendre le bien dans un état au moins aussi bon que celui dans lequel on l'a acquis ». Le droit de propriété n'est pas qu'un droit, son exercice est aussi constitué de devoirs.

AE : Que pensez-vous du mouvement qui entend donner des droits à la nature ?

LdR : En posant les bonnes questions, on a une partie de la réponse. Premièrement, qu'est-ce que la personnalité juridique ? Il faut déjà s'entendre sur ce que l'on met derrière cette fiction juridique. En droit, c'est un outil qui permet de rendre responsable les sujets de droit. En réalité, le débat qui s'installe fait la confusion entre le statut et le régime juridiques. Il n'est pas nécessaire de donner la personnalité juridique pour protéger quelque chose ou quelqu'un. D'ailleurs, la personnalité juridique peut aussi être source d'atteintes à la personne. Et certains régimes de biens permettent de les protéger, parfois strictement. Alors quel serait l'intérêt de soumettre un fleuve au droit ? On ne va pas lui interdire de déborder et d'inonder les alentours en causant des dommages ! Ceux qui seront responsables des dégâts, ce sont éventuellement les élus chargés de la gestion des milieux aquatiques qui n'ont pas assumé leur responsabilité en investissant dans une politique publique adéquate. Ce n'est certainement pas le fleuve.

La personnalité juridique, ça n'est rien d'autre que l'aptitude à être titulaire de droits et de devoirs. On peut revoir la personnalité juridique et en donner une nouvelle définition, tout est toujours possible, sauf que cela remet en cause les fondements mêmes de notre société humaniste. On questionne alors cinq cents ans de construction juridique et on rétablit la confusion entre les personnes et les choses. Ce qui est très dangereux.

Deuxièmement, là où l'on a donné la personnalité juridique à des entités naturelles, est-ce que ça va mieux ? Non, il n'y a eu aucun progrès notable, mais plutôt un recul par des atteintes aux droits de l'homme derrière, à l'exception peut-être de la Nouvelle-Zélande qui fait office d'exception dans le paysage. La question n'est donc pas de savoir comment trouver un statut juridique à la nature, mais comment appliquer un régime juridique protecteur efficace. Il ne faut pas se tromper de combat : l'urgence écologique nous condamne à réussir et surtout à ne pas perdre de temps sur de mauvais chemins. On a sauvé en France notre patrimoine historique et culturel. Pourtant, on n'a jamais donné la personnalité juridique aux monuments. Il n'y a pas de raison qu'on n'arrive pas à le faire avec la même ambition pour notre patrimoine naturel.

Par ailleurs, faire croire que donner la personnalité juridique à une entité non humaine est un ajustement juridique est un mensonge. C'est un changement de paradigme. C'est une révolution juridique. Cela doit être dit sous peine de passer à côté du vrai débat sous-jacent : celui de notre projet de société.

AE : Vous préconisez plutôt de valoriser ce qui a fonctionné. Qu'est-ce qui fonctionne et qu'est-ce qui doit être changé par rapport aux règles juridiques actuelles ?

LdR : Il ne faut pas hésiter à recourir à l'expérimentation et à territorialiser les solutions. Il y a une idée de décentralisation derrière tout cela. Sur le plan macro, il faut donc se poser la question du régime juridique de la nature, qui, aujourd'hui, n'existe pas. Je propose par exemple un principe d'indisponibilité, c'est-à-dire que l'indisponibilité devienne la règle, et le prélèvement l'exception. Aujourd'hui, c'est l'inverse : quand une espèce est arrivée dans un état tel d'indisponibilité, on la protège et on n'a plus le droit de rien toucher. On fixe un objet mouvant dont l'impact écologique a déjà réduit drastiquement, voire est annihilé. En effet, lorsque l'on en est là, l'espèce n'a déjà plus d'impact sur les écosystèmes ou presque.

Je répète qu'il faut rechercher de l'efficacité car la crise écologique va très vite. Et on ne peut pas se permettre qu'elle serve d'alibi pour mener d'autres combats. Il faut donc agir pour que l'Homme arrive à cohabiter avec la nature et que l'on ait un usage raisonnable et durable des ressources qu'elle produit. Que l'Homme quitte sa nature de chasseur-cueilleur, cette biologie de prédateur, pour revêtir le costume de citoyen responsable guidé par le droit et non plus par l'instinct. Le droit est là pour nous libérer de notre biologie. Mobilisons-le !

AE : Faut-il se limiter à la protection de la nature ou mettre également en place des règles de réparation des atteintes qui lui ont été portées ?

LdR : Il faut arriver aussi à restaurer, mais en prenant en compte les changements qui vont intervenir. Dans le renouvellement forestier, il est nécessaire de tenir compte de ce que sera la forêt dans cent ans. Mais selon que le niveau de réchauffement est à + 2, + 4 ou + 6 °C, on n'aura pas la même forêt en France. Cela oblige à ne pas mettre tous les œufs dans le même panier, à anticiper au maximum et surtout à expérimenter.

AE : Vous avez donc une vision assez pessimiste sur la bonne prise en compte des défis écologiques ?

