Depuis ce mardi 21 décembre et jusqu'au 11 janvier 2022, le ministère de l'Agriculture ouvre à la consultation publique deux projets de textes : un décret et un arrêté. Ils ont vocation à modifier le décret et l'arrêté du 27 décembre 2019 relatifs aux zones de non-traitement (ZNT) de produits phytosanitaires, précédemment en vigueur. Ils ont ainsi pour but de répondre à l'injonction du Conseil d'État de juillet dernier, lequel avait annulé partiellement les deux textes à la suite d'un recours déposé par un collectif d'associations (France Nature Environnement, Générations futures, UFC-Que Choisir, etc.).
Une décision controversée par les agriculteurs
Pour rappel, la décision du Conseil d'État reposait plus particulièrement sur le système de chartes d'engagement, censées fournir des dérogations locales allégeant les distances d'épandage sur approbation du préfet. La Haute Juridiction demandait au gouvernement qu'il modifie leur fonctionnement afin d'apporter davantage d'informations aux riverains. Elle jugeait, par ailleurs, insuffisante la protection apportée aux travailleurs et aux riverains, notamment concernant les distances minimales d'épandage fixées pour les produits suspectés d'être cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR de catégorie 2).
L'injonction du Conseil d'État a été mal accueillie par certains agriculteurs : à l'image de l'action perpétrée devant le Palais-Royal, le matin du 14 décembre dernier. « La mise en place de zones de non-traitement est contraignante pour les agriculteurs, a récemment confié Christiane Lambert, président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), à l'antenne lors de l'émission Télé Matin. Nous demandons une référence à la science pour définir la distance idoine et une compensation économique de la perte. »
Des chartes d'engagement encore trop peu contraignantes ?
Le projet de décret que présente aujourd'hui le ministère de l'Agriculture propose de renforcer le principe de chartes d'engagement locales par, d'une part, leur mise en « consultation publique la plus large possible ». D'autre part, il ajoute l'obligation de fournir des informations et les modalités de leur élaboration avant leur approbation par le préfet. Une fois la parution du décret, « d'ici fin janvier 2022 », les organisations et regroupements d'exploitants agricoles auront six mois pour mettre à jour les chartes d'engagement existantes.
Les informations en question ne seront néanmoins pas à fournir individuellement à chaque riverain, mais le gouvernement « encourage chaque territoire à choisir la solution la plus adaptée ». L'association Générations futures craint, sur ce point, des dérives de la part des utilisateurs de produits phytosanitaires. « Il devrait y avoir une circulaire qui précise ce que le gouvernement entend par "une information préalable à l'utilisation des produits", déclare-t-elle dans un communiqué. Les modalités de ces informations seront laissées à l'appréciation du préfet, qui va se trouver sous pression des organismes agricoles et risque fort bien de leur donner satisfaction avec une information a minima. » La FNSEA rejoint l'ONG sur ce point, appellant même à « une prise de responsabilité de l'État pour parvenir à sécuriser juridiquement des moyens de prévenance simples et réalistes ».
Un sursis pour les produits CMR de catégorie 2 ?
Enfin, s'agissant des distances minimales de non-traitement par des produits suspectés CMR, le gouvernement annonce « opter pour une approche fondée sur l'évaluation scientifique », rejoignant donc la demande de la FNSEA. Concrètement, il décide de s'appuyer à l'avenir sur les distances de sécurité fixées par l'Agence nationale de sûreté sanitaire (Anses) pour les produits concernés à chaque nouvelle autorisation de mise sur le marché ou à chaque autorisation mise à jour.
Il prévoit, dans cette optique, de procéder l'an prochain à « l'évaluation d'un maximum de produits CMR2 » résultant d'un « état des lieux » d'ici à octobre 2022, afin de « constater les situations d'impasse qui pourraient subsister et engendrer des pertes de production agricole afin de déterminer les modalités de compensation en cas d'impasse ». Dès le 1er octobre 2022, les produits dont la demande n'a pas été jugée recevable par l'Anses ne pourront plus être épandus à moins de 10 mètres des habitations (contre 5 mètres, précédemment, pour les cultures basses), comme le recommandait l'Agence.
« Cette mesure pourrait faire l'objet d'un nouvel arrêté après l'été 2022, soit après les élections et alors que les épandages iront bon train ! Pourquoi ce délai ? » s'insurge Générations futures. L'association s'inquiète surtout que le gouvernement s'en remette à un avis de l'Anses possiblement « plus favorable aux utilisateurs ». La FNSEA dénonce également cette mesure, qu'elle qualifie de « distorsion » de la réglementation en la matière : « soit la santé publique impose des distances de traitement et il faut qu'elles s'appliquent à l'identique sur tout le territoire de l'Union européenne, soit ce n'est pas le cas et il ne faut pas imposer de restrictions au seul territoire français. Dans un marché unique, il faut des règles uniques ! » Cependant, les organisations agricoles appellent plutôt à repousser la date du délai « pour permettre à tous les fabricants de déposer des données complémentaires à l'Anses ».
Des modificiations qui ne ravissent personne ?
En somme, pour l'ONG, malgré les modifications apportées, les deux textes facilitent non seulement les dérives, mais esquivent également la question principale : l'augmentation stricte des distances minimales d'épandage de pesticides, en particulier de type CMR2. « Les textes mis à la consultation publique censés répondre aux injonctions des hautes juridictions ne sont pas à la hauteur et le gouvernement passe encore une fois à côté de l'essentiel : la protection réelle et efficace des populations vulnérables. » La FNSEA, quant à elle, regrette que la question de la compensation financière ait été « à peine effleurée et limitée aux situations d'impasses » : « c'est incompréhensible de ne pas tenir compte des conséquences économiques de cette réglementation ! »