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Droit nucléaire : retour sur l'année 2022

L'année 2022 a été marquée par l'urgence climatique et la question de l'indépendance énergétique de la France face au conflit ukrainien. Ce dernier a notamment mis en lumière le vide juridique relatif au statut des INB en temps de conflits armés.

DROIT  |  Synthèse  |  Energie  |  
Droit de l'Environnement N°318
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°318
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Droit nucléaire : retour sur l'année 2022
Hervé Arbousset, Valentine Erne-Heintz, Claire Portier, Muriel Rambour, Thomas Schellenberger, Marie-Béatrice Lahorgue avec la collaboration de Marc Léger
Respectivement enseignants-chercheurs, université de Haute-Alsace, Centre européen de recherche sur le risque, le droit des accidents collectifs et des catastrophes (Cerdacc), et président de la section française de l'Association internationale du droit n
   

I.Institutions –Acteurs

Taxonomie : 31 décembre 2021 - La Commission européenne dévoile son projet de labellisation verte pour les centrales nucléaires et à gaz qui prévoit d'intégrer le nucléaire sous certaines conditions

La proposition de texte communiquée aux États membres fixe les critères permettant de classer comme « durables » les investissements dans les centrales nucléaires ou à gaz pour la production d'électricité, avec pour objectif d'orienter la « finance verte » vers les activités contribuant à la réduction des gaz à effet de serre.

Un règlement délégué de la Commission du 9 mars 2022 modifie le règlement délégué du 4 juin 2021 relatif au volet climatique de la taxonomie. Il fixe des critères d'examen technique applicables à des activités économiques relevant des secteurs de l'énergie qui n'avaient pas été incluses initialement dans l'acte relatif au volet climatique de la taxonomie, à savoir :

-          les phases précommerciales des technologies avancées pour la production d'énergie à partir de procédés nucléaires avec un minimum de déchets issus du cycle du combustible ;

-          la construction et l'exploitation sûre de nouvelles centrales nucléaires pour la production d'électricité ou de chaleur, y compris pour la production d'hydrogène, à l'aide des meilleures technologies disponibles ;

-          la production d'électricité à partir de l'énergie nucléaire dans des installations existantes ;

-          la production d'électricité à partir de combustibles fossiles gazeux ;

-          la cogénération à haut rendement de chaleur/froid et d'électricité à partir de combustibles fossiles gazeux ;

-          la production de chaleur/froid à partir de combustibles fossiles gazeux dans un système efficace de chauffage et de refroidissement urbain.

Les positions de la Commission européenne concernant la place du nucléaire dans le mix énergétique et de facto dans la taxonomie des investissements durables, auxquelles le Parlement ne s'est pas opposé, considèrent qu'en l'absence de solution bas carbone réalisable sur le plan technologique et économique, le nucléaire représente, aujourd'hui, une énergie de transition pour atteindre la neutralité carbone d'ici 2050. Ce choix a d'ailleurs été retenu par un certain nombre d'États membres qui décident soit de lancer de nouveaux programmes de construction (France, Pays-Bas, Pologne), soit de prolonger la durée d'exploitation de certaines installations nucléaires existantes (France, Belgique). Il rejoint les conclusions des travaux d'instances nationales à l'aune du ministère de la Transition écologique et solidaire via la Stratégie française pour l'énergie et le climat (Sfec) et la loi de programmation énergie-climat (LPEC). Elle a, en ce sens, présenté un acte délégué complémentaire relatif aux objectifs climatiques de la taxonomie verte. Outre une obligation d'informations spécifiques garantissant la transparence envers les investisseurs potentiels, cet acte insère, dans son article 10, paragraphe 2, les conditions d'intégration des activités gazières et nucléaires à la liste des activités transitoires déjà applicables depuis le 1er janvier 2022 (1) . En l'espèce, les activités nucléaires devront contribuer à la transition vers la neutralité climatique, satisfaire à des exigences de sûreté nucléaire et environnementale. Ces nouvelles dispositions complémentaires entrent en vigueur le 7 août 2022 et devraient être applicables à partir du 1er janvier 2023. Cette entrée en vigueur différée permet aux entreprises d'évaluer si leurs activités économiques liées au gaz fossile et à l'énergie nucléaire satisfont ces critères d'examen technique et d'élaborer un rapport sur la base de cette évaluation.

Ce compromis politique qui reconnaît l'utilité du nucléaire comme « énergie de transition » découle d'un besoin important d'investissements privés pour atteindre la neutralité carbone : la classification des activités contribuerait alors à orienter les investisseurs privés tout en accélérant le processus de transition énergétique. Toutefois, la Commission européenne souligne que les critères d'examen technique pour les activités de production d'énergie nucléaire tout au long du cycle de vie restent absents car l'expertise débutée en 2020 n'a pas fourni ses conclusions : la principale question est de savoir si, concernant le nucléaire, les déchets nucléaires pouvaient être compatibles avec l'article 17, paragraphe 1 du règlement du 18 juin 2020 à savoir ne pas causer de préjudice important à d'autres objectifs environnementaux (2) . Autrement dit, si l'activité nucléaire est, dans sa phase de production, considérée comme une énergie qui peut contribuer à la décarbonation des économies de l'Union européenne, et faciliter le déploiement des énergies renouvelables intermittentes, il reste à définir si les activités d'élimination des déchets n'ont pas d'effets néfastes à long terme. À ce titre, il est prévu d'introduire un critère indiquant, d'une part, la réduction au maximum du volume des déchets radioactifs et d'autre part, la mise en place d'un plan de gestion des déchets radioactifs garantissant la transition vers une économie circulaire via une réutilisation ou un recyclage de ces déchets à la fin de vie des installations, conformément à la hiérarchie des déchets comme l'autorisent les directives du 19 juillet 2011 et du 5 décembre 2013.