LdR : Non, je ne veux pas être négatif, car on voit aussi que les choses avancent réellement dans le débat public et dans les faits. En tant que scientifique, ce n'est évidemment pas rassurant de regarder le mur qui se dresse devant nous. Mais ce qui l'est, c'est que la question environnementale est aujourd'hui prise en compte et qu'elle est désormais centrale dans la mise en place des politiques publiques. En dix ou quinze ans, elle est devenue un sujet sérieux, un sujet de préoccupation et un sujet d'action. Ce n'est plus un sujet accessoire. C'est une bonne nouvelle et cela nous met, aussi en tant que personnes, face à nos responsabilités au regard de la nature mais aussi, et surtout, des générations futures.

Réactions6 réactions à cet article

"L'enjeu n'est pas de sauver la nature, mais de sauver l'Homme." : c'est très exactement ce que disent des militants écologistes et des scientifiques depuis des lustres déjà. L'ouvrage de Rachel Carson Printemps silencieux, publié en 1962, porte déjà ce message (tient donc, il s'agissait alors déjà des dégâts des pesticides...). Il y en a bien d'autres.
Le problème de fond est que l'Homo nummarius n'a guère de considération pour les petits soucis existentiels des générations futures d'Homo sapiens et l'avenir de la biosphère.

Pégase | 13 novembre 2023 à 11h39 Signaler un contenu inapproprié

C'est marrant comme chacun voit midi à sa porte... Voilà un juriste, les problèmes se résoudront par le droit, CQFD... Certes l'angle d'attaque est nécessaire, mais ce n'est qu'un outil parmi d'autres, qui découlera d'une prise de conscience des acteurs réels, politiques et économiques, et des actions citoyennes. Et il faudra bien plus pour brider les appétits des prédateurs planétaires.

dmg | 14 novembre 2023 à 09h53 Signaler un contenu inapproprié

Excellente interview, excellentes réponses et sans doute très intéressant ouvrage. L'interview illustre tellement bien les paradoxes et les enjeux! "Que l'Homme quitte sa nature de chasseur-cueilleur... pour revêtir le costume de citoyen responsable guidé par le droit et non plus par l'instinct Le droit est là pour nous libérer de notre biologie. Mobilisons-le"..... "Si le droit était adapté et fonctionnait, on n'en serait pas là".... Quant aux solutions, il ne faut "pas hésiter à recourir à l'expérimentation et à territorialiser les solutions".... Est-ce suffisant? Les progrès sont certes réels, comme il est dit, mais face à l'urgence, qui a la recette? Il faut bien sûr utiliser des outils juridiques, techniques, scientifiques, économiques, de concertation, mais aussi faire appel à l'imagination et à des dépassements de clivages politiques et de concurrences dans les recherches de pouvoir.

Pasisimple | 14 novembre 2023 à 15h21 Signaler un contenu inapproprié

La bonne volonté doit toujours être encouragée, donc bravo pour ce bel optimisme donc ! Mais tout cela aurait sérieusement besoin d'être d'être approfondi. S'il n'y avait que la disparition du rhinocéros noir ou de la baleine bleue dans la balance, le raisonnement tiendrait peut-être… Je dis bien peut-être. Mais le pire dans la réduction de la biodiversité est ce qui ne se voit pas. Il a la vie dure le fantasme du contrôle de l'homme sur la nature sur le mode de "ce qui sert" ou pas. L'apprenti sorcier en nous tous n'est jamais bien loin. Un conseil de lecture : L'homme ou la nature d'Edouard Bonnefous (1970).

JMLESU | 14 novembre 2023 à 19h30 Signaler un contenu inapproprié

Bonjour dmg, Petite précision suite à votre post : l'approche de l'auteur est pluridisciplinaire, comme indiqué dans le chapeau. C'est moi qui ai fait le choix d'angler l'interview sur les questions relevant plus particuilèrement du champ juridique.

Laurent Radisson Laurent Radisson
15 novembre 2023 à 08h55
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La prise de conscience est là, mais elle ne va pas jusqu'à remettre en cause le modèle dominant d'exploitation de la Nature;on cherche actuellement (dans un premier temps donc) à maintenir ce modèle en l'adaptant...c'est voué à l'échec, car comme le dit votre intervenant les changements vont très vite , bien plus vite que prévu et surtout bien plus vite que ce que les décideurs voteront comme ajustements. Il faudrait carrément penser autrement : pour le moment et jusqu'à nouvel ordre (quand la planète se sera un peu calmée et que la biodiversité renaîtra, ce qui n'est pas pour demain) il n'y a qu'un seul et unique moyen de nous en sortir: la décroissance. Car la croissance verte n'existe pas. Or nos modèles occidentaux , que nous avons plus ou moins imposés et que bien des pays cherchent à imiter , sont basés sur la croissance. Nos économistes seraient bien venus de faire marcher leur cerveau pour imaginer des systèmes plus partageurs , plus égalitaires , qui éviteraient de devoir toujours gagner plus pour vivre mieux (donc croître).C'est tout à fait possible de vivre bien avec moins, mais pour ça il faut sortir l'argent des paradis fiscaux et changer de système économique. Ne plus concentrer les gens dans des métropoles, redonner du crédit à l'agriculture et à l'élevage paysans, éviter de faire circuler les marchandises et les humains...en un mot accepter de quitter le capitalisme débridé que nous connaissons, sans pour autant verser dans le communisme. Dur ? Oui!

gaïa94 | 16 novembre 2023 à 17h40 Signaler un contenu inapproprié

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