« La prévention du risque technologique (…) repose aujourd'hui sur un système où le "risque courant" que représentent 450 000 installations classées ne fait l'objet de presque aucun contrôle, sinon en cas d'incident, alors que les contrôles et sanctions en cas d'infraction présentent un caractère peu dissuasif. » Le constat n'est pas fait par une association de protection de l'environnement, bien qu'elle le partagerait certainement, mais par la Cour des comptes dans un rapport (1) sur la gestion publique des risques publié le 9 juin.
Les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) sont au nombre de 500 000 environ en France. Mais seuls les 42 700 établissements relevant des régimes d'enregistrement et d'autorisation, qui présentent les risques les plus importants, sont réellement contrôlés, tandis que ceux relevant du simple régime de déclaration passent largement sous les radars.
Deux pour cent des installations contrôlées
Parmi les établissements enregistrés ou autorisés, ceux qui sont jugés prioritaires, comme les établissements Seveso et/ou ceux relevant de la directive sur les risques industriels (IED), doivent être contrôlés tous les ans. Ceux qui sont jugés « à enjeux » doivent être contrôlés au moins tous les trois ans. Au maximum, les établissements soumis à enregistrement ou à autorisation doivent être contrôlés tous les sept ans. « En 2021, en moyenne sur le territoire national, la fréquence effective des inspections de ces installations était de 3,3 ans, cohérente avec les directives nationales, et stable depuis 2014 », rapporte la Cour des comptes. Mais des disparités régionales existent avec des fréquences d'inspection plus faibles, notamment en Bretagne (6 ans) et dans les Pays de la Loire (4,3 ans), ajoute la juridiction financière. Il s'agit des deux régions qui concentrent le plus grand nombre d'installations classées agricoles.
Les autres installations, c'est-à-dire celles relevant du régime de déclaration, ne sont contrôlées qu'en cas de signalement ou d'accident, ou si elles figurent sur les priorités annuelles de l'inspection. « Ces contrôles sont sporadiques : ils ne concernaient, en moyenne nationale, que 2 % des installations en 2021 », rapporte la Cour des comptes. « On assume ne pas aller les voir », assurait Anne-Cécile Rigail, cheffe du service des risques technologiques au ministère de la Transition écologique, le 6 juin dernier devant les membres de l'Association française des ingénieurs et techniciens de l'environnement (Afite). L'Administration affecte en effet ses quelque 1 600 inspecteurs, chargés à la fois du contrôle mais aussi de l'instruction des dossiers des exploitants, en priorité sur les établissements les plus à risques, dont ne font pas partie les installations déclarées.
Feu vert quasi-automatique
Le suivi des installations soumises à déclaration est donc « limité à l'instruction par les préfectures de la procédure de déclaration », au moment de leur ouverture, relèvent les magistrats financiers. Or, le feu vert des services de l'État est quasi-automatique à partir du moment où le dossier de demande est complet. Ceux-ci disposent d'un délai de quinze jours pour, le cas échéant, se manifester auprès du demandeur avant qu'il ne puisse démarrer son exploitation. « On n'encourage pas à une instruction approfondie. Et les guichets des préfectures regardent un peu, ou pas du tout », admet Cécile Rigail.
Sanctions non dissuasives
Deux garde-fous sont censés exister. C'est, en premier lieu, le système de contrôle périodique qui s'applique aux installations déclarées qui présentent le plus d'enjeux. Il consiste à externaliser le contrôle de ces établissements à des organismes privés agréés par l'Administration et doit théoriquement permettre de mettre fin aux non-conformités éventuellement constatées. Mais, d'une part, toutes les ICPE relevant de la déclaration n'y sont pas soumises et toutes celles qui devraient l'être ne le sont pas. Dans un précédent rapport portant sur les installations agricoles, publié en novembre 2021, la Cour des comptes constatait que de très nombreux élevages relevant de la déclaration avec contrôle périodique avaient été soustraits à cette obligation « à la demande de la profession ».
D'autre part, le dispositif est très mal appliqué par les établissements qui en relèvent. « En 2011, sur 5 145 contrôles réalisés, 144 installations étaient conformes, représentant 2,8 % des installations contrôlées », rapportait le docteur en droit Gabriel Ullmann dans une analyse (2) approfondie du régime des ICPE soumises à déclaration. En outre, les rapports établis par les organismes agréés remontent très mal à l'inspection des installations classées, relevait aussi la Cour des comptes. À travers les orientations stratégiques de l'inspection des installations classées pour la période 2023 à 2027, le Gouvernement indique avoir entendu ce message. « Un système d'information sera mis en place pour amener ces organismes à déclarer les sites sur lesquels ils ont mené un contrôle et à en donner les principales conclusions. Les inspecteurs des installations classées pourront ainsi mener des vérifications ponctuelles sur ces éléments », assure l'exécutif. Mais un obstacle technique doit être surmonté : les bases de données qui hébergeaient, en préfectures, les informations sur les ICPE soumises à déclaration jusqu'en 2022 ne sont pas connectées au système de pilotage des autres installations classées.
Le deuxième garde-fou est celui des sanctions. « Pour ces installations, l'efficacité du dispositif de prévention repose (…) surtout sur des sanctions censées jouer un rôle dissuasif », relèvent les magistrats financiers. Or, cet effet dissuasif « reste limité », pointent-ils. Sur le plan administratif, les sanctions sont rares, les services de l'État recherchant en priorité la mise en conformité de l'installation. Sur plan pénal, les peines sont faibles. Le fait d'exploiter une installation soumise à déclaration sans avoir fait la déclaration prévue ou sans respecter les prescriptions techniques qui lui sont applicables constitue une contravention de cinquième classe. Une infraction punie d'une amende maximale de 1 500 euros pour les personnes physiques (7 500 euros pour les personnes morales). « Soit une sanction pécuniaire inférieure au coût dudit contrôle… et bien inférieure au montant des travaux de conformité à réaliser », dénonçait Gabriel Ullmann.