J'AI LU POUR VOUS

Bothe M., Scharpf H. « La juridiction administrative allemande empêche-t-elle le développement pacifique de l'énergie nucléaire ? », RJE, 1986/4, p. 420-439

Depuis la construction des premiers réacteurs en 1955, l'énergie nucléaire a toujours fait débat en Allemagne. Le mouvement antinucléaire y est très actif, ayant provoqué jusqu'à l'arrêt de la construction d'une centrale nucléaire à Whyl en 1977. C'est dans ce contexte que s'inscrit l'article de M. Bothe et H. Scharpf. Publié à la Revue Juridique de l'Environnement en 1986, il concerne plus spécifiquement le rôle du juge administratif allemand dans le développement de l'énergie nucléaire, et vise à démonter l'idée selon laquelle celui-ci aurait joué un rôle d'obstruction contre une politique gouvernementale favorable à la construction de nouvelles centrales.
Après avoir rappelé le caractère essentiellement subjectif du contentieux administratif allemand (un recours contre un acte administratif n'étant possible que si le requérant fait valoir la violation d'un droit subjectif), les auteurs exposent la retenue du contrôle judiciaire des autorisations nucléaires par suite de la décision de 1979 de la Cour constitutionnelle relative à la centrale de Kalkar. Ils relèvent ainsi une réduction de la protection juridique de l'individu, ainsi qu'une incertitude quant aux critères du domaine du contrôle judiciaire.
Cet article est intéressant par l'éclairage qu'il apporte, lequel permet assurément, à l'heure où sont encore formés des recours contre les projets nucléaires français, un comparatif intéressant avec notre recours pour excès de pouvoir.

Cet acte révèle un besoin de réexaminer régulièrement les critères d'examen technique en raison de la rapidité des changements technologiques dans ces secteurs et tout particulièrement à l'aune du développement de l'hydrogène vert, devenu priorité de l'Union européenne. Mais dans tous les cas, ces débats européens posent la même question : quelle sera la place du nucléaire dans les scénarios de transition énergétique, autrement dit, si l'énergie nucléaire contribuera ou non à satisfaire la demande énergétique du XXIe siècle.

II.Principes généraux

Perception des risques et de la sécurité par les Français : le Baromètre IRSN 2022 est paru

L'édition 2022 du Baromètre de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) sur la perception des risques (3) et de la sécurité par les Français met en évidence une prédominance des préoccupations concernant le dérèglement climatique et la santé (22 % de réponses pour chaque sujet), les risques nucléaires ne recueillant que 1 % de citation. Si Tchernobyl et Fukushima restent les catastrophes les plus effrayantes, les centrales nucléaires, bien qu'étant tenues pour les installations risquant le plus de provoquer un accident grave en France, recueillent un taux de réponse historiquement bas (27 %), suivies par les centres de stockage de déchets radioactifs (20 %). Les Français portent un regard globalement positif sur le programme nucléaire civil : 60 % (+ 7 points) estiment que la construction des centrales a été une bonne chose, 44 % (+ 15 points) sont favorables à l'implantation de nouvelles installations tandis que 26 % (- 12 points) sont d'avis qu'il faut en fermer. 42 % des répondants jugent que le fait de vivre à proximité des centrales ne présente pas de risques sanitaires particuliers, ce qui est à relier à l'idée qu'en moyenne, 60 % des Français pensent que toutes les précautions sont prises pour assurer un très haut niveau de sûreté sur les sites nucléaires (contre une moyenne de 42 % entre 2007 et 2018). Les principaux arguments en faveur du nucléaire sont l'indépendance énergétique permise (36 %) et le coût avantageux de l'électricité ainsi produite (22 %). Le risque d'accident (26 %) et la production de déchets (35 %) sont les deux motifs d'opposition au développement du nucléaire civil. Sur le second point, 68 % des répondants estiment que la position la plus raisonnable est de prendre puis d'appliquer au plus vite une solution de stockage des déchets radioactifs, seuls 6 % préférant laisser le choix aux générations futures. 87 % des personnes interrogées déclarent que les exploitants de sites nucléaires doivent protéger leurs installations de tous les risques y compris ceux très improbables et 77 % estiment prioritaire de développer la recherche sur la sûreté des réacteurs existants. En matière nucléaire, les organismes tels que le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l'IRSN, les experts ainsi que les exploitants sont considérés comme les acteurs les plus compétents et crédibles.

Droit à l'information en matière nucléaire

Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne (4) a été saisi d'une action en responsabilité de la commune de Pontfaverger-Moronvilliers contre l'État et le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), s'estimant victime de préjudices provoqués par des pollutions, conséquences de l'absence de remise en état du polygone d'expérimentation nucléaire de Moronvilliers. Elle réclamait notamment que le juge enjoigne à l'État et au CEA de lui fournir les informations « nécessaires à la surveillance de l'environnement ». Selon le tribunal, il n'y a pas eu violation du droit à l'information. L'État qui doit veiller à garantir au public une information « fiable et accessible » concernant les sites d'installations d'expérimentations nucléaires intéressant la défense, au nombre desquels se trouvait le polygone, a créé, sans que cela soit obligatoire, une commission d'information sur l'impact des activités menées sur la santé et l'environnement dont la commune était membre. Selon l'arrêté d'installation de celle-ci, l'exploitant devait transmettre les informations de nature à satisfaire le public, ce qu'il a fait par un rapport annuel sur les « risques d'origine radiologique et des rejets produits par le Sienid ainsi que les mesures prises pour réduire les impacts ». En outre, des réunions de la commission se sont tenues, en présence de la commune, « ayant notamment abordé les thèmes de l'eau, des risques liés à l'uranium et au béryllium, à la gestion des déchets nucléaires et au chantier de déconstruction de la zone nord du site ». Qui plus est, la commune pouvait, à l'occasion de ces réunions, poser des questions alors que le CEA a transmis différents rapports d'activité sur la sûreté du site à la commune. Dès lors, celle-ci a été informée « des résultats de la surveillance environnementale, notamment en ce qui concerne l'état des sols et des airs » même si certains ne pouvaient pas lui être communiqués au nom du secret de la défense nationale. En conséquence, aucune faute de l'État et du CEA ne peut être relevée.

