
Une taxe carbone fixée à 17 euros la tonne, ''compensée intégralement''
Alors que la commission Rocard avait préconisé près du double soit 32 euros jugés trop élevés en période de crise, le Président de République a fixé un prix de départ de la taxe carbone à 17 euros par tonne de CO2 en 2010, légèrement supérieur aux 14 euros proposés la semaine dernière par le Premier ministre François Fillon qui, rappelons le, avaient déclenché la colère des écologistes.
Comme c'était attendu, la taxe carbone portera sur le pétrole, le gaz et le charbon en fonction de leur contenu en gaz carbonique, a précisé le chef de l'Etat lors de son discours à Artemare (Ain). Mais elle ne concernera pas l'électricité - ce que demandaient les Verts et le PS notamment - car la production d'électricité émet en France très peu de CO2, notamment grâce à son parc nucléaire, a expliqué M. Sarkozy.
Le Président a retenu le prix de 17 euros par tonne de CO2 émise qui, souligne-t-il, correspond au prix du marché depuis 2 ans. Cela se traduira par une taxe carbone de près de 4,5 centimes par litre de fioul et de gasoil et 4 centimes par litre d'essence et environ 0,4 centime par KWh de gaz. Pour un foyer, le coût moyen de la taxe est évalué à 74 € par an. Alors que les deux tiers des Français (65%) y sont opposés, selon un sondage Ifop pour Paris Match publié jeudi, et que droite et gauche sont divisées sur le sujet, l'Elysée a certifié que cette taxe serait intégralement compensée par la baisse d'autres prélèvements.
Si la taxe carbone sera introduite de manière progressive, elle s'accompagnera d'une compensation pour tous les ménages français. Pas loin de trois milliards d'euros financés par la taxe carbone seront reversés aux ménages sous forme d'une réduction d'impôt forfaitaire pour ceux qui paient des impôts, ou d'un chèque vert pour les personnes non-imposables, a précisé le Président. Si chaque centime prélevé sur les ménages sera rendu aux ménages, a affirmé Nicolas Sarkozy, il sera tenu compte de la taille de la famille et de son lieu de vie : ville ou campagne.
Par exemple, pour une valeur de 17 € par tonne de CO2, un ménage avec deux enfants qui vit en zone urbaine bénéficiera dès le mois de février prochain d'une réduction de 112 € sur son premier tiers provisionnel s'il paie l'impôt sur le revenu, a-t-il précisé. S'il ne le paie pas il recevra, à la même date, un chèque vert de 112 € . Le même ménage vivant en zone rurale dépourvue de transports en commun bénéficiera lui, à la même date, d'une réduction d'impôt de 142 € s'il paie l'impôt sur le revenu, ou d'un chèque du même montant s'il n'est pas imposable. Concernant les entreprises, les plus gros pollueurs, déjà soumis au système européen des quotas, ne sont pas concernés par la taxe carbone. Les autres entreprises se sont quant à elles vues promettre la suppression de la taxe professionnelle sur les investissements dès 2010.
La création de la taxe carbone se fera sans dommage pour le pouvoir d'achat des Français et sans pénaliser la compétitivité de nos entreprises, a promis M. Sarkozy. Il a chargé le gouvernement d'étudier les moyens pour éviter que cette taxe ne pénalise excessivement la compétitivité des entreprises particulièrement dépendantes des carburants, comme la pêche, l'agriculture ou les transports. Le Président de la République a annoncé en outre la création d'une commission indépendante chargée de garantir une transparence totale sur les compensations, s'appuyant sur une proposition du groupe d'experts.
La taxe carbone, ''un rendez-vous manqué'' ?
A peine rendus les arbitrages sur la taxe que les critiques ont fusé de la part de partis politiques, des associations et du patronat.
Si au sein de l'UMP, le Premier ministre s'est félicité hier de cette ''révolution écologique et fiscale'', et que le groupe Nouveau Centre s'est dit ''globalement satisfait'' , les écologistes et le PS ont de leur côté jugé le projet tantôt insuffisant, voire inefficace et même injuste, dénonçant un rendez-vous manqué. Alors que l'ancien premier ministre socialiste Michel Rocard, qui avait présidé la commission d'experts chargée de plancher sur le dispositif, a estimé jeudi que la création de la taxe carbone était une bonne nouvelle, ce dernier a toutefois déploré des imperfections et un niveau de départ insuffisant.
