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Risques naturels : retour sur l'année 2022-2023

Les risques littoraux sont de plus en plus prégnants, du fait de l'élévation du niveau de la mer, du recul du trait de côte et des submersions marines, alors que les changements climatiques produisent des effets sur les bâtiments et les êtres humains.

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Droit de l'Environnement N°327
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°327
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Risques naturels : retour sur l'année 2022-2023
Marie-France Steinlé-Feuerbach et Hervé Arbousset
Respectivement professeur émérite à l'université de Haute-Alsace et maître de conférences (HDR) à l'université de Haute-Alsace, Cerdacc
   

I. Lois et règlements, travaux parlementaires et rapports

La loi de finances pour 2023 fait suite à l'annonce par la Première Ministre, le 27 août 2022, de créer un fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires, appelé « fonds vert », doté de 2 milliards d'euros, afin d'aider, dès 2023, les collectivités territoriales et leurs partenaires à accélérer leur transition écologique. Il doit notamment permettre, selon le guide à l'intention des décideurs locaux issu du ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires de janvier 2023, d'« Adapter les territoires au changement climatique afin de prévenir les inondations, de soutenir les collectivités de montagne soumises à des risques émergents, de renforcer la protection des bâtiments des collectivités d'outre-mer contre les vents cycloniques, d'anticiper les risques d'incendies de forêt, mais aussi faire face au recul du trait de côte ».

La loi d'orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur du 24 janvier 2023 (1) intègre un article L. 742-2-1 qui a vocation à s'appliquer aux risques naturels.

La loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables ajoute quant à elle un nouvel objet aux PPRNP (2)  : « 5° (…) définir, dans les zones mentionnées aux mêmes 1° et 2°, des exceptions aux interdictions ou aux prescriptions afin de ne pas s'opposer à l'implantation d'installations de production d'énergie solaire dès lors qu'il n'en résulte pas une aggravation des risques (3)  ». Elle créé un nouvel article L. 562-4-2 dans le code de l'environnement, qui dispose que « lorsqu'un plan de prévention des risques naturels prévisibles d'inondation opposable ne définit pas d'exceptions au sens du 5° du II de l'article L. 562-1, le représentant de l'Etat dans le département peut, après consultation des maires et des présidents d'établissements publics de coopération intercommunale concernés, définir de telles exceptions et les rendre immédiatement opposables à toute personne publique ou privée, par une décision motivée rendue publique ». Ces exceptions ne sont plus « opposables si elles ne sont pas reprises au terme de la procédure de modification du plan, prévue au II de l'article L. 562-4-1, achevée dans un délai de dix-huit mois à compter de la publication de la décision du représentant de l'État dans le département mentionné au premier alinéa du présent article ».

La loi du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie consacre la nécessité d'« élaborer une stratégie nationale et territoriale visant à renforcer la prévention, la protection et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie », dans l'année suivant sa promulgation, par les acteurs institutionnels (4) . L'État doit désormais aussi veiller «  à la défense de la forêt contre les incendies  (5) ». Le programme national de la forêt et du bois « comprend des actions contribuant à la mise en œuvre de la stratégie nationale de défense des forêts et des surfaces non boisées contre les incendies élaborée en application de l'article 1er de la loi n° 2023-580 du 10 juillet 2023 (…) ». Afin de « mieux réguler » les espaces forestiers et les zones urbaines « pour réduire les départs de feux et la vulnérabilité des personnes et des biens », il est créé un chapitre « Prévention des incendies de forêt et de végétation » dans le code de l'environnement (6) , précisant notamment l'élaboration par le ministre en charge de la Prévention des risques et les ministres chargés de la Sécurité civile et de la Forêt d'une carte à la disposition du public, révisée tous les cinq ans, « analysant la sensibilité du territoire européen de la France au danger prévisible de feux de forêt et de végétation », la rédaction d'une liste « des communes exposées à un danger élevé ou très élevé de feux de forêt et de végétation », le préfet élaborant des PPRN (7) d'incendies de forêt « en concertation avec les conseils régionaux et les conseils départementaux intéressés ». La loi cherche aussi à « promouvoir la sylviculture face au risque incendie » tout en sensibilisant la population à ce risque.

