Ce jeudi, la commission d'enquête relative aux coûts de la filière nucléaire de l'Assemblée nationale a rendu son rapport. S'agissant de l'arrêt, du prolongement ou du renouvellement du parc nucléaire français, "les pouvoir publics doivent prendre leurs responsabilités". C'est, selon Denis Baupin, le principal message adressé au gouvernement par la commission. Le rapporteur de la commission résume ainsi la première des cinq recommandations relatives aux enjeux énergétiques et industriels globaux. "La commission a pris acte des informations [relatives au prolongement de la durée de fonctionnement des réacteurs au-delà de 40 ans] qui lui ont été transmises et de l'attente, de la part des entreprises, de politiques claires afin d'engager certains investissements", indique cette première conclusion, ajoutant qu'"il revient aux pouvoirs publics de définir le cadre stratégique énergétique permettant de réduire les incertitudes pesant sur la filière". Il convient donc de tracer au plus vite la voie qu'entend prendre la France en matière énergétique, alertent les députés.
Globalement, le rapport n'apporte pas de grandes nouveautés, mais les 16 recommandations formulées dressent un panorama quasi-exhaustif des enjeux globaux et des questions plus spécifiques à la filière nucléaire française. Finalement, François Brottes (SRC, Isère) juge que certains points du rapport "pourraient faire consensus" entre les membres de la commission qui réunissait pro et anti nucléaires. Le président de la commission pense notamment à l'existence de coûts incertains, voire sous évalués, mais pas cachés, à la hausse du coût de revient de l'électricité nucléaire liée, entre autres, à l'allongement des arrêts de tranche du parc d'EDF, à un coût global évalué à 62 euros du mégawattheure (MWh), et à l'existence de deux "zones d'ombres" concernant l'enfouissement des déchets et la difficulté "à rationnaliser le risque nucléaire".
Réduire la vulnérabilité du système électrique français
Au-delà de sa première recommandation, le rapport aborde quatre autres enjeux globaux. En premier lieu, il revient sur le risque de défauts génériques qui contraindrait l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) à fermer simultanément plusieurs réacteurs français. Le sujet n'est pas nouveau, mais la commission "estime nécessaire de renforcer la robustesse du système électrique national en réduisant sa vulnérabilité aux aléas techniques (avaries génériques, etc.) liée à la prépondérance d'une même technologie et d'un parc de production très homogène". Et d'ajouter que l'engagement de François Hollande de réduire à 50% la part du nucléaire dans la production électrique française "contribue à ce rééquilibrage".
Autre sujet important aux yeux des députés : la difficulté d'accès à une information fiable sur certains sujets. Il est donc "indispensable que l'Etat se dote d'outils et d'instances d'expertise globale de la politique énergétique, organisant de façon pérenne et pluraliste l'évaluation, la comparaison technico-socio-économique des orientations et scénarios énergétiques, la comparaison des différentes filières en prenant en compte l'ensemble de leurs apports et de leurs coûts globaux, y compris leurs externalité induites", plaident les élus qui devraient être entendus puisque le futur projet de loi de transition énergétique devrait prévoir la création d'une telle commission.
Les deux dernières recommandations générales concernent le modèle économique de la transition énergétique et les industries électro-intensives. Sur le premier point, les députés souhaitent voir émerger des champions nationaux et appellent pour cela à "la mise en place de business models robustes et durables". Sur le second point, le rapport s'inquiète de la hausse des factures des très gros consommateurs d'électricité et se félicite de la décision de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) de réduire de moitié le coût de l'acheminement de l'électricité pour une soixantaine de sites industriels. La commission "souhaite que cette décision soit pérennisée dans la loi".
Prolongation, démantèlement et déchets : des coûts à préciser
Quant aux onze recommandations plus spécifiques à l'industrie nucléaire, le rapport passe en revue l'ensemble des principaux sujets d'inquiétude.
S'agissant des coûts futurs, la commission insiste surtout sur les incertitudes, voire les sous-estimations. En l'occurrence, elle a semble-t-il porté plus de crédit à l'évaluation du coût de la prolongation du fonctionnement des réacteurs français au-delà de 40 ans réalisée par la Cour des comptes (110 milliards, pour l'ensemble du parc) qu'à celle présentée par EDF (55 milliards). Quant au stockage des déchets, il devient urgent d'avoir "un coût entériné par les pouvoirs publics", estime le document. Aujourd'hui, explique le rapporteur, celui-ci varie de 14 à 28 milliards d'euros et les provisions des opérateurs sont calculées à partir du chiffre le plus faible. Détail important, la commission "estime que la recherche sur l'entreposage en subsurface de longue durée devrait être conduite en parallèle" et que le choix final entre entreposage et enfouissement revient au Parlement. Pour assurer le financement de ces dépenses futures, la commission "soutient (…) la demande de la Cour des comptes de mettre fin aux dérogations successives au droit en ce qui concerne les actifs dédiés". Elle considère aussi que ces provisions devraient être placées auprès de la Caisse des dépots et consignations (CDC), plutôt que d'être gérées directement par les industriels concernés.
La sûreté est "un impératif absolu" qui mérite, estiment les députés, que l'Etat réponde favorablement aux demandes de l'ASN en matière de renforcement de ses moyens financiers et de sa capacité de sanction. De même, une autre recommandation "attire l'attention sur l'importance des facteurs organisationnels et humains (…) au vu des difficultés rencontrées par EDF" et "soutient les propositions" de l'inspecteur général pour la sûreté nucléaire et la radioprotection d'EDF. Enfin, alors que 80% des doses sont absorbées par les sous-traitants, le rapport appelle à "une harmonisation de la protection des sous-traitants et des salariés d'EDF".
S'agissant d'une éventuelle catastrophe nucléaire en France, la commission pointe deux enjeux. Le premier concerne le coût de l'accident et le fait que l'Etat joue le rôle d'assureur. Elle juge que, parallèlement à une évaluation du coût d'une telle catastrophe, il convient d'"explorer les différentes voies possibles de provisionnement, de mutualisation avec l'ensemble des acteurs nucléaires au niveau international, de couverture des risques des particuliers, etc.". Quant à la gestion de crise en cas d'accident, elle appelle à "harmoniser les dispositifs avec les pays voisins, particulièrement pour les installations nucléaires situées en zone frontalière".