La Commission nationale du débat public a dévoilé, lundi 25 novembre, le compte-rendu du débat sur le 5e Plan national de gestion des déchets radioactifs. Il révèle une soif d'information du public sur l'éthique et la gouvernance du nucléaire.
« Ce débat a eu lieu sur la place publique avec des points de vue très opposés », note avec satisfaction Chantal Jouanno, qui n'aurait pas parié, lors de son lancement, pouvoir mener la consultation jusqu'au bout. La présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP) présentait, ce lundi 25 novembre, le compte rendu du débat sur le cinquième plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) avec les membres de la commission particulière (CPDP) qui a piloté cette consultation.
Au plan strict, ce débat, qui fait suite à celui de 2005 sur la gestion des déchets radioactifs, et celui de 2013 sur le Centre industriel de stockage géologique (Cigéo), porte sur la nouvelle édition du PNGMDR. Mais le débat a fait ressortir « une inquiétude citoyenne sur l'ensemble de le gestion des déchets et matières radioactives », explique Isabelle Harel-Dutirou, présidente la CPDP. Des sujets récurrents remontent des rencontres et consultations menées au cours du débat : l'impact sur la santé et l'environnement, la sûreté et la sécurité des transports, ainsi que la prise en compte des territoires. L'exercice n'est pas facile pour les maîtres d'ouvrage du plan (DGEC et ASN), reconnaît Chantal Jouanno : « Le public choisit les sujets qu'il veut ».
Responsabilité vis-à-vis des générations futures
À travers ces préoccupations, deux questions sont omniprésentes : celle de l'éthique et celle de la gouvernance. La question éthique ressort à travers la responsabilité vis-à-vis des générations futures et la légitimité à décider du risque acceptable. Quant à la gouvernance, Catherine Larrère, philosophe et membre de la CPDP, identifie quatre points principaux qui émergent du débat : l'importance de la dimension territoriale, le lien étroit entre la politique de gestion des déchets et la politique nucléaire, la longueur inhabituelle du temps de gestion des déchets radioactifs et la question de la confiance. « Éthique, gouvernance et confiance sont intimement liées dans ce débat où une partie du public a le sentiment d'être trompé depuis des années », résume Chantal Jouanno.
Sur le PNGMDR en lui-même, cinq questions étaient posées dans le dossier du maître d'ouvrage. L'une, particulièrement sensible, portait sur la phase industrielle pilote et la réversibilité du projet de Cigéo. « Deux nécessités très fortes ressortent du débat, rapporte Michel Badré, membre de la CPDP et ancien président de l'Autorité environnementale : l'adaptation de la conduite du projet au contexte scientifique, technique, socio-économique et politique évolutif, ainsi qu'un dispositif permanent de participation du public ».
Les chiffres du débat public
Le débat s'est déroulé du 17 avril au 25 septembre 2019. Vingt-deux réunions ont été organisées à travers toute la France, réunissant plus de 3 400 participants. Le site Internet du débat a comptabilisé 28 820 visites. Cette participation a donné lieu à 443 avis, 86 questions, 62 cahiers d'acteurs et 3 043 messages. La commission particulière du débat public a mis en place trois outils innovants : la clarification des controverses, méthode de co-construction de l'information à destination du public ; le groupe miroir, composé de quatorze citoyens tirés au sort ; et l'atelier de la relève, composé de 40 étudiants.
La loi de 2006, relative à la transparence et la sécurité en matière nucléaire, a en effet fait du stockage géologique profond la solution de référence. Mais la question des modalités de gestion des déchet à haute et moyenne activité à vie longue (MA/HA-VL) «
reste à l'origine d'une conflictualité très forte autour du projet Cigéo ». Elle continue à opposer les partisans du stockage géologique profond à ceux d'un entreposage en subsurface, pendant deux ou trois siècles, afin de laisser du temps à la recherche sur la transmutation en vue de réduire la radioactivité des déchets. Les interrogations du public ont porté sur la sûreté du stockage et sa réversibilité, ainsi que sur les perspectives de recherches sur la transmutation. «
Des éléments communs sont toutefois partagés par les partisans des deux options : la nécessité d'un entreposage des déchets les plus chauds pendant plusieurs décennies et la gestion pérenne des déchets vitrifiés », constate avec satisfaction Michel Badré.