La loi du 20 juillet 2023 crée, d'une part, « dans chaque région (…) une conférence régionale de gouvernance de la politique de réduction de l'artificialisation des sols » et, d'autre part, un droit de préemption élargi donnant naissance à l'article L. 211-1-1 du code de l'urbanisme, qui précise que « l'autorité compétente peut, par délibération motivée, délimiter au sein du plan local d'urbanisme, du document en tenant lieu ou de la carte communale des secteurs prioritaires à mobiliser qui présentent un potentiel foncier majeur pour favoriser l'atteinte des objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols (…) ». Ces secteurs prioritaires peuvent couvrir en particulier :

-    « 1° Des terrains contribuant à la préservation ou à la restauration de la nature en ville, notamment lorsqu'il s'agit de surfaces végétalisées ou naturelles situées au sein des espaces urbanisés ;

-    2° Des zones présentant un fort potentiel en matière de renaturation, en particulier dans le cadre de la préservation ou de la restauration des continuités écologiques, et qui peuvent notamment être les zones préférentielles pour la renaturation identifiées dans le schéma de cohérence territoriale, mentionnées à l'article L. 141-10 ;

-    3° Des terrains susceptibles de contribuer au renouvellement urbain, à l'optimisation de la densité des espaces urbanisés ou à la réhabilitation des friches mentionnées à l'article L. 111-26 ».

En outre, l'autorité compétente « pour délivrer les autorisations d'urbanisme peut surseoir à statuer sur une demande d'autorisation d'urbanisme entraînant une consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers qui pourrait compromettre l'atteinte des objectifs de réduction de cette consommation susceptibles d'être fixés par le document d'urbanisme en cours d'élaboration ou de modification, durant la première tranche de dix années mentionnée au 1° du III ».

La loi du 1er août 2023 relative à la programmation militaire (8) pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense ajoute un article au code de la défense précisant que les autorités militaires en « étroite collaboration » avec les responsables départementaux de la lutte contre les incendies dressent la liste des pistes aériennes militaires pouvant accueillir « tout type d'aéronef dédié à la lutte contre les incendies (9)  ».

Après la sécheresse de 2022, il était urgent d'amender la prise en charge des dommages aux immeubles. L'article 161 de la loi (10) relative à la différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification de l'action publique locale avait habilité le Gouvernement « à prendre par voie d'ordonnance, dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la présente loi, toute mesure relevant du domaine de la loi afin d'améliorer la prise en charge des conséquences exceptionnellement graves sur le bâti et sur les conditions matérielles d'existence des assurés des désordres causés par le phénomène naturel de mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse ou à la réhydratation des sols. ». À ce titre a été publiée l'ordonnance du 8 février 2023 relative à la prise en charge des conséquences des désordres causés par le phénomène naturel de mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols. Elle ajoute un critère à la définition historique des catastrophes naturelles (11) , après le critère de l'intensité anormale d'un agent naturel : « la succession anormale d'événements de sécheresse d'ampleur significative ». S'agissant du risque RGA (12) , l'anormalité couvre l'intensité du phénomène et la succession d'événements dès lors que leur intensité est significative. L'alinéa 5 de l'article L. 125-1 est aussi complété pour tenir compte de la répétition du phénomène : « Pour les mouvements de terrain différentiels mentionnés au troisième alinéa, ce délai de vingt-quatre mois intervient après le dernier évènement de sécheresse donnant lieu à la demande communale ».

Une restriction ajoutée au 2ème alinéa de l'article L. 125-2 limite cependant la garantie de l'assureur « aux dommages susceptibles d'affecter la solidité du bâti ou d'entraver l'usage normal du bâtiment ». Une autre restriction à la garantie due par l'assureur résulte d'un article L. 125-7 nouveau qui en exclut les bâtiments construits sans permis de construire lorsqu'il est requis ainsi que ceux dont le dépôt de permis a été effectué après le 1er janvier 2024 pour lesquels le maître d'ouvrage ou le propriétaire au moment du sinistre, ne pourra, pendant une durée de dix ans après la réception des travaux justifier du dépôt d'un document établi par un contrôleur technique attestant qu'il a tenu compte de ses avis sur le respect des règles de prévention des risques sismiques et cycloniques. Ces modifications entreront en vigueur avant le 1er janvier 2024.

Suite à la loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture, le régime des calamités agricoles et de l'assurance récolte a fait l'objet d'une avalanche de textes.