À suivre…

III.Activités nucléaires

Évaluation du risque radiologique sur la faune et la flore sauvages

L'IRSN a publié le 25 janvier 2022 un guide méthodologique (5) relatif à l'évaluation du risque radiologique pour la faune et la flore sauvages afin d'améliorer sa prise en compte dans les études d'impact des projets. L'objectif de cet outil de radioprotection de l'environnement est d'anticiper les effets potentiels des rayonnements ionisants sur les espèces naturelles elles-mêmes et leurs impacts indirects sur la santé humaine. Ainsi, pour les projets soumis à étude d'impact qui comprennent un risque radiologique, le maître d'ouvrage et les autorités compétentes pourront mettre en œuvre la méthodologie proposée par ce guide. L'étude d'impact portant sur les atteintes potentielles à l'environnement en fonctionnement normal, l'IRSN n'envisage pas ici les hypothèses d'exposition accidentelle aux rayonnements.

L'IRSN présente son guide selon deux axes. D'une part, le risque radiologique est évalué par comparaison du niveau d'exposition des espèces naturelles à des radionucléides par rapport à une dose de référence. D'autre part, le niveau d'analyse du risque requis dans cette méthodologie doit être proportionné aux enjeux. C'est pourquoi un dispositif à trois niveaux d'analyse, du plus général au plus précis, est prévu. Le premier niveau consiste à faire un tri entre les situations à enjeu écologique et celles ne justifiant pas un approfondissement de l'évaluation. Au cas par cas, les deuxième et troisième niveaux seront mis en œuvre si un doute subsiste sur le caractère négligeable du risque évalué à l'issue du niveau d'analyse précédent. Si ces deux principes sont cohérents avec l'approche du juge dans le contentieux de l'étude d'impact, il reste que le champ d'application de l'étude d'impact est en recul et ne concerne aujourd'hui systématiquement que les projets manifestement dangereux pour l'environnement.

Vérification des règles mises en place par le responsable d'une activité nucléaire

L'arrêté du 24 octobre 2022, pris pour l'application du III de l'article R. 1333-172 du code de la santé publique, définit les modalités et les fréquences des vérifications des règles mises en place par le responsable d'une activité nucléaire, telle que définie à l'article L. 1333-1 dudit code, lorsque cette activité relève d'un régime réglementé (autorisation, enregistrement ou déclaration) et qu'elle génère des effluents ou des déchets contaminés par des radionucléides ou susceptibles de l'être, y compris par activation.

IV.Sécurité et sûreté nucléaires

Crise climatique

Pour faire face à la sécheresse de l'été 2022 qui a conduit à une élévation inhabituelle de la température de certains cours d'eau, et afin d'éviter des mises à l'arrêt supplémentaires de centrales nucléaires, l'ASN a dû relever les limites d'échauffement des cours d'eau consécutifs aux rejets thermiques des centrales de Blayais, du Bugey, de Golfech, de Saint-Alban et du Tricastin jusqu'au 11 septembre 2022. L'article L. 593-10 du code de l'environnement donne compétence à l'ASN pour définir, dans le respect des règles générales fixées par arrêtés ministériels, les prescriptions relatives à l'exploitation de l'installation qu'elle estime nécessaires à la protection des intérêts protégés par la police des INB. C'est dans ce cadre que l'ASN fixe les limites des rejets, notamment thermiques, des INB dans l'environnement. Néanmoins, ce dispositif peut être remis en cause en cas de « nécessité publique » par le jeu de l'article R. 593-40 du même code selon lequel : « Si, du fait d'une situation exceptionnelle, la poursuite du fonctionnement d'une installation nucléaire de base nécessite une modification temporaire de certaines prescriptions, et si ce fonctionnement constitue une nécessité publique, l'autorité peut décider cette modification (…) temporaire [qui] cesse de produire ses effets au plus tard au terme de la procédure normale de modification, si elle a été engagée, ou, à défaut, à l'expiration d'un délai d'un an. » C'est sur ce fondement que l'ASN a adopté la décision du 4 août 2022 (6) homologuée par le ministère par arrêté du 5 août 2022 et ayant pour effet d'autoriser des rejets thermiques dans les cours d'eau jouxtant certaines centrales nucléaires. Par conséquent, la centrale nucléaire du Blayais (INB n° 86 et n° 110) effectuant des rejets d'effluents dans l'estuaire de la Gironde, a par exemple été autorisée à générer un réchauffement allant jusqu'à 11 °C de l'eau située en aval. Il est évident qu'une telle augmentation de la température de l'eau, a fortiori en période estivale, ne sera pas sans conséquences sur la faune et la flore aquatiques, et que cette tension entre l'eau et le fonctionnement des centrales nucléaires risque de s'accentuer avec l'aggravation du réchauffement climatique.

