Avec le développement de l'agriculture intensive, les installations agricoles présentent des risques d'accidents et de pollutions qui n'ont plus rien à voir avec les petites exploitations familiales d'antan, qu'il s'agisse d'élevages intensifs, de méthaniseurs, de silos ou de stockages d'ammonitrates. Ce qui a justifié le classement d'un grand nombre d'entre elles au titre de la réglementation sur les ICPE.
Alors que beaucoup d'exploitants, relayés par les syndicats agricoles, font part de leur incompréhension par rapport aux contrôles, la Cour des comptes pointe au contraire l'insuffisance de ceux-ci à travers un rapport publié le 9 mai. « Les moyens de contrôle des ICPE, partagés entre le ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation et le ministère de la Transition écologique, ne sont pas à la mesure du nombre des installations et des enjeux environnementaux. Les sanctions restent rares et peu dissuasives », tance la juridiction financière.
Statistiques peu fiables
Le constat, sévère, dressé par la Cour des comptes, porte en premier lieu sur la mauvaise identification des ICPE agricoles. Essentiellement constituées d'élevages, ces installations étaient au nombre de 120 000, en 2020, et représentaient plus de 20 % des ICPE. Elles relèvent pour la très grande majorité (90 %) du régime le moins sévère, la déclaration, seules 8 % d'entre elles relevant de celui de l'enregistrement et 2 % de l'autorisation. Mais ces statistiques sont peu fiables, expliquent les auteurs du rapport, en raison de l'absence d'interconnexions entre bases de données, notamment entre celle qui centralise les déclarations et celle pour leur suivi. L'une des quatre recommandations formulées par la rue Cambon est précisément celle de « donner sans délai aux services chargés du contrôle un accès rapide, complet et gratuit à toutes les bases de données d'identification animale ».
Assouplissement de la réglementation
Les magistrats financiers pointent ensuite deux salves de mesures d'assouplissement de la réglementation intervenues au bénéfice de ces installations. En premier lieu, le transfert d'un grand nombre d'élevages du régime d'autorisation vers celui de l'enregistrement, qui a conduit à soustraire les installations les plus importantes à la procédure d'évaluation environnementale. En deuxième lieu, de très nombreux élevages relevant de la déclaration ont été soustraits à l'obligation de contrôle périodique par des organismes agréés, « à la demande de la profession », rappelle le rapport.
« Pour autant, la réglementation actuelle ne satisfait ni les représentants de la profession agricole, qui la considèrent encore trop contraignante, ni les associations de protection de l'environnement ou les associations de riverains, qui souhaiteraient a contrario la voir durcie », constate la Cour. Concernant les premiers, on relève effectivement une mobilisation des organisations agricoles contre les contraintes pesant sur les installations classées agricoles. C'est le cas de la FNSEA, mais aussi de la Confédération paysanne, contre le projet européen de renforcer la directive sur les émissions industrielles (IED). On notera aussi, sur le plan judiciaire cette fois et dans une affaire de troubles de voisinage, le rassemblement organisé, le 6 mai, par la première pour soutenir un éleveur de l'Oise condamné à verser plus de 100 000 euros de dommages et intérêts à ses voisins pour les odeurs et les bruits résultant de son activité.
La Cour semble pourtant avoir davantage été convaincue par l'argumentaire des associations, puisque sa deuxième recommandation porte sur la réintroduction des contrôles périodiques pour certains élevages de bovins, de porcs et de volailles via une modification de la nomenclature des installations classées. « Le rétablissement d'un tel régime nécessiterait, le cas échéant, des discussions avec la profession et l'interministériel pour envisager les modalités les plus pertinentes », répond la ministre de la Transition écologique. Les deux voies envisagées sont d'introduire un ou plusieurs critères complémentaires prenant en compte le niveau de pression environnementale exercé par l'installation ou, plus simplement, de réviser les seuils des rubriques concernées de la nomenclature. Les auteurs du rapport recommandent également de faire en sorte que les rapports établis par les organismes agréés chargés des contrôles soient bien transmis à l'Inspection des installations classées. Les « pertes d'information » étaient jusqu'à présent chose courante, à en croire la réponse de la ministre de la Transition écologique.
