Les deux mois d'arrêt qu'a connu la France avec la Covid-19 ont rapidement entraîné des craintes sur une possible rupture d'approvisionnement de la chaîne alimentaire. La crise a révélé la dépendance de notre alimentation au transport routier et à une logistique nationale, voire internationale.
Mais passés les premiers jours / semaines où le réflexe premier de nombreux consommateurs a été de constituer des stocks, de nouvelles demandes ont émergé, se sont amplifiées, se sont coordonnées, pour une production locale. Selon une enquête Ifop publiée le 6 mai, 35 % des sondés ont déclaré accorder plus d'importance au caractère local de leurs aliments depuis le début du confinement. Le réseau d'achat direct aux producteurs La Ruche Qui dit Oui ! « a vu son nombre de commandes tripler partout en France », indique l'institut de sondage.
En parallèle, la question du prix et du pouvoir d'achat consacrés à l'alimentation s'est posée, et de nombreuses personnes ont dû avoir recours à des réseaux associatifs pour remplir leur panier alimentaire.
Ces tendances permettront-elles de mieux orienter les politiques alimentaires de demain ? « Cette crise a agi comme un révélateur. Certaines données étaient déjà connues, notamment sur la pauvreté ou la détresse alimentaire. D'autres ont été découvertes, comme la capacité des producteurs locaux à répondre à une demande multipliée par deux ou trois. Celui qui veut voir et agir peut désormais voir et agir. Chacun va désormais être capable d'adapter sa stratégie sur l'alimentation locale », analyse Luc Bodiguel, directeur de recherche au CNRS. Avec d'autres chercheurs et acteurs, il a suivi, au jour le jour, les questions alimentaires pendant le confinement, dans le cadre du réseau mixte technologique Alimentation locale. « La crise a été l'occasion d'innover à court terme. Cela peut constituer une base pour le long terme », estime Gilles Maréchal, consultant sur les systèmes alimentaires territoriaux, qui a participé à ces travaux.
Un rôle d'animation pour les collectivités
La crise a mis en lumière les attentes et problématiques des consommateurs, mais aussi le rôle que peuvent jouer les différents acteurs. Ainsi, les collectivités locales se sont retrouvées au cœur de l'action pendant le confinement. Pour mener à bien les politiques de solidarité, mais aussi pour organiser, faciliter, mettre à disposition des moyens logistiques et des outils.
« Les collectivités ont été des acteurs prédominants pendant la crise. Elles ont eu un rôle structurant. Mais elles ne sont pas seules : elles ont été un relais pour les Amap, elles ont soutenu les actions des commerçants, des producteurs… La crise a souligné la nécessité de collaboration entre les différents acteurs. Les collaborations pré-existantes ont sans doute été un élément de force dans les réponses apportées », analyse Luc Bodiguel.
Pendant deux mois, les communes ont joué le rôle de facilitateur et d'animateur de territoire. Et dans ce rôle, elles ont été confrontées à un manque de souplesse dans la prise de décision de l'État. L'annonce du Gouvernement de la fermeture des marchés de plein air en est l'exemple type. Les communes ont immédiatement demandé une prise de décision au cas par cas, selon les contextes locaux. Pour Luc Bodiguel, cette crise a montré la nécessité de mieux organiser la régulation entre l'État et les collectivités.
Les missions de la restauration collective pourraient également être élargies à l'avenir. « Pendant la crise, certaines collectivités ont en effet été amenées à la réorienter vers l'aide sociale. Certaines communes, qui ont des cuisines centrales, réfléchissent aujourd'hui à un fonctionnement en couteau suisse : intégrer l'aide alimentaire… On va sortir des visions traditionnelles », analyse Gilles Maréchal.
Accompagner l'offre locale, sans la dénaturer
Côté consommateurs, le confinement a souvent été l'occasion de chercher des voies d'approvisionnement local. Les circuits courts ont vu leur demande exploser, les petits commerces locaux ont vu leur utilité renforcée. « Les producteurs locaux ont été capables de répondre à une demande multipliée par deux ou trois. En parallèle, la demande des particuliers a compensé l'absence de la restauration collective, ce qui montre qu'elle est souvent surévaluée dans les politiques publiques », souligne Gilles Maréchal.
Pour autant, le local sortira-t-il renforcé de cette crise ? « Le risque est que le circuit agro-industriel s'empare des notions de proximité pour dénaturer l'offre locale. Ce qui engendrerait une pression sur l'offre locale, le foncier... » Là aussi, les collectivités ont un rôle à jouer. Mais encore faut-il que l'État régulateur accompagne cette tendance. « On entre dans le temps des manifestes sur la souveraineté alimentaire, publiés par les uns et les autres. On voit déjà que des dérogations sont accordées aux agriculteurs. Le risque d'un affaissement des normes environnementales au nom de la crise est bien là. La question se pose sur la pérennité des nouvelles pratiques sociales et d'éventuelles mesures qui iraient à l'encontre de ces nouvelles pratiques sociales au nom de la souveraineté alimentaire », prévient Gilles Maréchal.