Consultation publique sur l'examen de la protection des installations nucléaires des États membres de l'Union européenne contre l'incendie

En application de la directive révisée du 8 juillet 2014, la coopération en matière de sûreté nucléaire entre États membres de l'Union européenne impose un mécanisme d'examens thématiques par les pairs tous les six ans. L'objectif est d'identifier les bonnes pratiques et les possibles améliorations de sûreté applicables aux installations nucléaires puis d'en assurer le suivi par des plans d'action nationaux. Le Groupement européen des autorités de sûreté nucléaire (Ensreg), soutenu par l'Association des autorités de sûreté nucléaire des pays d'Europe de l'Ouest (Wenra), a établi la méthodologie ainsi que le calendrier de l'exercice 2023-2024 dédié à la protection contre l'incendie des installations nucléaires (centrales électronucléaires, réacteurs de recherche, usines du cycle du combustible, installations d'entreposage de déchets radioactifs). Cet enjeu de sûreté n'ayant pas été couvert par les évaluations consécutives à l'accident de Fukushima, le retour d'expérience serait profitable à la protection des installations depuis leur construction jusqu'à leur démantèlement. Une consultation s'est tenue jusqu'à fin mai 2022 sur le site internet de l'Ensreg afin de préciser les caractéristiques techniques de l'examen et le plan de participation du public. Les rapports nationaux d'évaluation seront produits sur la période 2022-2023, leur examen par les pairs se déroulera en 2024, les plans d'action nationaux ainsi que le plan d'action de l'Ensreg seront validés en 2025.

Rejet de gaz radioactif à la centrale nucléaire de Golfech : les fautes d'EDF enfin reconnues par la justice

En octobre 2016, lors d'une opération sur l'un des deux réacteurs de la centrale nucléaire de Golfech dont EDF est l'exploitant, est survenu un léger dépassement du seuil autorisé pour le rejet d'effluents radioactifs, qui, en tant qu'« événement significatif » au sens du code de l'environnement, a été classé au niveau 0 de l'échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques (Ines). Plusieurs associations agréées pour la protection de l'environnement ont alors déposé plainte pour infraction à la réglementation nucléaire, mais celle-ci a été classée sans suite par le procureur de la République, qui s'est appuyé sur un avis de l'ASN considérant que l'impact sanitaire était négligeable du fait de l'absence d'élévation de la radioactivité ambiante.

Ces associations ont fait citer EDF à comparaître devant le tribunal pénal de Montauban pour y répondre de diverses contraventions au code de l'environnement. Par un jugement du 10 janvier 2019, le tribunal a relaxé EDF de ces contraventions et a débouté les associations de leurs demandes indemnitaires en raison de l'absence de caractérisation des infractions dénoncées.

Sur appel de ces associations, la cour d'appel de Toulouse, par un arrêt du 10 février 2020, a réformé le jugement de première instance, estimant que EDF avait commis des fautes civiles, notamment en effectuant, même involontairement, des rejets en violation de l'arrêté d'autorisation, mais a débouté les associations de leurs demandes d'indemnisation faute par elles de démontrer l'existence d'un préjudice.

Sur pourvoi des associations, la Cour de cassation, par arrêt du 29 juin 2021, a cassé et annulé l'arrêt précédent en ses dispositions ayant constaté l'absence de préjudice des parties civiles, au motif, d'une part, que le préjudice d'atteinte à l'intérêt collectif défendu par une association résulte de la violation même de la réglementation destinée à protéger cet intérêt collectif indépendamment de la réalisation d'un dommage matériel et, d'autre part, que toute violation des dispositions protectrices d'intérêt collectif crée un risque dommageable indemnisable. La Cour a, en conséquence, renvoyé les parties devant la cour d'appel de Bordeaux.

Par arrêt du 9 septembre 2022 (7) , celle-ci, considérant que l'existence d'une faute civile a été définitivement consacrée par la Cour de cassation, condamne EDF à verser à chaque association la somme de 5 000 euros en réparation de leur préjudice moral. Elle relève que si l'impact a été jugé négligeable par l'ASN, l'événement initial a été provoqué par une chaîne de dysfonctionnements, aussi bien techniques qu'organisationnels, reconnus par l'exploitant.

L'arrêt de de la Cour de cassation, dont celui de la cour d'appel de Bordeaux ne fait que tirer les conséquences pratiques, confirme une jurisprudence (8) déjà ancienne sur le droit pour les associations agréées pour la protection de l'environnement d'exercer, en application de l'article L. 142-2 du code de l'environnement, l'action civile contre l'auteur d'une infraction au droit de l'environnement lorsque cette infraction pénale porte un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu'elles ont pour objet de défendre, ainsi que sur les conditions d'exercice de ce droit. La présente affaire illustre néanmoins la tendance croissante de certaines associations à instrumentaliser les déclarations d'évènements significatifs (imposées aux exploitants d'installations nucléaires de base au nom de la transparence), alors même que l'ASN n'a pas jugé utile ou nécessaire de constater l'existence d'une infraction.

