Robots
Cookies

Préférences Cookies

Nous utilisons des cookies sur notre site. Certains sont essentiels, d'autres nous aident à améliorer le service rendu.
En savoir plus  ›
Actu-Environnement

Rendre les réseaux d'eau intelligents (1/5) : quand digitalisation rime avec optimisation

La digitalisation porte cette promesse d'une connaissance beaucoup plus fine des réseaux, et donc d'une gestion optimisée des infrastructures et de la ressource. À condition d'être capable d'exploiter d'énormes masses de données.

TECHNIQUE  |  Eau  |    |  F. Bénard
Rendre les réseaux d'eau intelligents (1/5) : quand digitalisation rime avec optimisation
Environnement & Technique N°391
Cet article a été publié dans Environnement & Technique N°391
[ Acheter ce numéro - S'abonner à la revue - Mon espace abonné ]

Alors que des pressions de plus en plus importantes s'exercent sur la ressource, optimiser la gestion de l'eau est devenu l'une des priorités des acteurs de la filière et du Gouvernement. Et les réseaux d'acheminement et de distribution d'eau potable sont en première ligne, avec des communes qui misent de plus en plus sur les « smart grids » de l'eau, ou « smart water » : des réseaux d'eau intelligents, ou plutôt en gestion intelligente. L'objectif est de digitaliser les réseaux et collecter des données en temps réel, afin de connaître l'état des infrastructures en instantané, et accélérer ainsi la prise de décision. Sur le long terme, ces données permettent de mieux comprendre les réseaux, de les visualiser et d'optimiser leur utilisation. Une telle gestion permet aussi de répondre à d'autres enjeux auxquels fait face la filière : traitement et qualité de l'eau, coûts énergétiques…

“ Avec les nouveaux procédés, on a de l'information sur les différents secteurs, sur des zones plus petites ” Eddy Renaud, Inrae
Garantir l'intégrité des réseaux et optimiser la gestion de l'eau

Un réseau dit « smart water » répond à deux objectifs principaux : maintenir l'étanchéité et l'intégrité des réseaux, via le renouvellement de ceux-ci et via la détection et la réparation rapides des fuites - le plus souvent par des capteurs acoustiques apposés sur les tuyaux. Plus la densité de ces capteurs est élevée, plus on peut quantifier et localiser précisément la fuite. Ces capteurs acoustiques viennent en complément d'autres capteurs plus traditionnels, utilisés pour relever le débit, la pression, etc., et repérer d'éventuelles fuites.

En France, le taux de fuites des canalisations est de 20 %, un chiffre constant depuis 2012. « La gestion patrimoniale n'a donc pas permis de réduire significativement les fuites [depuis]. Pour autant, ce taux de fuite n'est pas anormalement élevé », souligne la Fédération professionnelle des entreprises de l'eau (FP2E), rappelant que le rendement est meilleur quand le service couvre une population importante : sous la barre de 50 000 habitants desservis, celui-ci est souvent inférieur à 70 %, ce qui est « insuffisant ». L'enjeu actuel est donc de continuer d'abaisser le taux de fuites – l'objectif de 0 % étant probablement irréaliste.

Obtenir des informations plus ciblées

Les quatre causes principales de fuites sont : l'âge des canalisations (facteur aggravant, mais pas toujours déterminant) ; le type de canalisations ; la corrosion : interne (par l'eau qui circule) et externe (par l'humidité du terrain) ; le vieillissement des joints d'étanchéité entre les canalisations ou sur les branchements.

La détection des fuites se fait principalement la nuit, lorsque la consommation est faible. En général, une mesure est réalisée tous les quarts d'heure par un capteur, et les données rapatriées sur les serveurs de l'exploitant tous les jours. « Avant, on ne connaissait [les fuites] qu'à l'échelle d'un réseau entier. Avec les nouveaux procédés, on a de l'information sur les différents secteurs, sur des zones plus petites », explique Eddy Renaud, spécialiste de la gestion patrimoniale et de la lutte contre les fuites à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae).

Évaluer l'état des réseaux repose majoritairement sur l'installation de capteurs à l'intérieur ou autour des canalisations. Il y a deux grandes familles d'équipements. D'une part, les compteurs qui mesurent les volumes d'eau (posés chez les particuliers, ou sectorisés par quartier, par ville…) et qui permettent donc la détection de pertes. D'autre part, les capteurs spécifiques et complémentaires, pour un usage plus précis, comme les capteurs acoustiques ou de qualité de l'eau.

