Un test de l'Association Agir pour l'environnement a mis un coup de projecteur sur la présence de microplastiques dans l'eau embouteillée. Une contamination non prise en compte pour l'instant dans le suivi réglementaire de l'eau potable.
Sept sur neuf : c'est le nombre de bouteilles d'eau dans lesquelles des microplastiques ont été retrouvés, à l'issue de tests commandés par l'Association Agir pour l'environnement. « Si elle s'appuie sur des méthodes d'analyses rigoureuses et reconnues, cette enquête n'a pas de visée scientifique, avertit l'association. Elle vise avant tout à donner un aperçu de la présence de microplastiques dans quelques eaux embouteillées fortement consommées en France ». Un constat qui est toutefois également partagé par différentes publications scientifiques.
Une contamination à causes multiples
Pour avoir une idée plus claire sur cette contamination, des chercheurs italiens ont analysé des travaux, publiés de 2010 à 2021 sur PubMed et Scopus, deux bases de données de publications scientifiques. Selon cette revue, la présence de microplastiques dans les eaux embouteillées s'explique par la contamination du milieu naturel mais également lors des étapes d'embouteillage puis de l'utilisation. « Tout au long de leur cycle de vie, les bouteilles sont soumises à différentes pressions telles que le pressage, le nettoyage, l'étiquetage, le transport, le stockage, l'exposition aux UV et les températures qui peuvent influencer la contamination aux microplastiques », notent les auteurs. Le bouchon en plastique joue également un rôle important dans la contamination aux microplastiques. Pour réduire cette pollution, certains, parmi les articles de la revue, préconisent l'utilisation de bioplastiques comestibles. Des industriels privilégient quant à eux les bouchons clipsables notamment pour éviter les frictions (et les abandons dans l'environnement).
Par ailleurs, des résultats de cette analyse posent des questions sur certains petits pas réalisés pour essayer de réduire l'empreinte du plastique, avec le recyclage. « En ce qui concerne les emballages en PET [Polytéréphtalate d'éthylène], le PET à usage unique a montré une abondance de microplastique inférieure à celle du PET recyclé, ont ainsi pointé les scientifiques italiens. Oßmann et al. ont souligné cet aspect en comparant les emballages PET recyclés les plus récents aux plus anciens. Ce dernier présentait la concentration de microparticules la plus élevée probablement causée par le vieillissement du matériau de la bouteille ».
Une surveillance des microplastiques inexistantes…
Pour bénéficier de la reconnaissance de la qualité d'eau minérale naturelle (EMN) ou d'eau de source (ES), les producteurs d'eau en bouteille doivent exploiter des aquifères en très bon état chimique et microbiologique. Ces derniers ne doivent pas être soumis à des pressions environnementales ou polluantes liées aux activités humaines. Les embouteilleurs doivent notamment démontrer ce point dans le dossier d'autorisation d'exploitation soumis au préfet.
Mais, pour l'instant, la réglementation ne prend pas en compte les microplastiques : aucun texte en France n'impose le suivi de ces polluants pour les eaux en bouteilles (comme l'eau issue du robinet d'ailleurs). Même s'ils peuvent être présents dans les eaux souterraines. « Les microplastiques les plus présents dans les eaux souterraines sont le polyéthylène, le polytéréphtalate d'éthylène et le propylène, composés également présents dans les eaux de boisson, eaux potables et du robinet, majoritairement sous forme de fibres et fragments », souligne les scientifiques du projet Missouri - qui a réalisé un état de l'art sur les microplastiques dans les sols et les eaux souterraines - coordonné par l'institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris).
Trois types d'eau embouteillées
Trois types d'eau peuvent être embouteillées : les eaux de sources, les eaux minérales et les eaux rendues potables par traitement. Les eaux minérales naturelles et les eaux de source sont exclusivement des eaux d'origine souterraine tandis que les eaux rendues potables par traitement, peuvent aussi provenir d'eaux superficielles. Ces eaux vont l'objet d'une réglementation spécifique. L'arrêté du 14 mars 2007 fixe ainsi les critères à respecter – notamment les seuils de qualité. Une attention particulière est donnée pour l'attribution de la mention « nourrisson ». Si ces limites de qualité ne sont pas respectées par exemple une présence chronique de pesticides dépassant les seuils, la source perd son statut d'eau minéral naturelle ou d'eau de source (seuil fixé à 0,10 µg/L pour la somme des pesticides et métabolites). Elle peut alors éventuellement être requalifiée en eau de source (limite alors de 0,10 µg/L par substance individuelle et 0,50 µg/L pour la somme des pesticides et métabolites pertinents) à la demande de l'exploitant, en fonction de sa qualité, voire être requalifiée en eau rendue potable par traitement (ERPT) si l'exploitant souhaite mettre en place un traitement de l'eau de la ressource comme pour un captage d'eau destinée à la consommation humaine alimentant un réseau de distribution d'eau.
Autre différence : si les eaux de source et eaux rendues potables par traitement devront respecter les orientations de la nouvelle Directive eau potable, les eaux minérales en revanche en sont exclues.
Le suivi des eaux embouteillées (eaux minérales, de source ou rendue potable par traitement) se concentre uniquement sur des paramètres microbiologiques, physicochimiques généraux, minéraux, des indicateurs de radioactivité et des paramètres organiques. Dans cette dernière catégorie, comme pour les eaux fournies par les réseaux de distribution, la liste des pesticides et de leurs métabolites à rechercher est fixée par les agences régionales de santé (ARS) en fonction des substances susceptibles d'être présentes. Toutefois, le changement d'approche pour sélectionner les produits, induit par l'instruction de décembre 2020, - ne concerne pas les eaux embouteillées. Une autre instruction devrait néanmoins leur être consacrée.