Le décret du 29 décembre 2022 doit assurer une répartition équilibrée de la prise en charge des risques climatiques en agriculture entre agriculteurs, assureurs et Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA). Il décline les conditions d'octroi de subventions pour les agriculteurs en cas de souscription d'un contrat d'assurance récolte multirisque climatique (contrats MRC) et les conditions d'indemnisation au titre de la solidarité nationale en application de l'article L. 361-4-2 nouveau du code rural et de la pêche maritime. S'agissant de la solidarité nationale, le décret du 4 avril 2023 (13) précise les conditions d'indemnisation pour les exploitants agricoles ayant subi des pertes de récoltes importantes (14) dues à des aléas climatiques sur des surfaces non-assurées, les démarches à effectuer, les modalités de calcul et de versement des indemnités.

Le 23 novembre 2022 a été publiée l'ordonnance portant dispositions de contrôles et de sanctions dans le cadre de la réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture. Elle prévoit des sanctions à l'encontre des exploitants agricoles ayant intentionnellement transmis de faux documents ou de fausses informations pour l'établissement de l'indemnisation fondée sur la solidarité nationale. Les assureurs proposant des contrats MRC sont aussi placés sous contrôle et peuvent faire l'objet d'injonctions et de sanctions en cas d'inexécutions de leurs obligations. Concernant les contrats MRC, la loi du 2 mars 2022 prévoyait la création d'un groupement de réassurance conjointe entre les entreprises d'assurance (15) , les conditions de la constitution de ce groupement ainsi que la part de risque que devront lui céder les assureurs MRC. Elle est précisée par un décret.

Le décret du 31 octobre 2022 relatif à l'autorité administrative compétente en matière de résilience des réseaux aux risques naturels donne compétence au « représentant de l'État dans le département », et non plus au préfet de zone de défense et de sécurité comme l'avait fixé la loi Climat et Résilience (16) , pour demander aux exploitants de services ou réseaux essentiels à la population (eau potable, assainissement, électricité, gaz, réseaux de télécommunication) d'identifier leurs vulnérabilités face aux événements naturels de grande ampleur. Ceci afin que leur gestion en situation de crise soit anticipée, que soit assuré un service minimal répondant aux besoins essentiels de la population durant la crise et qu'un retour rapide à un fonctionnement normal soit favorisé.

Le décret du 22 décembre 2022 concerne notamment les usages des caméras et capteurs sur les aéronefs circulant sans personne à bord pour la connaissance et la prévision des phénomènes naturels dangereux  (17) (éruptions volcaniques, inondations et submersions marines, incendies, recul du trait de côte, etc.) Il prévoit des modalités d'information préalable du public (sauf cas d'urgence).

Les catastrophes naturelles ou pertes de récolte ont fait l'objet d'une série de textes réglementaires dont l'accumulation, les différentes dates d'entrée en vigueur ainsi que le jeu de piste des renvois suscitent la perplexité. Le texte le plus attendu était le décret d'application de la loi réformant le régime de l'indemnisation des catastrophes naturelles (18) pour assurer l'entrée en vigueur au 1er janvier 2023 du nouvel article L. 125‑1 du code des assurances. Publié in extremis le 31 décembre 2022, il introduit un nouveau chapitre à la partie réglementaire du code des assurances concernant les catastrophes naturelles (19) .

La loi du 28 décembre 2021 ayant étendu la garantie CatNat (20) de l'assureur à la prise en charge pour l'habitation principale de l'assuré des frais de relogement d'urgence et des frais de d'architecte et de maîtrise d'ouvrage, le décret précise les conditions de la mise en jeu et l'étendue de cette nouvelle garantie (21) . Par ailleurs, la réforme avait, judicieusement, supprimé la modulation des franchises pour les assurés dont les biens sont situés dans une commune dépourvue de PPRN. Le décret rappelle le principe (22) des franchises posé par l'article L. 125-1 avant de les détailler par contrat selon la nature du bien assuré. Le décret maintient (23) le système de la modulation de la franchise pour les biens autres que les véhicules terrestres à moteur assurés par les collectivités locales et leurs groupements. La franchise de la garantie des pertes d'exploitation a fait l'objet d'un arrêté ultérieur (24) .

