« Mon prochain Premier ministre sera directement chargé de la planification écologique, parce que cela concerne tous les domaines, tous les secteurs, toutes les dépenses, tous les équipements, tous les investissements, bref toutes les politiques », déclarait le candidat Emmanuel Macron lors de son meeting de Marseille dans l'entre-deux tours de l'élection présidentielle. Réélu, le chef de l'État doit maintenant traduire cet engagement à travers la nomination d'un nouveau Premier ministre et montrer qu'il s'agit plus qu'un simple clin d'œil adressé aux électeurs de Jean-Luc Mélenchon qui avait proposé cette approche.
Le rapport que publie France Stratégie, ce dimanche 8 mai, arrive à point nommé. Cette institution autonome placée auprès du Premier ministre, et dont l'actuel haut-commissaire au Plan peut disposer, dévoile une stratégie sur la soutenabilité et la planification de l'action publique permettant de « concilier enjeux environnementaux, sociaux et démocratiques ».
Si ce rapport résonne particulièrement avec l'actualité immédiate, il est toutefois le fruit de deux ans de travaux engagés après la crise des Gilets jaunes. Une crise qui « a révélé que la puissance publique n'était pas bien outillée pour réussir la politique de transition écologique de manière qui soit socialement juste, et reconnue comme démocratiquement légitime », explique l'organisme d'analyses et de prospective. Outre la définition d'une « stratégie nationale de soutenabilité » et la mise en place d'un « continuum délibératif », les auteurs du rapport préconisent la création auprès du Premier ministre d'un « orchestrateur des soutenabilités ». Une proposition qui pourrait donner corps à la promesse d'Emmanuel Macron, même si France Stratégie précise que les opinions exprimées dans ce rapport n'engagent que leurs auteurs.
Réformer la fabrique de la décision publique
« La "fabrique de la décision publique" doit être réformée », résume Gilles de Margerie, commissaire général de France Stratégie. Une instance permettant de s'assurer de la cohérence des actions menées avec les objectifs de long terme, et d'orchestrer l'articulation de ces actions entre elles, serait mise en place auprès du Premier ministre, explique-t-il. « Cette cohérence et cette bonne articulation devraient être démontrées de manière probante vis-à-vis des objectifs fixés par la loi en matière de changement climatique, objectifs dont la mise en œuvre est désormais contrôlée par les juges. De nombreuses modalités sont envisageables pour y parvenir : il faut les explorer vite. Le début d'une nouvelle législature est le bon moment pour le faire », avertit M. de Margerie.
En ce qui concerne la mise en place d'un continuum démocratique, les auteurs recensent les différentes propositions qui sont remontées dans les débats menés depuis deux ans. Qu'il s'agisse de propositions ambitieuses visant à donner une compétence normative aux citoyens : chambre permanente du futur, assemblées primaires de citoyens, poursuite de la réforme du Conseil économique, social et environnemental (Cese), référendum d'initiative citoyenne (RIC), etc. Ou de propositions de recourir plus fréquemment à des dispositifs déjà expérimentés comme les conventions citoyennes, les jury citoyens ou les instances consultatives existantes. « La capacité de légitimation d'une stratégie de long terme par ce type de dispositifs, tout au long de son déploiement, nécessite en tout état de cause le respect d'un certain nombre de conditions », explique le rapport. Parmi celles-ci, un portage politique fort du processus ou l'absence de décision prise subrepticement durant le temps du débat.
Orchestrer les soutenabilités
Pour orchestrer les soutenabilités, France Stratégie a identifié sept fonctions permettant de les prendre en compte dans « la fabrique des politiques publiques ». Parmi celles-ci figure l'alerte « en temps réel » sur les risques d'insoutenabilité et les potentiels conflits de cohérence des politiques, l'accompagnement des administrations dans la rédaction de feuilles de route ministérielles, l'étude d'impact des lois et décrets ou encore le contrôle de l'effectivité de la participation du public.
Le rattachement au Premier ministre d'un homme orchestre de la soutenabilité pourrait permettre une forme de mise en œuvre de l'annonce d'Emmanuel Macron. « Ce rattachement au Premier ministre présenterait l'intérêt d'une position symbolique surplombante et systémique par nature, théoriquement à l'abri des intérêts purement sectoriels et bénéficiant du poids politique de l'autorité centrale, y compris pour orienter des ressources (financières et techniques) », expliquent les auteurs de l'étude.
Pour mettre en place cette organisation, une loi organique, destinée à compléter la Constitution, permettrait de fixer le cadre général de la nouvelle organisation de l'État, de manière à assurer sa pérennité au-delà des changements de majorité, et de déterminer les grands principes de l'action publique. « Elle préciserait notamment de quelle façon ces grands principes doivent être déclinés dans la loi de "programmation" quinquennale », détaillent les auteurs.
« La boussole de tous les ministères »
Reste à voir ce que le président réélu va faire de ce mode d'emploi mis à sa disposition. En tout état de cause, le fait de donner une compétence au Premier ministre sur les questions d'écologie semble être plutôt bien perçu. « Cette transversalité qui sera ainsi donnée à l'écologie est une bonne chose pour aller au-delà des mots, à condition que la transition écologique soit réellement la boussole de tous les ministères, les faiblesses et limites du ministère de l'Écologie – le "ministère de l'impossible" - ayant été montrées et démontrées depuis longtemps », analyse France Nature Environnement (FNE).
Une transversalité que trois anciens ministres de l'Environnement, interrogés par Libération, appuient également de leurs vœux. « Il faut savoir aussi ce qu'on veut mettre dans cette planification écologique, nuance toutefois Corinne Lepage. Selon moi, il faudrait que dans chaque ministère, il y ait un contrôleur de l'Écologie sur le même modèle que le contrôleur de Bercy. Sans son aval, pas de dépenses ». Et sa successeure, Dominique Voynet, de conclure : « In fine, un Premier ministre en charge de la Planification écologique, pourquoi pas. Mais il faut quelqu'un qui soit convaincu. »