Les associations et l'opposition ont de manière générale critiqué l'exclusion de l'électricité et un prix de départ de la taxe carbone plus faible que celui préconisé. Elles ont également regretté un manque de précision concernant la progressivité de cette taxe carbone.
Ainsi du côté des partis écologistes, la secrétaire nationale des Verts Cécile Duflot s'est indignée que l'électricité ne fasse pas partie de ces annonces et le produit de cette taxe ne soit pas affecté aux économies d'énergie, accusant le Président d'être resté au milieu du torrent. Dominique Voynet, sénatrice-maire Verts de Montreuil a de son côté estimé que l'absence de critères de revenus dans la compensation de la taxe carbone et la très faible ambition écologique de cette vraie-fausse taxe carbone, montrent encore une fois de plus comment gouverne Nicolas Sarkozy : des mots, des grands gestes, et finalement bien peu d'action. Yannick Jadot, eurodéputé Europe Ecologie, a également déploré un rendez-vous raté entre Nicolas Sarkozy et l'écologie.
Le PS a quant à lui fustigé un prélèvement risquant de peser sur les ménages les plus modestes. Benoît Hamon, porte-parole du parti, a dénoncé un nouvel impôt injuste socialement qui n'aura pas les effets écologiques escomptés. Les plus vulnérables paieront plus que les riches, a déclaré M. Hamon, soulignant que le crédit accordé en compensation sera versé de la même manière aux RMistes et aux contribuables profitant du bouclier fiscal. Pour Ségolène Royal, déjà opposée à cette taxe, ce nouvel impôt […] n'est ni efficace, ni juste et la taxe carbone est un impôt vicieux, a-t-elle affirmé, car on doit payer tout de suite [tandis que] pour les ristournes promises on nous parle d'une commission. Laurence Rossignol, secrétaire nationale du PS à l'Environnement, a de son côté regretté notamment que les gros pollueurs soient exclus.
Quant au président du Modem François Bayrou, ce dernier a jugé que les propositions de Nicolas Sarkozy étaient très injustes socialement et écologiquement, reprochant au chef de l'Etat de donner un coup de pouce au lobby nucléaire et de ne pas y inclure l'électricité.
La déception est identique du côté des associations environnementales. Greenpeace a regretté un prix de départ trop faible, aucune indication de progressivité, et l'exclusion de l'électricité. Une exclusion qualifiée d'erreur historique pour Arnaud Gossement de France Nature environnement (FNE). Ce n'est plus une taxe carbone c'est une taxe EDF, a- t-il estimé. Une taxe à 17 euros et sans progressivité annoncée ne changera strictement rien en terme de comportement et ne stimulera ni les économies d'énergie, ni les renouvelables. Autant ne rien faire du tout, a de son côté déploré Greenpeace. Si pour Nicolas Hulot, l'instigateur de cette taxe, il s'agit d'un pas très positif et très important […] il faudra rester prudent et vigilant sur les modalités qui seront abordées lors du débat parlementaire, a-t-il prévenu.
Concernant le patronat, le Medef a estimé pour sa part que la suppression de la taxe professionnelle, qui rapporte autour de 10 milliards à l'Etat, ne pouvait être mise en regard de cette nouvelle taxation qui coûtera près de 2 milliards aux entreprises. Une fiscalité écologique ne sera pertinente que si elle incite à de nouveaux comportements sans rechercher un rendement budgétaire, a-t-il ajouté.
La taxe carbone est donc encore bien loin de faire consensus. Les ministres concernés par la taxe se sont relayés hier sur les plateaux de télévisions pour défendre la mise en place de la taxe carbone et tenter de répondre aux critiques. Le ministre du développement durable Jean-Louis Borloo a pour sa part assuré sur France 2 que la taxe carbone était incitative. Vous avez un mode de comportement - automobile, chauffage etc. - il vous coûte 100 euros, a-t-il pris comme exemple. On vous dit : on vous [en] rend 100, faites des économies, [et] vous serez gagnant.
De son côté, si la Ministre de l'Économie Christine Lagarde juge cet impôt nécessaire, cette dernière a reconnu vendredi sur Canal+ que la taxe carbone sera parfois injuste, à la marge. Il va y avoir de légères injustices à la marge, il y a des situations où des gens vont devoir dépenser plus qu'ils ne recevront, a-t-elle admis.