Enjeux techniques et financiers considérables
Parmi les autres questions soumises à débat figurait celle de la frontière entre matières et déchets. « Les enjeux techniques et financiers sont considérables », souligne Antoine Tilloy, membre de la CPDP et chercheur à l'Institut Max Planck. Les opposants au nucléaire souhaiteraient, par précaution, classer en déchets toutes les substances dont la possibilité de réemploi n'est pas garantie. Quant aux capacités d'entreposage des combustibles usés, le débat existe entre EDF, qui souhaite créer une nouvelle piscine centralisée, et les partisans d'un entreposage à sec comme Greenpeace. « Un consensus s'est dégagé (…) autour du besoin de nouvelles capacités d'entreposage vers l'échéance 2030 », se félicite le polytechnicien.
Les deux dernières questions portaient sur la gestion de certaines catégories de déchets. Concernant les déchets de très faible activité (TFA), de gros volumes vont être produits avec le démantèlement de la centrale de Fessenheim. Des évolutions de la réglementation sont envisageables avec l'introduction de seuils de libération permettant de traiter les déchets dans des filières conventionnelles ou de dérogations ponctuelles pour des matériaux comme l'acier. « Le contrôle de radioactivité en sortie ressort comme un point crucial », rapporte Antoine Tilloy. Quant aux déchets de faible activité à vie longue (FA-VL), l'hétérogénéité de cette catégorie semble expliquer les difficultés à mettre en place une filière de gestion. « Des expertises techniques sont nécessaires, suivies d'une consultation territorialisée du public », explique le chercheur.
Éthique, gouvernance et confiance sont intimement liées dans ce débat où une partie du public a le sentiment d'être trompé depuis des années.
D'autres thèmes sont ressortis spontanément du débat public, comme celui du retraitement des combustibles nucléaires usés, mais aussi des déchets issus de la conversion de l'uranium, des déchets historiques et des
déchets miniers. Le rôle de l'ASN, chargée à la fois d'élaborer le plan avec la DGEC et de contrôler la pertinence des mesures de sûreté, pose question pour certains participants du débat soucieux de l'indépendance des autorités de contrôle. Enfin, la durée du plan, fixée à trois ans, est apparue très courte, cohérente ni avec la
nature des enjeux, ni avec celle de la
programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) qui couvre une période de cinq ans. Une durée qui ne satisfait pas non plus Chantal Jouanno, qui ne voit pas comment organiser un débat à chaque édition du PNGMDR.
« Des réponses à toutes les recommandations »
Que va-t-il advenir des conclusions de ce débat ? Les maîtres d'ouvrage disposent de trois mois pour apporter leur réponse. Dans un communiqué publié mardi 26 novembre, Élisabeth Borne indique qu'elle « engagera, conjointement avec l'ASN, l'élaboration des suites données par le Gouvernement à ce débat ». La ministre de la Transition écologique annonce la consultation des parties prenantes, notamment associations et parlementaires, dans l'élaboration des propositions qui seront intégrées dans la prochaine édition du PNGMDR. Un plan qui sera élaboré au cours de l'année 2020 alors qu'il est censé couvrir la période 2019-2021.
« Nous veillerons à ce que les maîtres d'ouvrage apportent des réponses à toutes les recommandations », annonce Mme Jouanno, qui met en avant la confiance dont ont fait preuve les participants au débat, « notamment les opposants aux choix nucléaires ». « Trahir cette confiance conduira inévitablement à discréditer les institutions, la participation, et donc à alimenter le discours de la défiance et de la violence », prévient avec gravité la présidente de la CNDP.
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Note Direction générale de l'énergie et du climat du ministère de la Transition écologique
Note Autorité de sûreté nucléaireArticle publié le 26 novembre 2019