L'État a du mal à se départir de la moindre once de ses compétences. Le projet de décret (1) portant réforme de l'autorité environnementale des projets vient le prouver une nouvelle fois. Ce texte, que le ministère de la Transition écologique soumet à la consultation du public (2) jusqu'au 28 février prochain, a fait l'objet d'un avis (3) de l'Autorité environnementale nationale (Ae) en date du 5 février.
Il s'inscrit dans un long feuilleton sur la question de l'indépendance de l'Autorité environnementale que le Gouvernement n'arrive pas à trancher, empoisonnant ses propres services, les porteurs de projet et le public, depuis plusieurs années. La législation communautaire prévoit qu'une autorité environnementale rende un avis public sur la qualité des évaluations et la bonne prise en compte de l'environnement par les projets. Il était aussi prévu que cette autorité se prononce au cas par cas sur certains projets afin de déterminer s'ils doivent faire ou non l'objet d'une évaluation environnementale.
Le préfet ne peut être l'autorité environnementale
Afin d'assurer l'indépendance de l'autorité environnementale, telle que définie par la décision Seaport d'octobre 2011 de la Cour de justice de l'Union européenne, le Conseil d'État avait annulé, en décembre 2017, une disposition du décret du 28 avril 2016. Ce texte attribuait, dans certains cas, la compétence d'autorité environnementale au préfet de région. Or, celui-ci ne pouvait être en même temps l'autorité décisionnaire d'un projet et l'autorité chargée de se prononcer sur la bonne prise en compte de l'environnement par ce même projet.
Pour répondre à cette exigence, le ministère de la Transition écologique avait alors rédigé un projet de décret confiant cette compétence aux missions régionales d'autorité environnementale (MRAe). Mais, par le même texte, le Gouvernement envisageait de maintenir la compétence du préfet de région sur la procédure de « cas par cas ». En juillet 2018, l'Autorité environnementale nationale avait rendu un avis critique sur ce projet de décret, pointant, tout comme le Conseil d'État, son illégalité puisque cette compétence était attribuée à l'autorité environnementale depuis la loi Grenelle II.
Qu'à cela ne tienne. Le Gouvernement a décidé de profiter du projet de loi sur l'énergie présenté au printemps 2019 pour modifier la disposition législative bloquante et permettre de confier, malgré tout, la compétence du « cas par cas » au préfet de région. Pour cela, la loi, promulguée en novembre dernier, confie cette compétence non plus à l'« autorité environnementale » mais à une « autorité chargée de l'examen au cas par cas » qui sera définie par décret. Le Parlement a accepté ce transfert de compétence, à condition toutefois de prévenir tout conflit d'intérêt. « À cet effet, ne peut être désignée comme autorité en charge de l'examen au cas par cas ou comme autorité environnementale une autorité dont les services ou les établissements publics relevant de sa tutelle sont chargés de l'élaboration du projet ou assurent sa maîtrise d'ouvrage », prévoit le texte de loi issu de la commission mixte paritaire du 25 juillet dernier.
Silence total du décret sur les conflits d'intérêt
Dans son nouvel avis, l'Autorité environnementale pointe de nouveau « l'extrême complexité du dispositif et [le] défaut de lisibilité qui en résulte, tant pour le public, que pour les maîtres d'ouvrage et les autorités décisionnaires ». En effet, explique-t-elle, « outre la création d'une nouvelle autorité, il conduit à la dissociation au niveau régional entre la compétence de l'autorité environnementale (avis) et celle chargée de l'examen au cas par cas (décision) », alors que « leur exercice par une même autorité garantit la cohérence et la fluidité du processus ».
Mais, surtout, l'Ae pointe le silence total du décret sur les situations de conflit d'intérêt alors qu'il s'agissait de la condition inscrite par les parlementaires dans la loi pour accepter le transfert de compétence. Elle rappelle que cette disposition a été adoptée « pour garantir la conformité du droit français avec le principe d'"objectivité" inscrit dans la directive projet, pour les décisions comme pour les avis ».
« Ce décret offre l'opportunité de fournir une définition plus cohérente et plus lisible des champs de compétence, tenant compte de la définition des conflits d'intérêt, encadrée par les directives européennes et désormais par la loi du 8 novembre 2019, et précisée par la jurisprudence du Conseil d'État », explique l'Ae. Une opportunité que le Gouvernement n'a manifestement pas encore su saisir.