Haro sur le ciment. Ce liant utilisé pour la fabrication du béton fait l'objet de toutes les attentions tant sa fabrication émet de gaz à effet de serre, plombant ainsi le bilan carbone des bâtiments en béton. La recherche s'active donc à trouver des remplaçants à ce ciment si usité qu'il représente 7 % des émissions mondiales de carbone.
Vous avez dit remplaçant ? La start-up Carbicrete a trouvé un candidat. Cette société canadienne a développé une recette de béton sans ciment, lui préférant des laitiers d'aciérie. Avec cette option, le bilan carbone du béton chute rapidement, tandis que l'utilisation de résidus dessine une économie circulaire intéressante et confère des points bonus. Sauf que le mélange entre gravier et laitiers n'est pas réactif comme l'est celui à base de ciment. Il faut du CO2 pour activer la réaction chimique et obtenir un béton aux propriétés similaires au béton traditionnel.
Et c'est là que la recette gagne de nouveau des points : le béton devient « séquestrateur » de carbone. « Il y a beaucoup de technologies qui se développent dans ce domaine mais là, c'est un game changer », estime Gary Belisle, qui, après une carrière dans le béton traditionnel, vient de rejoindre Carbicrete en tant que directeur d'exploitation. « Et si aujourd'hui le carbone injecté est du gaz industriel, on imagine déjà injecter du CO2 extrait des fumées industrielles, voire de l'air ambiant », ajoute-t-il. Des perspectives qui n'ont pas manquées d'intéresser le groupe de matériaux Saint-Gobain et sa filiale de distribution Point.P.
Vers une fabrication Made in France
À l'occasion du salon Change Now qui s'est tenu fin mai à Paris, les deux acteurs ont signé un accord de coopération pour le marché français. Carbicrete va tester dans ses installations pilotes québécoises la fabrication d'un bloc béton avec des laitiers d'aciérie français. « La fabrication se fait dans des chambres de cure fermées, chauffées, à basse pression. On va devoir adapter nos chambres actuelles et en installer de nouvelles pour fabriquer les premiers blocs test d'ici à la fin de l'année », détaille Gary Belisle. L'idée est de produire un bloc béton similaire en tous points au produit phare de Saint-Gobain, le fameux parpaing, afin de conserver les habitudes des artisans. « On a vu des innovations échouer car elles ne respectaient pas le geste de l'artisan ; il faut que le geste soit similaire pour que l'artisan n'ait pas à tout changer pour passer au bas carbone », déclare Nicolas Godet, directeur général de Point.P.
Une ACV à confirmer
Une fois les tests de fabrication québécois concluants, les blocs seront envoyés en France pour une mise en œuvre sur des chantiers expérimentaux. L'objectif sera ensuite de convertir une usine française de Point.P pour lancer la fabrication Made in France, puis d'enclencher la commercialisation.
En parallèle, Point.P s'occupera de la phase essentielle de certification du produit pour sa mise en marché. Son avantage bas carbone sera déclaré à travers l'élaboration d'une fiche de déclaration environnementale et sanitaire (FDES), véritable carte d'identité environnementale des produits basée sur les résultats d'une analyse du cycle de vie (ACV). « Notre bloc aura un contenu carbone très bas, voire négatif, mais nous restons prudents car les règles de comptabilisation de la séquestration de carbone ne sont pas encore tout à fait fixées », explique Nicolas Godet. Selon les premiers calculs de Carbicrete, le bloc béton québécois de 17 kg aurait un bilan carbone compris entre - 0,5 et - 1 kgCO2 contre + 1 kgCO2 pour un parpaing traditionnel. Reste toutefois à valider officiellement ses chiffres.
En tout cas, tous les acteurs y croient. « Nous sommes aussi en train de défricher le terrain avec les administrations américaines et canadiennes, mais on voit qu'en Europe, il y a clairement une écoute attentive sur le bas carbone. On voit une ouverture qu'il n'y avait pas il y a dix ans », constate avec enthousiasme Gary Belisle. De quoi gagner en confiance dans le développement de cette technologie.