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Justice environnementale : les entreprises doivent à tout prix anticiper le risque pénal

Pierre-Philippe Boutron-Marmion interroge l'efficacité d'une pénalisation accélérée de la justice environnementale au détriment du développement de politiques de prévention contre les atteintes à l'environnement.

DROIT  |  Tribune  |  Gouvernance  |  
Droit de l'Environnement N°326
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°326
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Justice environnementale : les entreprises doivent à tout prix anticiper le risque pénal
Pierre-Philippe Boutron-Marmion
Avocat associé, Boutron-Marmion Associés
   

En 2023, l'actualité liée à la protection de l'environnement et à la lutte contre le réchauffement climatique a été riche, et devrait continuer à l'être au cours des prochaines années, dans un contexte où, selon un rapport du programme des Nations unies pour l'environnement et d'Interpol, « la criminalité environnementale [constitue] la quatrième activité criminelle (1) la plus combattue au monde après la contrebande de drogues, la contrefaçon et la traite des êtres humains ».

En France, on peut néanmoins regretter le manque, si ce n'est l'absence, d'intérêt réel porté à notre justice environnementale qui pourrait pourtant constituer un excellent outil de prévention contre les atteintes à l'environnement, dont beaucoup contribuent au réchauffement climatique de façon significative : pollution de l'air, des eaux, atteinte à la biodiversité, etc. En l'absence d'une véritable réflexion sur le sens et l'utilité de notre justice environnementale, nous assistons plutôt, et depuis plusieurs années déjà, à une « pénalisation » accélérée de celle-ci, comme en témoignent la création et l'accumulation de nouveaux délits environnementaux, la mise en œuvre de nouvelles procédures complexes, ou encore l'aggravation du quantum des peines de certains de ces délits. On peut citer, à titre d'exemple, l'extension aux délits environnementaux du recours à la convention judiciaire d'intérêt public – plus connue sous l'acronyme de « CJIP » - par la loi du 24 décembre 2020, la création de toute une série de nouveaux délits environnementaux, à l'instar du fameux délit d'« écocide », par la loi dite « Climat et Résilience » du 24 août 2021, ou encore la création d'une nouvelle catégorie d'inspecteurs environnementaux à part entière : les « officiers judiciaires de l'environnement ». Cette dernière évolution est majeure car en sus des pouvoirs déjà très importants des inspecteurs de l'environnement – lesquels peuvent accéder aux établissements, locaux professionnels et installations entre 6 et 21 heures ou sans restriction si les lieux sont ouverts au public ou si une activité soumise au code de l'environnement est en cours, procéder aux vérifications d'identité des personnes présumées responsables des infractions, procéder à des prélèvements et analyses par eux-mêmes ou par autrui requis par eux et les placer sous scellés, ou encore saisir des biens objet de l'infraction – le décret du 17 mars 2023, pris en application de la loi du 24 décembre 2020 précitée, prévoit une habilitation spécifique leur donnant les mêmes pouvoirs que les officiers de police judiciaire.

Cette même loi de 2020 a conduit à la création, dans le ressort de chaque cour d'appel, des pôles régionaux de l'environnement (PRE) pour spécialiser les juridictions destinées à traiter des affaires complexes d'atteintes à l'environnement. Lesdits pôles viennent s'ajouter aux pôles de santé publique et environnement (PSPE) basés à Paris et Marseille pour des affaires encore plus complexes (relatives à un produit de santé ou destiné à l'alimentation de l'homme ou de l'animal, etc.). Rappelons également l'annonce faite au mois d'août 2022 par le ministre de l'Intérieur de la création de 3 500 postes de gendarmes « verts », placés depuis le 1er juillet 2023 sous le commandement pour l'environnement et la santé (Cesan). Enfin, tout récemment, une circulaire du 9 octobre 2023 sur la politique pénale en matière de justice environnementale fixe trois objectifs : le renforcement de la coordination de l'action administrative et judiciaire (i), le renforcement de l'efficacité des enquêtes judiciaires traitant des atteintes à l'environnement (ii) et la mise en œuvre d'une réponse pénale ferme et adaptée (iii). C'est donc bien une véritable inflation des moyens répressifs à laquelle nous assistons ces dernières années.

