Empreinte carbone plus importante, émissions de particules fines plus nombreuses en raison d'une abrasion plus forte des pneus et des freins... Les SUV électriques, pourtant plébiscités par les usagers, font déjà l'objet de critiques de la part de nombreux spécialistes de l'environnement, comme l'Agence de la transition écologique (Ademe) ou l'ONG Transport & Environment. Publié jeudi 9 novembre, avec l'appui de l'Institut Mobilités en transition, de l'Ademe, du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), un rapport du WWF, « Métaux critiques : l'impasse SUV », lance une nouvelle pierre dans le jardin de ces trop lourds véhicules, en s'intéressant cette fois à leurs besoins en cuivre, lithium, nickel et cobalt.
Autant de matériaux dont le coût social et environnemental d'extraction laisse d'ailleurs beaucoup à désirer... Or dans ce domaine, les demandes des SUV électriques sont beaucoup trop importantes pour le WWF. Selon les calculs de l'ONG, ces derniers consomment jusqu'à trois fois plus de cuivre et d'aluminium qu'une petite citadine à batteries et jusqu'à cinq fois plus de lithium, de nickel et de cobalt. Ils totalisent aujourd'hui 41 % des ventes sur le marché de l'électrique et la demande continue de s'envoler. Une voiture électrique consomme déjà en moyenne 2,2 fois plus de métaux critiques qu'une voiture thermique.
Des tensions sur le marché
La France prévoit de fabriquer un million de ces véhicules d'ici à 2027. Mais l'Hexagone n'est pas le seul pays à vouloir investir le marché et à convoiter ces ressources. En 2040, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), plus de 50 % des besoins en matériaux critiques liés à la transition, dans le monde, seront dus à la production de telles voitures. Le développement des énergies renouvelables et du réseau électrique en nécessitera 35 à 45 %, le reste des technologies vertes 5 %. Pour le secteur électrique, le recours aux métaux critiques pourrait déjà quadrupler à cette échéance. Mais pour les transports, la demande en lithium devrait être multipliée par 42, les besoins en cobalt par 21, ceux en nickel par 19.
« La transition écologique a besoin du véhicule électrique qui émet trois fois moins de gaz à effet de serre qu'un véhicule thermique. Là-dessus, le consensus est absolu, analyse Jean Burkard, directeur du plaidoyer au WWF France. Le problème, c'est sa taille qui continue de progresser. » Exceptée la Dacia Spring, relativement légère, les SUV électriques pèsent en moyenne 312 kg de plus que les autres modèles électriques. S'il est impossible de se passer de métaux critiques, il est au moins envisageable d'en contrôler la demande, en commençant par alléger les modèles, estime le WWF. « Pourquoi, par exemple, fabriquer une Tesla Model Y, modèle le plus vendu et qui le sera encore en 2023, quand on peut fabriquer, avec la même quantité de métaux critiques, trois Twingo électriques ? »
> Les métropoles abritent 43 % de la population, mais totalisent 33 % des déplacements en voiture. En milieu rural, 91 % des déplacements s'effectuent en véhicules individuels.
> La part modale de la voiture en France a baissé de 2 % ces cinq dernières années, ce qui correspond à - 8 % en zones urbaines (+ 30 % pour le vélo en 2022), mais à une progression de 10 % en zones rurales.
Une analyse prospective
Afin de fournir des éléments de réflexion aux pouvoirs publics et de l'aider notamment à identifier les différents leviers d'action à sa disposition (distance parcourue, report modal, covoiturage, taille des voitures et des batteries), l'Institut Mobilité en transition a élaboré trois scénarios pour 2035, ensuite traduits en demandes de matériaux.