Restait cependant à tenter de colmater les brèches de l'indemnisation des effets de la sécheresse, plus précisément à adapter le régime CatNat aux spécificités du risque de RGA, sachant que la sécheresse est bien un risque couvert par la garantie mais insuffisamment pris en compte par la loi du 28 décembre 2021. Cependant, cette loi avait déjà introduit des dispositions spécifiques à la sécheresse (possibilité d'étendre le montant de la garantie aux travaux permettant un arrêt des désordres, remplacement du délai biennal de prescription des actions dérivant d'un contrat d'assurance par le délai quinquennal de droit commun).

Le décret du 4 avril 2023 précise les conditions dans lesquelles les exploitants agricoles, victimes de pertes de récoltes importantes liées à des aléas climatiques sur des surfaces non-assurées, peuvent demander à bénéficier d'une indemnité au titre de la solidarité nationale.

Le décret du 14 avril 2023 relatif à la formation de sensibilisation aux risques naturels dont bénéficient les agents publics exerçant en Outre-mer met en œuvre cette formation en application de la loi 3 DS (25) comme le décret du 3 mai 2023 ayant trait au secteur privé.

Le décret du 18 avril 2023 relatif aux missions de surveillance des cours d'eau, de prévision des crues et de production de la vigilance sur les crues remet à jour les dispositions relatives à la prévision des crues. Le décret du 4 mai 2023 augmente à 40 % le taux de financement des travaux de réduction de vulnérabilité des entreprises de moins de vingt salariés au titre de la prise en charge des études et travaux de prévention rendus obligatoires par un plan de prévention des risques naturels prévisibles approuvé et précise que le plafond de la contribution du fonds au titre de la reconnaissance et du comblement des cavités souterraines passe de 36 000 euros à 72 000 euros par bien.

Le décret du 31 juillet 2023 modifie la liste des communes dont l'action en matière d'urbanisme et la politique d'aménagement doivent être adaptées aux phénomènes hydro sédimentaires entraînant l'érosion du littoral.

Le ministère chargé de la Transition écologique, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et le Centre d'études et d'expertise sur les risques, la mobilité et l'aménagement (Cerema), ont publié en août 2022 des recommandations (26) pour élaborer les cartes locales d'exposition au recul du trait de côte à destination des collectivités territoriales.

Sous l'égide du ministère de la Transition écologique et de la Caisse centrale de réassurance (CCR) a été publié en 2023 un rapport intitulé « La prévention des catastrophes naturelles par le fonds de prévention des risques naturels majeurs ». Le Fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM) a levé des cofinancements des collectivités territoriales « qui ont permis de plus que doubler les engagements financiers en faveur de la prévention, structurant ainsi une politique globalement bien dimensionnée au regard des enjeux » (p. 6). Le rapport précise que 25 millions d'habitants sont exposés au risque inondation, 31,1 millions au RGA, 4,5 millions à un risque de séisme et 1,8 million au phénomène cyclonique (p. 11). Il ajoute que « depuis une décennie, la prévention des inondations (tous types) mobilise près des trois quarts des engagements financiers totaux du FPRNP » (p. 42).

II. Jurisprudence administrative

Le tribunal administratif de Versailles a rendu quatre jugements le 22 septembre 2022 (27) et le 8 décembre 2022 (28) , rejetant des recours en annulation contre des arrêtés interministériels qui refusaient de reconnaître l'état de catastrophe naturelle. Et ce alors que des habitations avaient subi des mouvements de terrain à la suite de périodes de sécheresse et de réhydratation des sols au cours de l'année 2019.

Le tribunal s'appuie fort logiquement sur l'article L. 125-1 du code des assurances qui, à l'époque, se référait à un dommage « ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel » nécessitant ainsi « d'apprécier l'intensité et l'anormalité des agents naturels en cause sur le territoire des communes concernées » (expression utilisée dans trois jugements). Deux critères sont utilisés par les ministres compétents (l'un météorologique, l'autre géologique) et repris par le tribunal administratif. « Cette méthode et ces critères apparaissent, en l'état des connaissances à la date de l'arrêté attaqué, appropriés pour mesurer, aux fins de l'application de l'article L. 125-1 du code des assurances, l'intensité et l'anormalité du phénomène de sécheresse en fonction des saisons » (29) . Selon les termes du jugement du 22 septembre 2022, la commune « n'apporte aucun élément de nature à remettre en cause l'appréciation portée par les ministres (…) dès lors que le bénéfice de la garantie prévue par le premier alinéa de l'article L. 125-1 du code des assurances n'est pas subordonnée à la démonstration de la survenance ou de la persistance de dommages imputables à la catastrophe naturelle, mais à la constatation de l'intensité anormale de l'agent naturel à l'origine de ces dommages ». « Si la méthode et les critères précédemment exposés présentent un caractère nécessairement technique, la commune du Perray-en-Yvelines, en se bornant à en critiquer la complexité, n'établit pas leur caractère inintelligible ou arbitraire » (30) .

