La multiplication par dix de la valorisation des eaux non conventionnelles d'ici à 2030, comme le prévoit le Plan eau, est-elle accessible ? Le chemin s'annonce en tout cas semé d'embûches à la lecture des rapports du groupe de travail national sur la question. De la même manière, à propos plus précisément de la réutilisation des eaux usées traitées (Reut), l'objectif de 1 000 projets d'ici à 2027 apparaît comme une gageure au vu du timide développement de ces dernières années. Un état des lieux de 2017, réalisé par le Cerema, recensait alors 63 projets en fonctionnement, dont 57 % pour un usage agricole, 32 % urbain, 6 % industriel et 5 % pour le maintien des zones humides.
La mise à jour de 2022 par le groupe de travail Epnac de cet état des lieux centré sur les projets associant des stations d'épuration communales montre que seulement 13 projets ont pu entrer en fonctionnement en cinq ans. « Dans les nouveaux projets, l'utilisation est principalement pour des arrosages d'espaces verts, associés à des stations d'épuration de grosses capacités, souligne Rémi Lombard-Latune, ingénieur de recherche (PhD) réutilisation des eaux usées traitées dans l'unité UR Reversaal de l'Inrae, qui a actualisé l'étude. Seuls trois projets ciblent des usages agricoles, et encore, l'un est une ferme pédagogique et un autre une plateforme expérimentale. » Dans le même temps, la dizaine de projets arrêtés étaient essentiellement portés par des petites collectivités, pour des usages agricoles. L'étude a également identifié trois autres types de projets abandonnés : l'un pour l'irrigation d'un golf, le deuxième pour l'arrosage d'un parc urbain et le dernier pour un usage industriel.
Des projets à 95 % sur trois bassins
En considérant la totalité des projets, les usages agricoles restent toutefois majoritaires (42 %). Parmi ces derniers, les principales cultures irriguées avec des eaux usées traitées sont les céréales (dont les fourrages), suivies par des exploitations maraîchères (et légumes crus) (20 %) et des plantations de taillis à courte rotation (14 %). Les projets en fonctionnement sont principalement localisés (95 %) sur les bassins Adour-Garonne, Rhône-Méditerranée-Corse et Loire-Bretagne, la moitié des projets étant concentrés dans ce bassin.
Identifier les freins et les leviers
Afin de mieux connaître et accompagner le développement des projets de recours aux eaux non conventionnelles, l'État a installé, fin 2019, un groupe de travail animé par l'Association scientifique et technique pour l'eau et l'environnement (Astee). Lors de leurs réflexions, les acteurs ont identifié 10 types d'eau et 45 usages possibles. À partir de ces derniers, ils ont sélectionné les couples au plus fort potentiel pour analyser les freins et les leviers à leur développement. Parmi les obstacles identifiés figure toujours le cadre réglementaire. Même si une première évolution a été apportée par le décret 2023-835 du 29 août dernier.
« Pour l'instant, les modifications sont minimales, même si elles vont dans le bon sens, souligne Nicolas Condom, président-fondateur d'Ecofilae et copilote du sous-groupe de travail de l'Astee consacré aux usages urbains. Une vraie dynamique est enclenchée : de nombreuses études sont lancées. Mais les freins réglementaires font que la démarche est tortueuse, coûteuse. Nous y arrivons quand même, mais ce n'est pas fluide… Nous espérons que des évolutions plus conséquentes vont arriver. »
Plusieurs textes seraient « en cours de finalisation », selon le ministère de la Transition écologique : ces derniers visent, d'une part, à décliner à l'échelle nationale le règlement européen pour la réutilisation de l'eau usée traitée pour l'irrigation agricole et, d'autre part, à harmoniser les règles fixées pour les usages dans les espaces verts. Autres textes prévus et très attendus : ceux pour encadrer la Reut dans les industries agroalimentaires, mais aussi pour les usages dans le bâtiment.
Dans les grandes lignes, parmi les recommandations du groupe de travail pour favoriser l'émergence de projets de Reut, figurent la sortie de l'approche « en silo » et la possibilité de passer par un seul dossier d'autorisation pour toutes les sources et tous les usages non conventionnels. Les membres du GT souhaitent également que soit privilégiée une approche de gestion du risque du type de multibarrière proposée par le règlement européen « Reut pour l'irrigation agricole », plutôt que des prescriptions - nécessaires pour déroger aux exigences de qualité lorsque le risque est maîtrisé.
De la même manière, ils appellent au décloisonnement des politiques publiques : que les collectivités puissent intégrer dans leurs schémas directeurs d'alimentation en eau potable comme assainissement un volet sur les eaux non conventionnelles, mais également la mise en œuvre d'un guichet unique rassemblant l'ensemble des administrations compétentes. Autre levier : accompagner les acteurs dans l'identification de couples pertinents sur un territoire par exemple, avec un cahier des charges et des bonnes pratiques.
Enfin, les membres des groupes de travail se sont intéressés à la question du financement et de la rentabilité des projets. Ils proposent notamment de soutenir « le développement de méthodologies d'analyses coûts-bénéfices simplifiées et, plus largement, une réflexion sur le modèle à retenir pour chaque couple à opportunité, notamment sur la détermination du prix de l'eau recyclée en comparaison du prix de l'eau potable, ce qui peut être un frein au développement des projets ». Reste à voir quels seront les arbitrages du Gouvernement.