« Face à la brutalité de la crise, la France a apporté une réponse rapide massive et efficace. Nous avons mis sur la table 460 milliards d'euros (Md€), soit 20 % de notre richesse nationale pour protéger les entreprises et les salariés », a déclaré Bruno Le Maire ce 10 juin devant la commission des finances de l'Assemblée nationale. Quelques heures avant, le ministre de l'Économie avait présenté le troisième projet de loi de finances rectificative (PLFR 3) de l'année en Conseil des ministres.
Les plans de soutien aux secteurs les plus touchés par la crise visent à soutenir la demande, la trésorerie des entreprises, accélérer leur numérisation, mais aussi « encourager l'innovation et décarboner notre économie », assure le locataire de Bercy. Plusieurs ONG dénoncent, de leur côté, l'absence de contreparties écologiques et sociales fortes dans les soutiens accordés, de même que la faiblesse des financements consacrés à une nécessaire accélération de la transition écologique.
Stratégies conformes à l'Accord de Paris
Alors qu'une récession de -11 % est prévue pour 2020 et que Bruno Le Maire fait un parallèle avec la crise de 1929, ce dernier annonce le renforcement des dispositifs d'urgence en faveur des salariés et des entreprises pour atteindre 31 Md€ pour l'activité partielle et 8 Md€ pour le fonds de solidarité pour les très petites entreprises. Le projet de loi prévoit également une exonération de cotisations sociales patronales pour un montant de 3 Md€, ainsi que des remises pour les petites entreprises ayant subi une perte d'activité supérieure à 50 %. « Toutes les entreprises pourront par ailleurs bénéficier d'étalement exceptionnellement long, jusqu'à 36 mois, pour payer les cotisations reportées », annonce aussi le Gouvernement.
« Accorder des financements pour payer des salaires et éviter que la crise sanitaire se transforme immédiatement en crise sociale paraît essentiel. Il est cependant déconcertant que le Gouvernement priorise la sauvegarde des activités des secteurs polluants tout en communiquant sur des améliorations environnementales », réagit le Réseau Action Climat (RAC) qui fédère 32 associations. Ce dernier demande que les grandes entreprises soient soumises à des stratégies climatiques conformes à l'Accord de Paris, assorties de sanctions (remboursement de l'aide + amende + interdiction de verser des dividendes) en cas de non-respect.
Éco-conditionnalités limitées
Le PLFR 3 prévoit également le financement des plans de soutien sectoriels annoncés par le Gouvernement : 15 Md€ pour l'aéronautique, 8 Md€ pour l'automobile, mobilisation de 18 Md€ pour la filière tourisme ou encore de 700 M€ pour les startups et entreprises technologiques. Le RAC dénonce l'absence de réelles contreparties. Dans l'aérien, l'ONG pointe les faibles investissements dans les avions dits « zéro carbone » et les éco-conditionnalités limitées imposées à Air France, alors que des mesures ambitieuses de réduction du trafic aérien s'imposaient selon elle. Pour l'automobile, le réseau critique un soutien au déstockage de véhicules thermiques neufs en lieu et place d'une nécessaire réforme de la fiscalité automobile permettant d'accéder à d'autres solutions de mobilité.
« On continue à faire pleuvoir de l'argent public en mettant sur la table des plans de relance massifs en faveur d'industries climaticides, comme l'automobile et l'aérien, sans rien exiger de concret en retour pour faire baisser les émissions de gaz à effet de serre », résume Clément Sénéchal, porte-parole politiques climatiques de Greenpeace France.
Flécher les investissements des collectivités
Le vaste plan de soutien du Gouvernement ne s'adresse pas qu'aux entreprises mais vise également les collectivités territoriales pour un montant de près de 4,5 Md€. Un milliard d'euros supplémentaires, à travers la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), est prévu pour les collectivités qui contribuent « à la résilience sanitaire, à la transition écologique ou à la rénovation du patrimoine public bâti et non bâti ».
Lancement de grands travaux écologiques
Le RAC relève aussi l'objectif du Gouvernement de viser la croissance de la vente de biens et de services pour augmenter l'assiette de la TVA. « Il est (…) incohérent de vouloir "décarboner l'économie" (…) pour lutter contre le changement climatique, tout en cherchant à augmenter la consommation de façon indiscriminée », pointe l'ONG.
« Nous comptons sur les parlementaires pour faire porter leur voix plus loin que celle des lobbies lors de la discussion à l'Assemblée nationale, et rendre ce texte compatible avec l'urgence climatique », lance Clément Sénéchal de Greenpeace France. Un appel qui devrait être bien accueilli par les députés du nouveau groupe Écologie Démocratie Solidarité (EDS) qui a présenté ses priorités pour le PLFR 3 dès le 9 juin. Parmi celles-ci figurent le lancement de grands travaux écologiques, la reprise de la dette des agriculteurs qui se convertissent au bio, le soutien au secteur ferroviaire, ou encore l'instauration d'une réelle éco-conditionnalité des aides aux secteurs aéronautique et automobile.
Reste à voir si leurs collègues députés seront sur la même longueur d'onde lors de la discussion qui va s'ouvrir le 23 juin en commission, puis la semaine suivante en séance publique.