III. Jurisprudence civile

La sécheresse alimente l'essentiel du contentieux opposant assurés et assureurs. Les décisions relatives à la cause déterminante du sinistre illustrent les difficultés issues de la rédaction de l'article L. 125-1 alinéa 3, modifiée en février 2023. Le nombre important d'arrêtés CatNat pris pour la localité dans laquelle est située l'immeuble met hors de cause l'assureur du constructeur (31) . Selon les juges, la multiplicité de problèmes identiques pour les voisins proches conduit à admettre que la cause déterminante est bien la sécheresse (32) , tout comme lorsque toutes les constructions autour de la maison ont subi des désordres (33) . La cour de Bordeaux (34) estime que la sécheresse est bien la cause déterminante et que la garantie de l'assureur de dommages aux biens est due à l'assuré « dès lors qu'il n'établit pas le désordre se serait quand même produit, en dehors de cet événement climatique particulier, du fait d'un sous dimensionnement des fondations en micro-pieux ».

Dans une hypothèse où deux assureurs se sont succédé, la cour de Toulouse (35) considère que le second assureur doit sa garantie pour des fissures apparues en 2017, l'expert ayant retenu que les désordres sont évolutifs et que ceux déclarés en 2017 sont bien consécutifs à la sècheresse de 2017. En revanche, la garantie de l'assureur ne saurait être mobilisée si « l'expert judiciaire retient que les fissures ont pour cause, outre la sécheresse, l'existence de fondations insuffisamment enterrées, ainsi qu'une présence de végétation à proximité du bien », la preuve du caractère déterminant de l'épisode de sécheresse n'étant dès lors pas rapportée (36) .

Un arrêt de la cour d'appel de Bourges (37) montre l'intérêt, pour les assurés, du délai de prescription quinquennal (38) . Des désordres étaient apparus après une sécheresse du 1er juillet au 31 décembre 2018. Les propriétaires, ayant changé d'assureur au 1er mai 2019, ont déclaré le sinistre à celui-ci et non à l'assureur précédent, qui était pourtant celui concerné par la période visée par l'arrêté CatNat. Il n'en sera informé qu'en octobre 2021, soit hors du délai biennal classique de l'article L. 114-1 du code des assurances que l'assureur oppose. L'action des assurés est recevable : « Le délai quinquennal de prescription spécifiquement prévu en matière de dommages résultant de mouvements de terrain consécutifs à la sécheresse-réhydratation des sols n'était alors pas écoulé.».

Dans son Rapport annuel 2022 (sept. 2023), la Cour de cassation reprend l'idée de mettre fin au délai biennal du droit des assurances, défavorable à l'assuré, pour l'aligner sur celui du droit commun. La Direction des affaires civiles et du sceau (Dacs)est favorable à cette proposition mais ajoute qu'une « autre possibilité consisterait à préciser dans le texte que la phase de discussion amiable entre l'assureur et l'assuré est une cause de suspension du délai. ».

S'agissant de l'étendue de la garantie due par l'assureur, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation s'est prononcée sur un dommage provoqué par glissements de terrains, ayant emporté une partie de la route menant à la propriété des assurés, dus à de fortes pluies ayant donné lieu à un arrêté CatNat. Elle censure (39) la cour d'appel, qui avait exclu de la garantie la consolidation d'une partie de la pente en aval du chemin (40) .

L'indemnisation n'est pas l'unique source de contentieux. Il en est également ainsi en matière d'obligation d'information de l'assureur avant la souscription d'un contrat par l'acquéreur d'un immeuble. La troisième chambre civile affirme que la société d'assurance « n'était pas tenue d'informer l'assurée d'un sinistre antérieur à la souscription du contrat, dès lors qu'elle avait payé l'indemnité nécessaire à la réparation des désordres dont elle n'avait pas à contrôler l'utilisation » (41) par le vendeur.

