La commission environnement du Club des juristes, think tank juridique composé d'avocats, de magistrats et de professeurs de droit, a présenté le 14 mars son rapport intitulé "Mieux réparer le dommage environnemental". Un état des lieux de la problématique de la réparation du dommage environnemental et une série de propositions pour adapter le droit civil à ce nouveau défi.
Pour Yann Aguila, avocat à la Cour, président de la commission environnement du Club des juristes, "la question de la réparation du dommage environnemental est l'une des grandes questions du droit de la responsabilité en ce début de XXIe siècle".
Les lacunes du droit de la responsabilité
Les auteurs du rapport sont partis d'un constat factuel : "il existe aujourd'hui des atteintes à l'environnement, que chacun peut observer, et dont certaines, pourtant, ne sont pas réparées", résume Yann Aguila. Or, "cette absence de réparation vient en grande partie des lacunes du droit", ajoute l'avocat.
L'engagement de la responsabilité environnementale repose en l'état actuel du droit sur deux régimes : la loi du 1er août 2008 sur la responsabilité environnementale (LRE), qui transpose une directive européenne de 2004, et le droit commun de la responsabilité civile fondé sur les articles 1382 et suivants du code civil.
Or, la LRE, qui prévoit un mécanisme de police administrative reposant sur l'action du préfet, n'a jamais été appliquée en raison de son champ d'application trop restreint : elle ne vise que les dommages les plus graves et prévoit un grand nombre d'exclusions.
"Dans l'immense majorité des cas, c'est donc sur le fondement du droit civil, et devant les juridictions judiciaires, que la responsabilité environnementale est aujourd'hui mise en cause", constate la commission environnement du Club des juristes. Mais les mécanismes traditionnels de responsabilité se révèlent inadaptés à la problématique de la responsabilité environnementale.
Si certaines décisions de justice, comme celle rendue dans l'affaire de l'Erika, ont pu laisser croire à la possibilité d'une définition par la jurisprudence du "dommage écologique" et des modalités de réparation qui lui sont adaptées, les juridictions adoptent en fait, selon les auteurs du rapport, "des solutions diverses, contradictoires, voire incohérentes" sur l'ensemble des questions posées.
Faire sauter l'exigence du caractère personnel du dommage
Les préconisations du think tank juridique ? Plutôt que d'agir sur le régime de responsabilité environnementale issu du droit communautaire, action lourde et improbable à l'échelle européenne, les auteurs du rapport préconisent une action sur le droit commun de la responsabilité civile.
"Il s'agit de faire sauter le verrou constitué par le principe traditionnel de la responsabilité civile selon lequel le dommage doit présenter un caractère personnel pour pouvoir donner lieu à réparation", précise François-Guy Trebulle, Professeur à l'université Paris V – René Descartes.
La solution ? Intégrer un article 1382-1 dans le code civil, dont la rédaction serait calquée sur celle de l'article 1382 et formulé ainsi : "Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à l'environnement un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer".
Définir les modalités de la réparation du préjudice écologique
Les auteurs du rapport souhaitent également, et ils en font là leur proposition principale, que la loi précise "avec clarté" les modalités de la réparation du dommage environnemental devant le juge civil "pour mettre fin aux hésitations de la jurisprudence".
Se pose tout d'abord la question de la définition du préjudice écologique, que l'on peut envisager couvrir les préjudices à la biodiversité, au sol, à l'eau et aux milieux aquatiques, à l'air, à l'atmosphère… "Il s'agit de nommer pour mieux normer", précise Laurent Neyret, Professeur à l'Université d'Artois, qui prépare avec le Professeur Gilles Martin une nomenclature des préjudices environnementaux. L'amélioration de cette définition passe également par un renforcement de l'expertise environnementale.
Quant à la nature de la réparation, la commission environnement indique que la priorité doit être donnée à la réparation en nature plutôt qu'à une réparation monétaire.
Mais, bien souvent, "la remise en état n'épuise pas la réparation de l'entier préjudice", relève Laurent Neyret. Et de prendre pour exemple la mort de l'ourse Cannelle dans les Pyrénées : dernier représentant de la souche pyrénéenne, sa disparition a entraîné celle d'une espèce entière que l'introduction de spécimens venus de Slovénie ne saurait entièrement réparer.
La réparation en nature doit donc être combinée avec une réparation monétaire à titre accessoire. Le Club des juristes propose d'affecter les dommages et intérêts à un fonds dédié à la protection de l'environnement qui pourrait être géré par l'Ademe. "Ce fonds serait affecté à la mise en œuvre d'actions réparatrices et au financement de plans de réhabilitation environnementale", précise le rapport.
Poser le principe de l'unité de l'action environnementale
Se pose aussi la question de savoir qui est légitime pour saisir le juge. Pour la commission environnement du think tank, il doit être clair que "le porteur de l'action civile environnementale n'agit pas pour son propre compte mais représente l'intérêt environnemental".
Elle estime qu'il ne faut pas désigner un titulaire exclusif de l'action en responsabilité environnementale mais "organiser la complémentarité entre les différents représentants possibles de l'intérêt environnemental". Le droit d'action des associations et des collectivités locales ne serait donc pas remis en cause.
"Il pourrait toutefois être utile de confier un rôle fédérateur dans la conduite des actions civiles environnementales à une autorité publique qui pourrait être l'Ademe", indique Yann Aguila. D'autre part, "il faut poser le principe de l'unité de l'action civile environnementale", précise le rapport. "En cas de pluralité de recours, le juge ne doit pas indemniser plusieurs fois le même préjudice. Il ne doit statuer qu'une seule fois sur le dommage environnemental".
Plusieurs pistes de réflexion que les auteurs du rapport souhaiteraient voir s'approprier par les décideurs publics et les acteurs de l'environnement. Car si ce rapport "a surtout pour ambition, d'être une boîte à idées", selon les mots de Yann Aguila, ce dernier ajoute aussitôt :"il est [toutefois] temps que le législateur intervienne pour mettre en œuvre" le principe contenu dans l'article 4 de la Charte de l'environnement. Selon celui-ci, "toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi".