Le 20 septembre, Alexis Dutertre, l'ambassadeur français en République tchèque, a publié un tweet qui affiche le soutien de la France pour intégrer l'électricité nucléaire mais aussi le gaz comme des énergies « vertes » dans le cadre de la taxonomie de la finance durable de l'Union européenne. Cette taxonomie définit les domaines dans lesquels les investissements sont considérés comme durables ainsi que les financements nécessaires pour atteindre une baisse de 55 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) en 2030 et la neutralité carbone en Europe en 2050. En 2022, la France (au premier semestre) et la République tchèque (au second semestre) se partageront la présidence du Conseil de l'Union européenne. Alexis Dutertre félicite la coopération des deux pays pour inclure les deux filières énergétiques controversées dans le prochain acte délégué sur la taxonomie verte. Selon le média européen Euractiv, ce projet de texte pourrait être présenté par la Commission européenne en novembre ou décembre 2021, après le résultat des élections fédérales allemandes (organisées le 26 septembre).
« Le marchandage de la France » décrié par les ONG
Car le sort de ces deux énergies divise les pays européens. La France, la République tchèque, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie défendent le nucléaire. « Il n'y a aucune raison pour que l'énergie nucléaire ne soit pas incluse d'ici à la fin de l'année dans la taxonomie », a ainsi réitéré, le 10 septembre dernier, Bruno Le Maire, le ministre français de l'Économie, en soutenant cette « énergie décarbonée indispensable pour la lutte contre le changement climatique ».
En revanche, l'Allemagne (qui s'était engagée à sortir du nucléaire d'ici à fin 2022), l'Autriche, le Danemark, le Luxembourg et l'Espagne ne veulent pas intégrer l'énergie atomique, à l'instar de nombreuses ONG qui pointent des risques liés aux centrales et la gestion de leurs déchets.
Et ce tweet de l'ambassadeur Alexis Dutertre en faveur du gaz fait aussi bondir les ONG françaises. « La France soutient désormais l'inclusion du gaz dans une logique de "monnaie d'échange" afin de favoriser celle de l'énergie nucléaire, fustige Paul Schreiber, de Reclaim Finance. Le gaz peut émettre autant de GES que le charbon et est le premier émetteur du secteur énergétique. »
Et Greenpeace France de critiquer sur Twitter : « On croit rêver. La France considère le gaz et le nucléaire comme énergies vertes ? L'un est un gros émetteur de gaz à effet de serre, l'autre pose d'énormes problèmes environnementaux. On a beau chercher, on ne voit rien de vert à ça. » Neil Makaroff, du Réseau Action climat (RAC) France, dénonce aussi une position « cynique sur le climat » : « Pour faire entrer le nucléaire dans la définition des investissements "verts", la France est prête à soutenir l'inclusion du gaz fossile. »
Les études scientifiques favorables au nucléaire
La Commission européenne devra trouver un compromis satisfaisant à la fois la France et l'Allemagne. Cet arrangement pourrait aboutir à inclure le nucléaire dans la taxonomie verte car il n'émet pas de CO2. Et l'exécutif européen pourra s'appuyer sur les études scientifiques qu'il a confiées à ses groupes d'experts. En effet, dans un rapport rendu fin mars 2021, le service scientifique de la Commission européenne (Centre commun de recherche, JRC) a estimé qu' « aucune analyse ne fournit de preuves scientifiques que l'énergie nucléaire porte atteinte à la santé humaine ou à l'environnement davantage que les autres énergies » susceptibles d'intégrer la taxonomie. Ces conclusions ont ensuite été soutenues, fin juin, par deux autres organes de l'UE, le groupe d'experts de l'article 31 d'Euratom et le Comité scientifique des risques sanitaires, environnementaux et émergents (Scheer).
Après ces trois rapports d'experts « favorables à l'inscription du nucléaire dans la taxonomie comme une énergie "durable" », la Commission européenne vient, par une lettre, « de confirmer qu'elle suivra les conclusions de ces rapports », s'est réjoui le think tank Cérémé (Cercle d'études réalités écologiques et mix énergétique). Ce dernier a rendu publique cette lettre, datée du 16 septembre, adressée à 86 députés européens.
Le gaz, « une énergie de transition » éligible ?
De leur côté, les Allemands sont favorables à l'inclusion du gaz dans la taxonomie en tant qu' « énergie de transition » permettant de remplacer le charbon. Le règlement de la taxonomie « n'inclut ni n'exclut le gaz naturel », a aussi souligné la Commission européenne, en avril dernier. Et son projet d'acte délégué « couvrira également le gaz naturel et les technologies connexes en tant qu'activité transitoire », a ajouté Bruxelles.
Par ailleurs, l'Union européenne vient également d'émettre une obligation verte de 250 milliards d'euros qui pourront financer des centrales à gaz, « sous certaines conditions pour fournir une solution de transition dans la production d'énergie ». En revanche, Bruxelles exclut d'utiliser les obligations vertes pour des projets de centrales nucléaires.
Ce jeudi 23 septembre, 150 organisations européennes (Reclaim Finance, WWF Europe, Attac, Greenpeace Europe, Les Amis de la Terre France, RAC France, Birdlife, etc.) opposées à l'inclusion du gaz à la taxonomie, ont adressé une lettre à la Commission européenne, au Parlement européen et aux ambassadeurs de l'UE.
Reclaim Finance dénonce la pression des « lobbies » des secteurs gaziers et nucléaires auprès de l'UE : « Le lobbying massif de l'industrie gazière auprès de l'UE, en dépensant de 65 à 78 millions d'euros par an et employant 400 personnes à temps plein, porte ses fruits. » De même, « grâce au soutien de la France et à l'influence des experts du secteur, les 8 millions d'euros par an de lobbying pro-nucléaire ont conduit au doublement des réunions avec les officiels européens », déplore l'association.