Le premier scénario, baptisé « laisser-aller », se base sur la poursuite des tendances actuelles : une augmentation de la mobilité routière, avec une part modale de 76 % pour la voiture, mais aussi de la taille et du poids des véhicules, et notamment une part de marché des SUV à 65 % en 2035. Le deuxième, « intermédiaire », part du principe que les politiques publiques stabiliseront la demande, permettant une réduction légère de la dépendance à la voiture individuelle (66 % de part modale), un taux d'occupation des véhicules plus important et moins de SUV vendus (45 %). Le troisième scénario « sobriété » se construit sur une réduction plus importante de la dépendance à la voiture (- 6 % de distances parcourues, 38 % de parts modales pour les transports publics) et des SUV (20 %), un taux d'occupation en augmentation, accompagné du développement des solutions de transport alternatives : accès plus large au train, petits véhicules plus efficients et vélos notamment.
La sobriété encore et toujours
Résultats : pour répondre à la demande en déplacements, il faudrait fabriquer huit fois plus de batteries en 2035 qu'en 2022 dans le cas d'un scénario « laisser-aller », soit 138 GWh, au lieu de 17 GWh actuellement, alors qu'un scénario « sobriété » permettrait de n'en produire que 83 GWh. Cela correspondrait, dès 2030, à 7 000 tonnes de lithium, 29 000 tonnes de nickel, 3 000 tonnes de cobalt et 55 000 tonnes de cuivre. En prenant en compte les besoins liés aux autres usages (camionnettes, poids lourds, stockage stationnaire, ordinateurs, smartphones, etc.), la France consommerait alors en moyenne 2,7 % des capacités mondiales d'approvisionnement primaire en métaux critiques, quand son poids démographique dans la population mondiale n'est que de 0,8 %, pour 2,3 % du PIB planétaire.
L'inversion de la montée en gamme des véhicules électriques, levier particulièrement efficace, permettrait au contraire, à elle seule, de réduire de 17 % les besoins en matériaux critiques. Le développement du covoiturage et le report modal favoriseraient pour leur part une diminution de 14 % de cette demande, tandis que la décroissance des distances parcourues en retrancherait 9 %. Associer la dé-SUVisation du marché à la multiplication des autres solutions de mobilité abaisserait de 35 % la quantité de cuivre recherchée et de 40 % la quantité totale de lithium, nickel et cobalt à extraire du sol en 2035.
Une ligne malus-bonus à bouger
Cette approche permettrait même à la France de préserver une forme d'indépendance et de devenir exportatrice nette de lithium sur la décennie 2030-2040, par la vente de 11 % de sa production en provenance de l'Allier et de l'Alsace. Au cours de la décennie 2030, la mise au rebut des premiers véhicules électriques et leur recyclage rendront par ailleurs possible une diminution de 11 % des besoins en métaux critiques. Un progrès a ajouter à une amélioration de la composition chimique des batteries, moins gourmande en cobalt et en nickel.
Fort de ces analyses, outre les efforts en matière de sobriété et de report modal, le WWF appelle donc le Gouvernement à modifier sa politique de malus-bonus. L'ONG propose de décourager la vente des modèles électriques les plus lourds, via un malus poids spécial de 5 euros par kilo au-delà de 1,6 tonne pour chaque voiture vendue, et de réserver le bonus écologique (jusqu'à 7 000 euros aujourd'hui) aux seules voitures électriques pesant moins de 1,6 tonne, au lieu de 2,4 actuellement. « C'est de l'ordre du décret », précise Jean Burkard.
Ce nouveau poids serait suffisant, selon l'ONG, pour inclure une batterie de 50 kWh, elle-même capable de couvrir largement les besoins des automobilistes : 200 kilomètres par semaine en moyenne. En 2022, plusieurs modèles se maintenaient déjà sous la barre de 1,6 tonne, souligne le rapport : la Renault Twingo, la Peugeot 208 et la Renault Zoé, pour les françaises, la Volkswagen UP!, la Fiat 500 et l'Opel Corsa, pour les européennes. Le WWF propose toutefois la mise en place d'un régime spécial pour les familles nombreuses.