Publication du rapport de l'ASN sur l'état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France en 2021

L'ASN a présenté son rapport 2021 (9) sur l'état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France. Si la sûreté des installations et la radioprotection dans les domaines industriels, sanitaires et de transport de substances se sont maintenues à des niveaux d'exigence satisfaisants, les préoccupations portent sur certaines fragilités persistantes en termes de disponibilité du parc de réacteurs. Plusieurs facteurs expliquent cette situation : report de l'autorisation de mise en service du réacteur pressurisé européen (EPR) de Flamanville, retards dans les opérations de maintenance et de rechargement en combustible consécutifs à la pandémie de Covid-19, mise ou maintien à l'arrêt de réacteurs après la détection d'anomalies de corrosion sous contrainte sur des soudures. Cette succession d'événements sérieux illustre un déficit d'anticipation qui devra servir de retour d'expérience à la filière aussi bien qu'aux pouvoirs publics. Ce point est d'autant plus important que les exploitants et le Gouvernement devront prochainement se prononcer sur la poursuite du fonctionnement des réacteurs les plus anciens et entériner la mise à l'arrêt définitif d'une douzaine de réacteurs supplémentaires à l'horizon 2035. Dans un contexte d'électrification croissante des usages, il s'avère nécessaire de conserver des marges suffisantes pour ne pas avoir à arbitrer entre sûreté des installations et disponibilité de la fourniture d'électricité. Si la sûreté nucléaire doit être au centre des arbitrages de politique énergétique, cette dernière doit aussi s'accompagner d'une gestion des combustibles usés et des déchets. Or, le taux d'occupation des piscines existantes et les retards enregistrés dans la construction de la piscine centralisée d'entreposage des combustibles usés, prévue par EDF, fragilisent actuellement la chaîne du cycle du combustible au risque de conduire à des conditions d'entreposage non satisfaisantes du point de vue de la sûreté. Des décisions doivent également être prises avant l'échéance du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR) 2021-2025, de sorte qu'une filière de gestion de tous les types de déchets soit opérationnelle dans les deux décennies à venir.

V.Déchets radioactifs

Centre de stockage de déchets radioactifs de l'Aube (CSA)

L'ASN a imposé, par une décision du 25 juillet 2022 (10) , des mesures complémentaires conditionnant la poursuite du fonctionnement du CSA consécutivement au réexamen périodique de sûreté imposé par l'article L. 593-18 du code de l'environnement. Cette installation est exploitée par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) et dédiée au stockage des déchets radioactifs de faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC). Ce site dispose d'une capacité de stockage de 1 million de m3 (36 % de cette capacité est atteinte aujourd'hui) de déchets qui présenteront un risque radiologique pour l'homme et l'environnement pendant environ 300 ans.

Tout exploitant d'une INB doit procéder en principe tous les dix ans à un réexamen de son installation (11) qui « doit permettre d'apprécier la situation de l'installation au regard des règles qui lui sont applicables et d'actualiser l'appréciation des risques ou inconvénients que l'installation présente ». Ce réexamen doit tenir compte notamment de l'expérience acquise au cours de l'exploitation, de l'évolution des connaissances et des règles applicables aux installations similaires.

La procédure de réexamen périodique du CSA de l'Aube a commencé en 2016 et a abouti à la décision de l'ASN du 25 juillet 2022 prescrivant des mesures complémentaires portant en particulier sur les phases de long terme postérieures à la fermeture du site. Ainsi l'ASN impose-t-elle que des études concernant l'hydrogéologie du site (ex. risque de remontée de nappes, risque sismique), l'impact à long terme du stockage sur l'environnement (ex. risque de dissémination de substances radioactives) et la stabilité de sa future couverture, soient réalisées par l'exploitant.

Projet Cigéo : un collectif dépose un recours contre les deux textes publiés le 8 juillet 2022 (la déclaration d'utilité publique (DUP) et le décret classant le projet parmi les opérations d'intérêt national (OIN))

Le projet Cigéo est d'une ampleur sans précédent car son exploitation va s'étendre sur plus d'un siècle et qu'il consiste à confiner des déchets qui seront destructeurs pour le vivant pendant plus de 100 000 ans. Sans surprise, un collectif d'opposants à Cigéo a déposé un recours contre les deux décrets du 7 juillet 2022 mentionnés ci-dessus. Ce sera donc l'occasion pour le juge administratif d'exercer un contrôle de la DUP en appréciant le bilan global entre les coûts et les avantages de cette technique de gestion des déchets, au regard tout particulièrement de ses effets négatifs potentiels envers les générations futures.

L'utilité publique d'un tel projet est en effet à apprécier au regard du futur. Rien ne permettant d'éliminer réellement les déchets radioactifs à vie longue, le défi du stockage géologique est de prévenir les risques d'atteinte à l'environnement et à la santé humaine à long terme en confinant la radioactivité dans la roche. Ainsi Cigéo peut-il être considéré comme un mode de gestion des déchets qui protège les générations futures. Le problème réside néanmoins dans le fait que la pérennité d'un stockage géologique n'est pas certaine et que des risques sont transmis dans le temps (12) .

Déclarer un projet d'utilité publique, c'est faire la balance entre ses coûts et avantages collectifs. Ainsi, « une opération ne peut être légalement déclarée d'utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d'ordre social qu'elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente (13)  ». Or, l'appréciation par la justice de l'utilité publique d'un projet, via la théorie du bilan entre les coûts et les avantages, exige aussi la prise en compte « de la protection et de la valorisation de l'environnement (14)  ». S'agissant de l'appréciation de l'utilité publique du projet Cigéo, elle consistera à évaluer les intérêts et inconvénients futurs de l'opération, conformément aux principes de prévention et de précaution. Si le bilan de l'opération est positif, l'utilité publique sera reconnue, mais dans le cas contraire, la déclaration d'utilité publique pourra être jugée illégale. Pour l'instant, on ne trouve pas dans la jurisprudence administrative sur l'utilité publique de référence aux générations futures. Le 18 décembre 2021, la commission d'enquête publique a rendu un avis favorable à ce projet dans le cadre de la demande de déclaration d'utilité publique. Or, de nombreuses références aux générations futures ont été faites dans le rapport d'enquête (15) , qui soulignent le fait que le confinement profond apparaît comme la technique la moins dommageable à long terme. On peut donc se demander dans quelle mesure le Conseil d'État reconnaîtra la protection des générations futures comme un intérêt public à part entière dans le bilan coûts-avantages de cette opération.