La « pénalisation » de notre justice environnementale semble ainsi avoir atteint son paroxysme, mais est-ce que cela l'a rendue plus efficace ? On peut faire l'hypothèse que la « pénalisation » croissante de notre justice environnementale n'a fait qu'aggraver le manque de visibilité et d'accessibilité qui la caractérise et la rend si peu efficiente : les infractions environnementales sont ainsi devenues de plus en plus complexes, théoriques, nombreuses (près de 2 000 !) et éparpillées à travers plusieurs textes (code de l'environnement, code rural et de la pêche maritime, code forestier etc.). Enfin, la cohabitation de la police administrative et de la police judiciaire qui expose les contrevenants à des poursuites administratives et pénales en matière environnementale pose la question du cumul de sanctions et de la lisibilité des procédures, une réalité trop souvent ressentie par les justiciables. Or, cette situation n'est plus acceptable pour les justiciables qui se trouvent ainsi exposés à un risque pénal de plus en plus difficile à évaluer et donc à prévenir. Au premier rang de ces justiciables, se trouvent les entreprises, notamment celles de petite ou moyenne taille, dont les ressources financières, humaines et juridiques ne sont pas illimitées. Le risque ici est de se trouver confronté à des enquêtes administratives et judiciaires sans même avoir eu la possibilité d'évaluer voire d'anticiper une situation infractionnelle et d'ainsi se retrouver potentiellement en risque économique.

Que faire alors ? La priorité consiste à sortir notre justice environnementale de la seule logique répressive pour en faire, enfin, un outil de prévention efficace contre les atteintes à l'environnement. Pour ce faire, l'État peut agir à deux niveaux au moins. Il peut d'abord engager un véritable travail de simplification et de rationalisation du droit de l'environnement afin d'en garantir une meilleure lisibilité pour tous, justiciables et autorités judiciaires compris. Aujourd'hui, force est de constater qu'avec près de 2 000 infractions en droit pénal de l'environnement, celui-ci est de facto devenu illisible. Ce travail pourrait notamment passer par une rédaction plus « accessible » de certains délits environnementaux et par le regroupement de certaines sources dans de mêmes textes. Plus fondamentalement, l'État doit substituer son actuelle logique de contrôle et de sanction des entreprises par une logique d'accompagnement de ces dernières dans l'élaboration et la mise en œuvre de leurs outils de prévention des atteintes à l'environnement. Cela impliquerait, d'une part, d'élaborer des normes souples par le biais de chartes de bonne conduite, de lignes directrices, recommandations ou avis, spécifiques à chaque catégorie d'entreprises, en fonction de leur taille et de leur secteur d'activités, afin de leur permettre de mieux évaluer leurs risques environnementaux et de mieux les prévenir et, d'autre part, de doter une administration ou autorité dédiée de moyens financiers et humains suffisants pour répondre aux besoins des entreprises. Cela impliquerait également d'adopter des plans d'accompagnement concrets visant à aider les entreprises dans l'adoption de mesures concrètes ou de mise en conformité avant d'y être contraintes à la suite d'une procédure.

En l'absence de telles mesures de la part de l'État, les entreprises doivent impérativement s'organiser face à la « pénalisation » croissante de notre justice environnementale. En effet, le risque pénal très réel que représente désormais notre droit de l'environnement peut être anticipé par les entreprises de plusieurs manières : en sensibilisant leurs équipes aux questions juridiques liées à l'environnement ; en s'inspirant des outils de la compliance classique, notamment ceux prévus dans la loi du 9 décembre 2016 dite « Sapin II » en matière de lutte contre la corruption ou encore ceux déjà en place en matière de devoir de vigilance ; en adoptant des mesures visant à cartographier l'ensemble des risques pénaux liés à leurs activités pouvant affecter l'environnement ; en élaborant et collectant toute la documentation utile à l'évaluation régulière de ces risques ainsi qu'aux moyens mis en œuvre pour améliorer certaines situations ; en mettant en place des mécanismes d'alerte et de recueil des signalements relatifs à l'existence ou à la réalisation de ces risques. Enfin, et compte tenu du renforcement significatif des pouvoirs des inspecteurs de l'environnement, les entreprises doivent se préparer à l'éventualité de contrôles plus fréquents et plus poussés.

Les objectifs fixés par la circulaire du 9 octobre dernier sont sans ambiguïté : la répression pénale des atteintes à l'environnement est devenue une priorité. Dans ces conditions, et en l'absence d'une véritable politique de prévention, c'est aux entreprises, premières concernées, qu'il revient d'élaborer et mettre en œuvre les mesures de prévention les plus adaptées à leurs besoins, et de se préparer au mieux au risque de poursuites.

1. Rivaud J.-P., Réquisition en faveur d'une justice environnementale, Dossier : pour le droit pénal de l'environnement, AJ Pénal 2017, p. 520

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