Moyens pas à la hauteur des enjeux
Le troisième constat de la Cour porte sur l'insuffisance des moyens consacrés au contrôle des installations. Ces moyens, partagés entre le ministère de l'Agriculture et celui de la Transition écologique, « ne sont pas à la mesure des enjeux environnementaux », relèvent les magistrats financiers. La stratégie de contrôle, constatent-ils, se concentre sur les installations soumises à autorisation ou à enregistrement, au détriment de celles relevant de la déclaration, les plus nombreuses, qui font pourtant l'objet de nombreux signalements et plaintes. « Il ne semble (…) pas inapproprié que la pression de contrôle soit plus importante sur les établissements à plus forts enjeux, et qu'elle ait pour conséquence positive des résultats meilleurs en matière de conformité avec la réglementation », rétorque la ministre de la Transition écologique.
La Cour relève également le temps consacré aux tâches d'instruction et au réexamen des dossiers relevant de la directive IED, ce qui entraîne une diminution du nombre de contrôles sur le terrain et empêche l'Inspection des installations classées d'atteindre les objectifs fixés dans les plans pluriannuels. Au-delà de la répartition de l'emploi du temps des inspecteurs entre les tâches d'instruction et de contrôle, ce constat pose une nouvelle fois la question de l'insuffisance du nombre d'inspecteurs (1 492 ETP en 2019) par rapport au nombre d'installations à contrôler (environ 500 000 en 2019). Après l'incendie de Lubrizol, 50 postes d'inspecteurs supplémentaires ont été créés, mais cela reste manifestement insuffisant et ils concernent de façon prioritaire l'industrie. Dans un rapport d'information publié en février dernier et faisant suite à leurs premières recommandations post-accident, les sénateurs préconisent la création de 200 postes d'inspecteurs supplémentaires d'ici à 2027. De plus, comme le relève la ministre, les trajectoires d'effectifs en matière d'inspection des installations agricoles sont essentiellement du ressort de son collègue de la rue de Varenne. « À défaut d'un renforcement des effectifs, il apparaît nécessaire de développer leur mutualisation à un niveau interdépartemental et une coopération interservices », préconise la Cour des comptes.
Dans le même temps, cette dernière reconnaît que la mutualisation des moyens humains, à laquelle s'ajoute l'amélioration des outils informatiques et le recours à l'intelligence artificielle pour détecter les installations clandestines, ne permettront pas, « à elles seules, d'assurer une surveillance satisfaisante des ICPE soumises à déclaration ». D'où sa préconisation de réintroduire les contrôles périodiques, mais aussi de mieux informer les exploitants sur les prescriptions qu'ils sont tenus de respecter pour limiter les pollutions et les risques.
Caractère peu dissuasif des sanctions
Enfin, les magistrats font le constat de la rareté et du caractère peu dissuasif des sanctions administratives et pénales. Sur le plan administratif, ils constatent, de manière générale, la recherche de mise en conformité de l'installation, sous-entendu au détriment de la sanction, et une hétérogénéité des suites données après un constat de non-conformité. Une hétérogénéité constatée également sur le plan pénal, suivant la sensibilité des parquets. Si des pôles environnementaux ont été créés, début 2021, et une instruction adressée dans la foulée aux procureurs, leur caractère récent « rend prématurée l'appréciation de leur impact », expliquent les auteurs du rapport.
À cet égard, la Cour recommande de systématiser la présentation d'un bilan annuel rendant compte de l'évolution détaillée du nombre d'ICPE agricoles, des résultats des actions de contrôle et des accidents et pollutions relevés, devant le Conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst). À rebours de la disposition votée, fin 2020, dans la loi Asap, qui a rendu facultative la saisine de cette instance de consultation. « Cette pratique, qui nécessite un investissement en temps des équipes nécessairement repris sur le temps consacré au contrôle est déjà mise en œuvre dans certains départements, en fonction du contexte et des attentes locales », assure Barbara Pompili, qui indique qu'elle incitera à la généralisation de cette pratique.