Par ailleurs, la tempête de décembre 1999 alimente toujours la jurisprudence ! La cour d'appel de Toulouse (42) , sur renvoi après cassation confirme la décision des premiers juges relatif à la responsabilité d'un courtier quant au choix du contrat garantissant, pour un château, les effets de la tempête. La garantie des effets du vent, contrairement à la garantie CatNat, est purement contractuelle et les stipulations du contrat étant claires et précises, le courtier n'avait pas à attirer l'attention du souscripteur sur le fait que la valeur à neuf n'était pas garantie, une telle option ne pouvant être souscrite pour un sinistre tempête.

L'assureur CatNat est tenu de financer les travaux de reprise nécessaires pour remédier aux désordres affectant le bien assuré et sa responsabilité contractuelle peut être engagée en raison de l'insuffisance des travaux préconisés. Dans une affaire où la pose de 99 micro-pieux initialement proposée par un entrepreneur avait été ramenée par l'assureur à 24, l'entrepreneur acceptant d'effectuer cette reprise seulement partielle, la Cour de cassation a validé, compte tenu des fautes respectives, un partage des sommes dues suite à l'apparition de nouveaux désordres (43) . La même chambre vient de décider que la responsabilité décennale de l'entreprise ayant réalisé un confortement des fondations par micro-pieux se trouve engagée si les désordres qui trouvaient leur cause originelle dans des épisodes de sécheresse, leur aggravation était également imputable à la conception et à la réalisation des travaux de reprise sans prise en compte suffisante de la faiblesse de la dalle flottante qu'elle avait pourtant identifiée (44) .

Lors de la vente d'un immeuble, la dissimulation volontaire par les vendeurs d'un risque naturel auquel est exposé le bien peut entraîner la nullité de la vente pour dol. Tel est le cas à propos de la présence cachée de nappes phréatiques, l'acte de vente indiquant l'absence de sinistre ayant donné lieu au versement d'une indemnisation alors que les vendeurs avaient touché une indemnisation au titre d'une inondation précédente du sous-sol dont l'aménagement en pièce à vivre faisait partie du champ contractuel, la présence d'une pompe de relevage ne pouvant être découverte lors de la visite du bien (45) . Il en a été de même pour la dissimulation de plusieurs inondations antérieures à la vente, toutes reconnues catastrophes naturelles (46) . Le manquement des vendeurs à leur devoir d'information peut aussi justifier la non-exécution de la promesse de vente lorsque les bénéficiaires de celle-ci, informés par le notaire, découvrent que le bien est situé en zone d'aléa fort « submersion marine » (47) .

Suite à l'apparition de fissures provoquées par une sécheresse ayant fait l'objet d'un arrêté CatNat, des acquéreurs avaient agi en nullité de la vente sur le fondement du dol et de la garantie des vices cachés, l'acte de vente mentionnant faussement que le bien n'avait subi aucun sinistre résultant de catastrophes naturelles. La Cour de cassation (48) approuve la cour d'appel de n'avoir pas retenu le dol dès lors qu'aucun lien de causalité n'avait été établi entre les fissures récentes et les précédents sinistres dont le plus récent remontait à plus de neuf ans et qu'il n'était donc pas démontré que les demandeurs n'auraient pas acquis le bien s'ils en avaient eu connaissance ; l'action sur le fondement de la garantie des vices cachés devait également être rejetée puisque « les vendeurs, qui n'étaient pas des professionnels de l'immobilier, ne pouvaient pas savoir que la maison pourrait à nouveau subir un sinistre lié à la sécheresse ».

IV. Assurance

Face à la multiplication des risques climatiques extrêmes, l'exécutif a annoncé, par un communiqué du 26 mai 2023, le lancement d'une mission sur l'assurabilité du risque climatique dont les travaux porteront principalement sur trois axes : « Les moyens permettant d'assurer la soutenabilité du régime français d'indemnisation des catastrophes naturelles, qui est un outil clé de résilience ; Le renforcement du rôle du système assurantiel dans le financement de la prévention et de l'adaptation face au dérèglement climatique, et une amélioration de l'articulation avec les interventions publiques existantes en la matière ; L'analyse de la contribution du cadre prudentiel et de la politique de souscription des assureurs à l'atténuation du changement climatique, et les recommandations permettant d'en accroître la portée. » Les recommandations sont attendues pour la fin de l'année.