Le juge administratif commence à s'intéresser à notre responsabilité à long terme en intégrant par exemple dans son contrôle du bilan coûts-avantages les conséquences sur le climat (16) des projets soumis à DUP. Il reste que le contrôle contentieux maximum exercé par le juge en matière de DUP revient très souvent (17) à juger les bilans coûts-avantages positifs et donc à valider les DUP. Il semble pourtant anachronique que « plus une opération est d'envergure, plus le juge aura tendance à estimer que les avantages qu'elle présente sont supérieurs aux inconvénients occasionnés (18) », car cela aboutit de facto et paradoxalement à assimiler le contrôle maximum à un contrôle restreint, et donc à priver le justiciable d'un véritable contrepoids juridictionnel.

Préparation de la 5ème édition du PNGMDR : l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) émet des recommandations

Dans son avis rendu le 9 novembre 2021 (19) , l'ASN a estimé que le projet de PNGMDR 2021-2025 répond à l'objectif global d'assurer l'opérationnalité des filières sûres de gestion dans les 15-20 ans à venir pour tous types de déchets. Compte tenu des dysfonctionnements observés en 2021 sur certaines installations du cycle du combustible, l'autorité émettait plusieurs réserves et formulait quelques recommandations. Afin que soient tenues les échéances prévues par le projet de plan, les exploitants sont enjoints à élaborer des échéances prévisionnelles de saturation des capacités d'entreposage du combustible usé et à étudier les hypothèses de fonctionnement dégradé du cycle pour proposer des alternatives appropriées. Ils devront réaliser des études techniques et de sûreté permettant d'anticiper les conséquences, sur les installations nucléaires existantes ou à créer, d'une décision d'arrêt ou de poursuite du retraitement des combustibles usés au-delà de 2040. Les réflexions sur le développement de filières adaptées à certaines catégories de déchets doivent se poursuivre ainsi que celles sur l'acceptation des colis dans le projet Cigéo. L'élimination des déchets issus de l'industrie nucléaire est effectivement une préoccupation majeure qui conditionne la sûreté du protocole de traitement existant et les perspectives de construction d'une nouvelle génération de réacteurs. Les rapporteurs de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) ont eux aussi émis des recommandations, parmi lesquelles : engager le dialogue avec l'exécutif sur la prochaine édition du plan, de manière à ce que celui-ci soit transmis au Parlement au plus tard fin juin 2025, prendre en considération le positionnement juridique de l'Autorité environnementale, déterminer l'impact de l'abandon du projet Astrid sur le volume des combustibles usés à traiter ainsi que sur le projet Cigéo, tenir un inventaire permettant la traçabilité des déchets entrants et sortants du territoire national, présenter un volet financier agrégeant les sommes provisionnées par les opérateurs pour l'élimination des déchets, intégrer les aspects relatifs à la gestion des déchets nucléaires militaires.

Valorisation de substances radioactives (déchets TFA)

Le décret du 14 février 2022 établit les prescriptions devant être respectées par les exploitants d'une installation mentionnée aux articles L. 512-1 ou L. 593-2 du code de l'environnement pour permettre, par dérogation, la valorisation de substances faiblement radioactives mentionnées au 3° du I de l'article R. 1333-2 du code de la santé publique. Sa mise en œuvre est permise par le décret du même jour qui prévoit l'insertion dans le code de la santé publique d'un article D. 1333-6-4 définissant les catégories de substances susceptibles de bénéficier des dérogations résultant de l'application des articles R. 1333-6-1 à R. 1333-6-3 dudit code, à savoir les substances métalliques qui, avant leur usage dans une activité nucléaire, ne justifient pas un contrôle de la radioprotection. Un arrêté pris le même jour définit le contenu du dossier de demande de dérogation visée à l'article R. 1333-6-1 du code de la santé publique et déposée auprès du ministre chargé de la radioprotection, avec copie au président de l'ASN.

VI.Relations internationales

Centre d'urgence de l'ASN et évolution de la situation des installations nucléaires en Ukraine

Le 24 février 2022 se tenait une réunion extraordinaire du groupement européen des autorités de sûreté nucléaire (Ensreg) dont les conclusions affirmaient l'importance de garantir la stabilité et le calme autour des installations nucléaires ukrainiennes, afin de permettre leur exploitation et leur contrôle dans de bonnes conditions.

Le 4 mars 2022 (20) , l'ASN annonçait avoir activé son centre d'urgence en mode veille afin de suivre l'évolution de la situation dans les installations nucléaires en Ukraine, notamment à l'aune de la situation de la centrale de Zaporijjia. L'ASN a une implication historique forte dans les réseaux d'autorité de sûreté et de radioprotection à l'échelle européenne (Wenra, Herca, Ensreg) et internationale (Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA)) sur lesquels elle s'appuie en situation de crise. « Cette collecte d'informations et leur analyse circonstanciée et collégiale au regard du retour d'expérience de crises précédentes permettent d'anticiper l'évolution des situations, d'analyser des scénarios critiques et de mettre en évidence des points de vigilance ou des fragilités » (ASN).

