« Notre proposition, qui aboutira à la toute première législation européenne en matière de sols, stimulera la résilience de l'Europe et garantira un avenir viable à ses agriculteurs, à ses propriétaires fonciers et à sa population », a assuré le commissaire européen à l'Environnement, Virginijus Sinkevičius. L'exécutif européen présentait, ce mercredi 5 juillet, sa proposition de directive sur la surveillance et la résilience des sols dans le cadre d'un paquet législatif sur les ressources naturelles comprenant également des textes sur les nouvelles techniques génomiques, les semences et le gaspillage alimentaire.
Cette proposition avait été annoncée lors de la présentation par la Commission européenne, en novembre 2021, d'une stratégie sur les sols après qu'une première tentative de législation, lancée en 2006, avait échoué, faute de soutiens de plusieurs États clés, dont la France. Cette stratégie a fixé l'objectif d'atteindre un bon état de tous les sols européens en 2050. À la suite de son lancement, Bruxelles avait lancé un appel à contributions en février 2022, puis soumis la proposition de législation à la consultation du public en août. Si les associations de protection de l'environnement se félicitent de cette initiative, elles pointent en revanche un manque d'ambition.
Un coût de plus de 50 Md€ par an
« Soixante à 70 % des sols de l'UE sont actuellement en mauvaise santé. En outre, un milliard de tonnes de sols est emporté par l'érosion hydrique chaque année, ce qui signifie que la couche supérieure fertile restante disparaît rapidement. Les coûts liés à la dégradation des sols sont estimés à plus de 50 milliards d'euros par an », explique la Commission européenne pour justifier la nécessité de légiférer.
Cette dégradation des sols réduit les services écosystémiques qu'ils fournissent : production alimentaire et sylviculture, cycle des nutriments, séquestration du carbone, lutte contre les parasites, régulation de l'eau, etc. Elle est due à différents facteurs : imperméabilisation, pollution, surexploitation des terres, changement climatique… « L'érosion des sols peut entraîner une perte annuelle de productivité agricole de 1,25 milliard d'euros dans l'UE », estime la Commission.
Or, si l'air et l'eau bénéficient d'une protection juridique dans l'Union européenne, ce n'est pas encore le cas des sols. « Une loi sur les sols ambitieuse est absolument nécessaire pour combler le vide juridique et donner au sol la même importance que l'air, l'eau et l'environnement marin ont depuis longtemps », estime ainsi le Bureau européen de l'environnement (BEE), qui fédère des associations de protection de l'environnement dans toute l'Europe.
« Aucune obligation directe pour les agriculteurs »
Que prévoit la directive en projet ? « En deux mots, elle donne une définition légale des sols en bonne santé et nous permet de collecter des données sur l'état des sols, de normaliser une gestion durable des sols et, surtout, nous aide à assainir les sols pollués », explique Virginijus Sinkevičius.
Ces données doivent permettre de prévenir les catastrophes, sachant que des sols sains retiennent jusqu'à 25 % de leur masse en eau et favorisent un couvert végétal « antifeu et résistant », rappelle la Commission. « Les données relatives aux sols étayeront des solutions innovantes, technologiques et organisationnelles, notamment dans les pratiques agricoles », explique aussi Bruxelles. Parmi ces solutions, qui doivent permettre d'accroître la fertilité tout en réduisant les besoins en eau et en engrais, sont cités la diversification des cultures, l'agriculture de précision, le développement végétal ou encore les outils numérisés de gestion des sols. « La proposition n'impose aucune obligation directe aux propriétaires et gestionnaires de terres, y compris aux agriculteurs », tient à préciser l'exécutif européen. Celui-ci envisage plutôt un paiement des services environnementaux rendus par les agriculteurs et gestionnaires de foncier, notamment pour le stockage du carbone, qui passerait par un système de certification de la santé des sols.
Définir les bonnes et mauvaises pratiques
La directive imposera aux États membres de définir les bonnes et les mauvaises pratiques en matière de gestion des sols. Ces derniers devront élaborer et mettre en œuvre « des mesures de régénération visant à rétablir la bonne santé des sols dégradés » sur la base des évaluations réalisées en amont.
Enfin, concernant les sites pollués, que la Commission estime à 2,8 millions dans l'UE, les États membres devront les recenser, les cartographier, les rendre publics, et « s'attaquer aux risques inacceptables pour la santé humaine et l'environnement » en faisant application du principe pollueur-payeur.
« Si nous saluons la publication de cette législation cruciale, nous sommes déçus du manque d'ambition », réagit Caroline Heinzel, chargée de mission sur les sols pour le BEE. Un manque d'ambition que reflèterait le changement de nom de la directive axé sur la surveillance des sols et non plus sur leur restauration. « La proposition ne répond pas aux attentes en n'incluant pas d'objectifs juridiquement contraignants ou en exigeant des plans obligatoires, et en ne reconnaissant pas suffisamment le rôle fonctionnel de la biodiversité des sols », critique la représentante des ONG environnementales.
La proposition de texte doit maintenant être examinée par le Parlement européen et le Conseil. « Il appartient maintenant aux colégislateurs d'apporter les modifications nécessaires pour s'assurer qu'il devienne un outil efficace pour protéger et restaurer de toute urgence la santé des sols de l'UE ! » exhorte Caroline Heinzel.