Le programme de déploiement du compteur communicant Linky, par le gestionnaire du réseau de distribution Enedis, a déjà fait l'objet de nombreuses critiques. C'est au tour de la Cour des comptes d'apporter du grain à moudre aux détracteurs de Linky. Dans son rapport public annuel, présenté ce mercredi 7 février, elle pointe du doigt le coût du dispositif : près de 5,7 Md€, soit 130€ par compteur, et les "généreuses" conditions de rémunération d'Enedis. Or, "les gains que les compteurs peuvent apporter aux consommateurs sont encore insuffisants. Ce sont pourtant eux qui justifient l'importance de l'investissement réalisé. (…) Ainsi, les moyens mis en place pour permettre à l'usager de connaître sa consommation détaillée, préalable à toute action de maîtrise de la demande d'énergie, sont insatisfaisants", souligne-t-elle. La Cour des comptes demande donc à l'Etat de "mettre en place un véritable pilotage du programme", notamment de la maîtrise de la demande d'énergie, et au groupe Enedis de "définir un plan d'actions pour valoriser toutes les potentialités du programme Linky".
Pas si facile d'accéder aux données de consommation
Les compteurs communicants doivent permettre d'améliorer la connaissance, par les usagers, de leur consommation d'électricité. "Mais le compteur lui-même ne fournit, par lecture directe, que très peu d'informations : il ne permet d'obtenir comme données de consommation que le ou les index de consommation, la puissance apparente et la puissance maximale du jour", analyse la Cour des comptes.
L'information pourrait donc être fournie aux consommateurs par d'autres moyens : facturation, portails internet ou affichage déporté. Mais là aussi, la Cour des comptes constate que les moyens prévus par les différents acteurs sont peu satisfaisants.
En effet, la moitié des consommateurs d'électricité, ceux qui sont mensualisés, ne reçoivent une facture papier détaillant leur consommation qu'une fois par semestre. "Les fournisseurs envisagent seulement de communiquer mensuellement aux usagers leur consommation par messagerie électronique, mais la portée de tels messages est bien moindre que l'information de consommation réelle présente sur une facture", note la Cour des comptes.
Les portails internet proposés par le distributeur ou les fournisseurs pourraient constituer une alternative. Ils "restituent à l'usager via le système central du distributeur les informations envoyées par son compteur, notamment les consommations journalières". Mais aujourd'hui, seulement 1,5% des consommateurs disposant d'un compteur Linky (6,3 M de compteurs installés au 30 septembre 2017) ont ouvert un compte sur le portail proposé par Enedis. Autre faiblesse, souligne la Cour des comptes, "l'information de consommation mise à disposition de l'usager n'est jamais valorisée en euros, puisque le distributeur ne connaît pas les conditions tarifaires faites par le fournisseur à l'usager".
Les portails proposés par les fournisseurs permettent en revanche d'accéder aux données de consommation en unités physiques et en euros. "Cependant, Enedis ne transmettant aux fournisseurs que les données nécessaires à la facturation, ceux-ci ne disposent et ne peuvent donc mettre à la disposition de l'usager que les consommations mensuelles". Pour avoir accès à des données plus complètes, le consommateur doit donner à son fournisseur son accord explicite. Mais là aussi, réside un problème. Enedis n'a pas rendu opérationnelle la fonctionnalité qui permet au compteur Linky d'enregistrer la courbe de charge, "qui est l'historique de la consommation mesurée avec un pas de temps fin (10 minutes, 30 minutes - par défaut - ou une heure)" et permet la réalisation de bilans énergétiques. "Si l'usager n'a pas demandé au préalable la transmission des informations de la courbe de charge au système central d'Enedis, il ne pourra pas disposer, avant un an, des informations nécessaires à un audit énergétique ou une comparaison des offres des fournisseurs". Enfin, si cette fonctionnalité est finalement activée, elle ne permettra d'avoir un retour que sur quatre à cinq mois, Linky n'ayant pas une mémoire suffisante pour enregistrer ces données sur une année complète…
L'affichage déporté : un déploiement limité aux consommateurs précaires
L'affichage déporté, demandé initialement par de nombreux acteurs, permettrait quant à lui de fournir au consommateur, en temps réel, ses données de consommation. Cependant, la loi relative à la transition énergétique prévoit seulement la mise à disposition gratuite, à partir du 1er janvier 2018, de cet appareil par les fournisseurs d'électricité pour les consommateurs précaires. "Le choix de la cible fixée pour leur diffusion (les consommateurs précaires) n'a pas fait l'objet d'étude et aucune expérimentation n'a été réalisée, alors que le coût du dispositif est estimé à 100 M€", remarque la Cour des comptes.
Effacement et nouvelles offres : c'est pas gagné
Permettre des actions d'effacement des consommations fait partie des arguments en faveur de Linky. Seulement, le compteur "permet l'activation de l'effacement avec un délai de réaction, c'est-à-dire un délai entre la décision de procéder à l'effacement et la mise hors tension de certains équipements en aval des compteurs, de six heures", indique la Cour des comptes. Or, "certains acteurs considérant ce délai comme trop long, il existe un risque que les opérateurs d'effacement (tels que les fournisseurs de box énergie et de systèmes de pilotage des installations électriques), en utilisant des équipements qui leur seraient propres et indépendants du compteur, contournent assez largement Linky et que ce dernier ne soit ainsi pas exploité pour l'effacement".
Linky, en élargissant le nombre d'index de consommation et donc de plages tarifaires, devrait aussi favoriser l'émergence de nouvelles offres, allant plus loin que le système actuel heures pleines/heures creuses. Aujourd'hui, seuls deux fournisseurs, EDF et Engie, proposent des offres en s'appuyant sur ces nouvelles fonctionnalités, avec des tarifs plus avantageux le week end. "Il faut néanmoins relever, à la décharge des fournisseurs, que l'organisation du déploiement retenue, qui ne conduira à un taux d'équipement significatif en compteurs Linky pour un département ou une région qu'à sa fin [en 2021], ne facilite pas les actions de promotion des nouvelles offres".