VII.Nucléaire de défense

Installations et activités nucléaires intéressant la défense : les règles générales sont parues

L'arrêté du 15 décembre 2022 fixe les règles générales relatives aux installations et activités nucléaires intéressant la défense (Ianid) mentionnées à l'article L. 1333-15 du code de la défense, à l'exception des transports mentionnés au 5° du même article. Ces règles s'appliquent à chaque étape du cycle de vie des installations (conception, construction, exploitation, maintenance, mise à l'arrêt définitif, démantèlement). L'arrêté (articles 5 à 14) établit les exigences valables pour les éléments matériels, humains et organisationnels des Ianid en matière de démonstration de sûreté nucléaire, à l'exception de l'organisation de la radioprotection, des prélèvements d'eau et des rejets, de la gestion des matières nucléaires et des déchets radioactifs qui n'entrent pas dans le périmètre du texte. L'exploitant est responsable de l'organisation et de la sûreté nucléaire des Ianid sous sa responsabilité (articles 15 à 22). Il met en place les moyens matériels, organisationnels et humains nécessaires au respect des obligations qui lui incombent ; il assure la radioprotection du personnel ainsi que celle du public. Le délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les installations et activités intéressant la défense (DSND) est chargé de contrôler l'application des dispositions de l'arrêté (articles 23 à 24). À cet effet, il maintient un dialogue continu avec l'exploitant, détermine de manière proportionnée les exigences de résultat imposées à l'opérateur en termes de sûreté nucléaire et de radioprotection puis il s'assure que ces objectifs sont atteints.

VIII.Risques et indemnisation des victimes

Indemnisation des victimes des essais nucléaires

La loi de finances pour 2022 modifie l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010  (21) qui permet aux ayants droit d'une personne décédée de présenter une demande d'indemnisation. Lorsque la victime est décédée avant la promulgation de la loi de finances pour 2019, la demande doit être présentée avant le 31 décembre 2024. Si la personne est décédée après la promulgation de cette loi, la demande doit être effectuée au plus tard le 31 décembre de la sixième année qui suit le décès.

Le Conseil d'État a tiré les conséquences (22) de la décision du Conseil constitutionnel du 10 décembre 2021 (23) confirmant l'analyse très favorable aux demandeurs retenue précédemment.

La cour administrative d'appel de Paris a statué sur un contentieux (24) , suite à l'indemnisation par le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen) de l'ayant droit (l'époux) d'une victime décédée, ce dernier cherchant à obtenir la condamnation de l'État du fait de ses propres préjudices et de ceux de ses enfants et petits-enfants. Selon le demandeur, l'indemnisation allouée par le Civen correspondait aux seuls préjudices causés à son épouse et non à ses propres préjudices. La cour administrative d'appel a rejeté cet argument, jugeant que les victimes directes des essais nucléaires et leurs ayants droit en cas de décès « peuvent obtenir auprès du Civen la réparation intégrale des préjudices qu'elles ont subis » sous réserve que les conditions posées par la loi de 2010 soient remplies, mais que ce régime législatif d'indemnisation « au profit des victimes directes » « est exclusif de tout autre tendant à la réparation des mêmes préjudices ». Dès lors, la seule solution pour les ayants droit cherchant à obtenir réparation de leurs préjudices personnels consiste à former un recours en démontrant « un lien de causalité direct entre ce décès et les essais en cause ». La cour juge finalement irrecevables les conclusions présentées au nom des enfants majeurs et des petits-enfants et, statuant sur la demande de réparation par l'époux de ses propres préjudices, considère qu'il n'existe pas un lien de causalité entre les préjudices et les essais nucléaires.

IX.Responsabilité civile nucléaire

Publication des deux protocoles d'amendement de la Convention de Paris et de la Convention complémentaire de Bruxelles

Le décret du 17 janvier 2022 a pour objet de publier officiellement les deux protocoles d'amendement de la convention de Paris et de la convention complémentaire de Bruxelles signés à Paris le 12 février 2004 et entrés en vigueur seulement le 1er janvier 2022, grâce au dépôt simultané des instruments de ratification par les États parties aux conventions d'origine, conformément à une condition posée par la Commission européenne du fait que les protocoles modifient, notamment, une règle de compétence juridictionnelle, matière qui relève aujourd'hui du droit communautaire. Les modifications au droit interne de la responsabilité civile pour dommage nucléaire issues de ces protocoles ont été intégrées dès 2006 dans le code de l'environnement et figurent aux articles L. 597-1 à L. 597-25.

Les conditions dans lesquelles la garantie de l'État est accordée à la Caisse centrale de réassurance sont précisées

La Convention de Paris oblige l'exploitant nucléaire à maintenir une assurance ou garantie financière à concurrence du quantum minimum de sa responsabilité fixé, par le Protocole d'amendement de 2004, à 700 millions d'euros par accident nucléaire. Destiné à assurer la disponibilité d'un « patrimoine nucléaire » aux victimes, le respect de cette obligation constitue une condition sine qua non de l'efficacité de ce régime de responsabilité. Pour cela, le Protocole de 2004 prévoit également que l'État hôte de l'installation est tenu d'assurer le coût de la réparation des dommages incombant à l'exploitant dès lors qu'il est constaté ex ante ou ex post l'accident une insuffisance ou une indisponibilité des montants exigés. L'entrée en vigueur du texte conventionnel au 1er janvier 2002 a donc conduit le législateur à préciser les modalités de cette garantie étatique, déjà envisagée pourtant dans la loi du 30 octobre 1968.