Suivre les évolutions technologiques

Les technologies disponibles évoluent tellement rapidement qu'il est parfois nécessaire de modifier le projet en profondeur au cours de sa mise en œuvre, relève l'association Think Smartgrids. Il y a eu en effet un « saut technologique » ces dix dernières années, selon Franco Novelli, expert technique cycle de l'eau à la FNCCR. Les capacités de communication et l'autonomie des capteurs ont augmenté. L'accent a été mis sur la miniaturisation, la fiabilité et l'optimisation énergétique, avec un envoi d'informations au moment le plus opportun, estimé par le capteur. Il est désormais possible de déployer les capteurs en grande quantité et à un coût bien inférieur à ce qu'il était il y a dix ou quinze ans, ce qui les rend plus accessibles pour les collectivités. Le coût d'acquisition de certaines données aussi a baissé, notamment pour les capteurs de performance des réseaux et ceux de qualité de l'eau. En milieu urbain, « tous les verrous technologiques sont levés », estime Eddy Renaud. Mais il y a toujours une marge de progrès. Si la transmission des données peut toujours être perfectionnée, le principal axe d'amélioration porte sur la performance de la récupération de données, en matière de délai de détection, de réactivité, de latence de remontée et de fiabilité. « S'assurer de la fiabilité
[des données] peut être très complexe », commente le chercheur. D'autant que face à la masse de données récoltées, le risque de mal interpréter ou de rater des éléments importants est plus élevé : il est donc primordial de comprendre une variabilité parfois importante. Le taux de performance d'un réseau est basé en majorité sur la qualité des données, celle-ci dépendant de la précision et de la robustesse des capteurs. Il faut donc aussi connaître en temps réel la moindre défaillance qui pourrait les affecter.

Selon Jean-Baptiste Vieren, directeur data science chez Birdz, la masse de capteurs et d'informations récupérées est telle qu'elle constitue une intelligence « embarquée » ou « décentralisée ». Les capteurs interprètent localement certaines mesures et peuvent les remonter au système informatique centralisé. Plus rarement, ils peuvent enclencher une action. En somme, « on sait de plus en plus vite ce qui se passe, sur des zones de plus en plus restreintes », résume Eddy Renaud. Une gestion intelligente permet donc de réduire l'échelle spatiale et temporelle de détection et de résolution des problèmes. Avec à la clef, un retour sur investissement en généralement de quelques années.

Gérer un grand nombre de données

Rendre les réseaux intelligents est un nouveau défi pour les services de l'eau, qui doivent désormais gérer des données en quantités et des étapes de traitement multiples. Il faut dans un premier temps déchiffrer les messages, sachant qu'un seul correspond à des dizaines de données, puis les dédoublonner (un même message peut arriver par plusieurs passerelles). Viennent ensuite le typage, le décodage (les données étant très compressées), et un premier stockage relativement brut de données codifiées de la même manière, dans un premier entrepôt ou « data lake ». La « seconde couche de gestion, plus intelligente », explique Jean-Baptiste Vieren, consiste à se servir dans les données brutes et à sélectionner les plus pertinentes, c'est-à-dire celles ayant le plus de valeur (environnementale, économique, réglementaire), pour en extraire des informations par différents calculs. Une fois les données à sa disposition, l'exploitant peut ajouter les connaissances dont il dispose sur son territoire.

Quelques points de vigilance

Une fois les données analysées, vient leur archivage. « La donnée n'a pas le même intérêt pour tout le monde », rappelle Eddy Renaud : si les données historiques sont intéressantes pour les chercheurs, c'est rarement le cas pour les régies. En outre, chaque service a des objectifs et donc des besoins différents. La durée de conservation dépend aussi du type de données – ainsi que de certains aspects réglementaires, comme les délais de rétention ou de contestation –, mais tourne en général autour de trois ans. Le stockage, qui concerne des « volumes énormes », engendre un coût matériel, mais, surtout, beaucoup d'organisation : il faut « stocker intelligemment », et pour cela réfléchir à la question le plus en amont de la mise en œuvre du projet. Au moment de classer les données, il y a aussi un choix à opérer : soit le résultat, c'est-à-dire la donnée traitée et figée, est archivé ; soit le calcul est « rejoué » pour traiter la donnée brute chaque fois que nécessaire. Une solution moins gourmande en stockage, mais plus contraignante en matière de vigilance sur la répétabilité.

Autre point de vigilance mis en avant par Eddy Renaud : le risque de suréquipement, surtout en capteurs acoustiques. Un réseau est « très efficace pour cibler plus vite [les problèmes], mais plus on les développe, plus on est obligé de gérer des infrastructures et toute une logistique. [Les capteurs] rendent donc beaucoup de services, mais ils génèrent aussi des contraintes et des fragilités ». Le risque existe aussi de déconnexion technique et de perte de savoir-faire par rapport à l'infrastructure et au terrain, selon le chercheur. Un réseau intelligent est « un outil de connaissance, mais il ne fait pas le travail ». Les moyens humains et techniques pour l'analyse de données – et la réparation des fuites – doivent suivre. Et « il faut savoir déterminer quand le projet est arrivé à maturité, et ainsi s'arrêter ».

RéactionsAucune réaction à cet article

Réagissez ou posez une question

Les réactions aux articles sont réservées aux lecteurs :
- titulaires d'un abonnement (Abonnez-vous)
- inscrits à la newsletter (Inscrivez-vous)
1500 caractères maximum
Je veux retrouver mon mot de passe
Tous les champs sont obligatoires

Partager