1. L. n° 2023-22, 24 janv. 2023 : JO 25 janv., d'orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur2. Plans de prévention des risques naturels prévisibles3. C. envir., art. L. 562-14. Ministères, Office national des forêts (ONF), Centre national de la propriété forestière, représentants des professionnels chargés de la sécurité civile et des filières forêt-bois, associations syndicales, chambres d'agriculture, associations de protection de l'environnement5. C. for., art. L. 121-16. C. envir., art. L. 567-1 à L. 567-87. Plan de prévention des risques8. L. n° 2023-703, 1er août 2023 : JO 2 août

9. C. défense, art. L. 1321-410. L. n° 2022-217, 21 févr. 2022 : JO 22 févr., Dr. Env. 2022, p. 76 et p. 32911. Depuis 1985, l'article L. 125-1 alinéa 3 du code des assurances définissait les effets des catastrophes naturelles comme « les dommages matériels directs ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises ».12. Risque sécheresse sur sol argileux13. D. n° 2023-253, 4 avr. 2023 : JO 5 avr.14. C. rur., art. D. 361-44-5 à D. 361-44-915. C. assur., art. L. 442-1-1, créé par l'ordonnance n° 2002-1075 du 29 juillet 202216. Arbousset H. et a., Risques naturels et technologiques, Synthèse, Dr. Env. 2021, p. 41717. C. envir., art. R. 563-21 et s.18. L. n° 2021-1837, 28 déc. 2021 : JO 29 déc., Arbousset H. et a., Risques naturels et technologiques, Synthèse, Dr. Env. 2022, p. 32919. Motivation des décisions de reconnaissance ou de non-reconnaissance des communes par un arrêté CatNat, encadrement du droit à communication des documents ayant fondé ces décisions ainsi qu'à la contestation de ces décisions : art. D. 125-1 à D. 125-1-220. Catastrophe naturelle21. C. assur., art. D. 125-4 à D. 125-4-422. Ibid., art. D. 125-523. Ibid., art. D. 125-5-924. A., 2 août 2023, NOR : ECOT2317668A : JO 15 août.

25. Arbousset H. et a., Dr. Env. 2022, op. cit.26. Collectif (BRGM/Cerema). Recommandations pour l'élaboration de la carte locale d'exposition au recul du trait de côte. Coédition BRGM et Cerema, août 2022, 95 p. ISBN : 978-2-7159-2791-9 et 978-2-37180-566-827. TA Versailles, 22 sept. 2022, n° 200568328. TA Versailles, 8 déc. 2022, n°s 2006560, 2007298 et 200634229. Ibid.30. Ibid., n° 200656031. CA Montpellier, 3 nov. 2022, n° 22/0234232. CA Montpellier, 30 mars 2023, n° 20/0383233. CA Nîmes, 8 juin 2023, n° 22/0002934. CA Bordeaux, 11 mai 2023, n° 22/0292735. CA Toulouse, 15 mars 2023, n° 21/0356936. CA Nîmes, 29 juin 2023, n° 22/0134237. CA Bourges, 20 oct. 2022, n° 22/0026538. C. assur., art. L. 114-1, al. 139. Cass. 2ème civ., 19 janv. 2023, n° 21-17.93640. « L'indemnité due aux termes de la garantie correspondait au coût total des travaux à réaliser pour réparer ou reconstruire le bâtiment et qu'aucune clause des dispositions particulières ne concernait les aménagements à caractère immobilier du terrain, de sorte qu'elle comprenait le coût des travaux sans lesquels le chemin ne pouvait être reconstruit ».

41. Cass. 3ème civ., 6 juill. 2023, n° 22-14.68342. CA Toulouse, 22 nov. 2022, n° 19/0509843. Cass. 3ème civ., 26 oct. 2022, n° 21-22.42744. Cass. 3ème civ., 14 sept. 2023, n° 21-22.42945. CA Versailles, 30 mars 2023, n° 21/0321446. CA Montpellier, 6 juill. 2023, n° 18/0549447. CA La Réunion, 3 mars 2023, n° 21/0113948. Cass. 3ème civ., 18 janv. 2023, n° 21-244.266

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