La loi de finances pour 2022 (25) a modifié l'article L. 435-1 du code des assurances posant le principe de cette garantie. Elle s'exerce désormais dans la limite d'un plafond de 700 millions d'euros par installation nucléaire et par accident nucléaire. Logiquement, on retrouve ici le montant correspondant au quantum de la responsabilité de l'exploitant nucléaire tel que fixé par l'article L. 597-4 du code de l'environnement en application de la Convention de Paris. La congruence entre la responsabilité de l'exploitant et la garantie étatique reste toutefois imparfaite puisque l'article L. 435-1 prévoit que les exploitants devront conserver à leur charge au moins 40 % du risque pour que la garantie de l'État puisse être octroyée. Quant aux modalités et conditions de la mise en jeu de cette garantie, elles font l'objet d'une convention passée entre le ministre chargé de l'Économie et des Finances et le directeur général de la Caisse centrale de réassurance à qui un arrêté ministériel du 15 juin 2022 en a conféré la gestion.

Précisons enfin que cette garantie étatique s'adapte aux montants réduits de la responsabilité de l'exploitant en cas d'accident survenant lors du transport de substances nucléaires.

Installations présentant un risque réduit

Conformément à la Convention de Paris, l'article L. 597-4 du code de l'environnement fixe le quantum de la responsabilité de l'exploitant d'une installation nucléaire à 700 millions d'euros pour un même accident nucléaire, montant qui peut être réduit à 70 millions d'euros lorsque ne sont exploitées sur un site déterminé que des installations à risque réduit.

Dans la continuité d'un décret du 21 mars 2016, et après avis favorable de l'ASN (26) , le décret du 25 août 2022 est venu codifier les dispositions applicables à ces installations à risque réduit, que l'on retrouve désormais aux articles R. 597-1 à R. 597-5 du code de l'environnement. Aux termes de l'article R. 597-2, les installations concernées sont celles qui ne font pas l'objet d'un plan d'intervention au sens de l'article R. 741-18 du code de la sécurité intérieure, qui ne font pas mention d'un accident nucléaire ayant nécessité des mesures de protection de la population, et qui entrent dans l'une des sept catégories énumérées. Toutefois, une installation entrant dans l'une desdites catégories, mais ne répondant pas aux deux premières conditions, peut également être qualifiée d'installation à risque réduit, si tant est que l'exploitant démontre qu'elle n'occasionnera pas des dommages d'un coût supérieur à 70 millions d'euros. Pour ce qui concerne le cas de celui qui exploite plusieurs installations sur un même site, l'article R. 597-3 impose qu'il établisse que le site ne comporte que des installations obéissant aux conditions précédemment énumérées. En toute hypothèse, la liste de tels sites est fixée par arrêté ministériel adopté dans les conditions prévues par ledit article. Tel est l'objet de l'arrêté du 25 août 2022.

1. Arbousset H. et a., Droit nucléaire, Synthèse, Dr. Env., janv. 2022, n° 307, p. 312. Arbousset H. et a., Droit nucléaire, op. cit.

3. Enquête réalisée sur internet du 15 au 22 novembre 2021 auprès d'un échantillon de 2003 personnes4. TA Châlons-en-Champagne, 1er avr. 2022, n°2000871, n°2000884, Commune de Pontfaverger-Moronvilliers5. Consulter le guide <br />
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-41114-irsn-guide-methodologique-evaluation-risques-radiologiques-faune-flore-sauvages.pdf
6. ASN, déc. n° 2022-DC-0739, 4 août 20227. CA Bordeaux, 9 sept. 2022, n° 21/009858. V. par ex. Cass. 3e Civ., 8 juin 2011, n° 10-15.500 : Bull. civ. III, n° 1019. Consulter le rapport
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-41114-rapport-asn-etat-surete-nucleaire-radioprotection-france.pdf
10. ASN, déc. n° CODEP-CLG-2022-006731, 25 juill. 202211. C. env., art. L. 593-1812. Schellenberger T., Risques environnementaux à long terme : entre le Charybde climatique et le Scylla nucléaire, Riséo, 2022-2, p. 58

13. CE, 28 mai 1971, n° 78825, Ville Nouvelle Est : Lebon14. CE, 17 mars 2010, n° 314114, n° 314476, n° 314463, n° 314477, n° 314581, Alsace nature : Lebon T.15. Rapport d'enquête publique préalable à la DUP du projet Cigéo emportant la Mecdu : Scot du Pays Barrois, PLUi de la Haute-Saulx et PLU de Gondrecourt-le-Château16. CE, 19 nov. 2020, n° 417362, Commune de Val-de-Reuil : Lebon T.  ; CE, 30 déc. 2021, n° 438686, 439077, 439079 et 439173, Ville de Genève et Ville de Carouge et a. ; v. Schellenberger T. et Schneider R., Droit des pollutions et nuisances, RJE, 2022-2, p. 4717. Testard C., La légalité procédurale d'une DUP écartée de l'abrogation juridictionnelle, Dr. Env., 2022, n° 308, p. 5518. Tifine P., Expropriation. – Régime général et objet de la procédure, JCl Administratif, 15 avr. 2021, fasc. 400-10, § 8119. ASN, avis n° 2021-AV-0390, 9 nov. 202120. ASN, communiqué de presse, 4 mars 2022, L'ASN active son centre d'urgence en mode veille afin de suivre l'évolution de la situation dans les installations nucléaires en Ukraine21. L. n° 2010-2, 5 janv. 2010 : JO 6 janv.22. CE, 23 févr. 2022, n° 447408, 449355, 449353, 44935723. Cons. const., 10 déc. 2021, n° 2021-955 QPC24. CAA Paris, 30 déc. 2021, n° 19PA0308825. L. n° 2021-1900, op. cit.26. ASN, n° 2021-AV-0385, 28 sept. 2021

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