Sur cette base, les eaux embouteillées sont l'objet d'une surveillance par les producteurs et les distributeurs ainsi que d'un contrôle par les autorités sanitaires (ARS) depuis la ressource jusqu'au conditionnement de l'eau ou bouteille (ou en bonbonne).
…mais qui pourrait s'envisager dans le futur ?
Un texte pourrait - peut-être - remettre sur la table la question des microplastiques pour les eaux embouteillées issues d'eaux de sources ou rendues potables par traitement. Dans le cadre de la nouvelle Directive eau potable publiée au Journal officiel de l'Union européenne du 23 décembre 2020, la Commission européenne prévoit d'établir d'ici janvier 2024 une méthodologie commune pour mesurer les microplastiques dans l'eau. Avec l'idée de potentiellement les inscrire dans la liste de vigilance – pour laquelle une surveillance doit être prévue - … À la condition qu'ils soient considérés comme représentant un danger potentiel pour la santé humaine. Ceci en se basant notamment sur des travaux de recherche scientifique de l'Organisation mondiale de la santé. Et pour l'instant, cette inscription ne semble pas être à l'ordre du jour. Dans un rapport publié en 2019, l'OMS préconise en effet de continuer les travaux sur la question. « Il n'existe aucune étude sur les impacts des microplastiques ingérés sur la santé humaine et il n'existe qu'un nombre limité d'études animales dont la fiabilité et la pertinence est douteuse, estime ainsi l'OMS.Certaines données suggèrent une absorption et un impact très limités des microplastiques <50 µm chez les animaux de laboratoire à des concentrations élevées, mais la pertinence pour les humains est inconnue. Ces études doivent être confirmées dans des conditions d'exposition réalistes avant que des conclusions ne puissent être tirées ».
Des travaux de chercheurs du groupement Polymère et Océans, sur les conséquences de la pollution plastique sur les écosystèmes marins, interrogent toutefois sur les effets des nanoplastiques, notamment. « Les nanoplastiques peuvent se transloquer : ils passent la barrière digestive vers le foie ou le cerveau », avait notamment souligné lors d'un colloque de restitution des résultats, Ika Paul-Pont, écotoxicologue, chargée de recherche au CNRS, au laboratoire des sciences de l'environnement marin. « Associées à des études de transferts et d'exposition des écosystèmes et de l'homme, des recherches portant sur les valeurs seuils d'(éco)toxicité pour les écosystèmes, les organes et le corps humain à différents stades de développement sont indispensables », ont quant à eux souligné les partenaires du projet Missouri.
Du coté des embouteilleurs, la question des microplastiques se pose déjà pour certains mais le suivi n'est pas simple. « Plusieurs adhérents font déjà la recherche des microparticules de plastiques dans les eaux conditionnées, indique Antoine Cardon, délégué général du Syndicat des Eaux de Sources et des Eaux Minérales Naturelles. Aujourd'hui il n'existe pas de méthode normalisée pour réaliser ce type d'analyse ce qui rend très difficile voire impossible l'interprétation des résultats. Deux méthodes sont en cours de normalisation - normalisation à laquelle participent certains acteurs de la filière - et permettront de pouvoir comparer et interpréter les résultats ».
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Note Lire Occurrence of Microplastics in Tap and Bottled Water: Current Knowledge
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Note Télécharger une synthèse des résultats du projet MIcroplasticS in Soils and GROUndwater: sources, transfer, metrology and Impacts (Missouri) Plus d'infos
Note Télécharger le rapport de l'OMS Microplastics in drinking-water Plus d'infos
Note En savoir plus sur le groupement Polymères & Océans Plus d'infos
Note Composés recherchés : polyuréthane, polypropylène, polyéthylène, polyéthylène terephtalate
Note Germes aérobies revivifiables, bactéries coliformes, entérocoques, etc.
Note pH, température, paramètres organoleptiques, etc.
Note Aluminium, arsenic, calcium, fer, fluor, plomb, sulfates, etc.
Note Pesticides, trihalométhanes, hydrocarbures aromatiques polycycliques, etc.
Note Selon le syndicat des eaux de sources et des eaux minérales naturelles, chaque exploitant réalise une étude HACCP « d'analyse des dangers et points critiques pour leur maîtrise » pour chaque ligne d'embouteillage. C'est le résultat de l'étude HACCP qui permet de déterminer le plan de contrôle. « Le suivi bactériologique représente généralement une partie importante de ces plans avec la recherche des microorganismes repris dans la réglementation relative aux eaux de sources et au eaux minérales naturelles, indique-t-il De même pour la partie physicochimique ». Cet autocontrôle peut être fait sur site ou sous-traité à des laboratoires extérieurs.
Note Selon le rapport 2020 de la Direction général de la santé (DGS), depuis 2018, le taux de conformité des prélèvements d'eaux réalisés par les ARS au point de conditionnement de l'eau conditionnée oscille autour des 98 %. En 2020, les non-conformités l'étaient majoritairement d'origine microbiologique. Le reste concerne des paramètres minéraux (manganèse, nickel, bromate) présents dans la ressource ou issus des résidus de traitements comme de nettoyage et désinfection des installations. « Les non-conformités rencontrées en 2020 ont donné lieu à deux procédures de retrait de lots (sans rappel de lots). Parmi les mesures administratives prises par les services auprès des exploitants, on comptabilise une suspension d'activités », indique la DGS.Article publié le 28 juillet 2022