"Des pertes de production de 50 à 80% dans de nombreuses régions, une mortalité des ruches qui s'accélère… La saison apicole 2014 vient confirmer le désastre annoncé depuis des années", a alerté la Confédération Paysanne ce mardi 26 août en décrétant "l'état d'urgence pour les apiculteurs".
Alors que l'Union nationale de l'apiculture française (Unaf) a déploré une production nationale de miel en 2013 "inférieure à 15.000 tonnes (…), la plus faible jamais connue en France", cette saison 2014 s'annonce "encore pire" dans beaucoup de régions de France, prévient Olivier Belval, son président. "La tendance générale de la production est encore à la baisse".
Détresse des apiculteurs
Début août, la Fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles (FRSEA) du Languedoc-Roussillon et l'Association de développement de l'apiculture professionnelle (Adapro-LR) ont averti, dans un communiqué, de "la perte moyenne de 50% de la production régionale de miel", occasionnée par "les aléas climatiques de 2014, précédés de deux ou trois années de difficultés". Soit un manque à gagner "d'environ 10 millions d'euros". Les apiculteurs pointent les impacts de la sécheresse ("carence en nectar et en pollen due à un printemps trop sec"), des parasites varroa et cynips du châtaignier ("le châtaignier constitue les plus gros volumes du miel régional"), du frelon asiatique, prédateur des abeilles, des "intoxications et maladies". Ce qui a entraîné "des coûts supplémentaires pour combler les besoins alimentaires des abeilles qui se répercutent aujourd'hui gravement sur la saison 2014" qui s'avère "de très mauvais augure", ont-ils déploré.
Selon France 3, certains apiculteurs du Limousin accusent également des pertes de 40% pour cette saison 2014. Ces derniers imputent, de leur côté, la perturbation de leurs cheptels aux traitements phytosanitaires.
La plupart des floraisons précoces ont été "littéralement grillées par le vent et les fortes chaleurs de juin (…). Les conditions météo y sont évidemment pour quelque chose, mais la très longue rémanence des pesticides néonicotinoïdes dans le sol, accumulés depuis des années, peut aussi être incriminée", a de nouveau mis en cause Olivier Belval. Selon l'Unaf, la mortalité des colonies (en hiver, printemps et été) liée aux pesticides avoisinerait les 30% en France.
Néonicotinoïdes : désaccords entre scientifiques et agrochimistes
Fin juin dernier, 29 chercheurs internationaux ont confirmé dans une étude l'impact des pesticides néonicotinoïdes et du fipronil, insecticide de la famille des phénylpyrazoles, sur la santé des abeilles mais aussi celle des papillons ou des vers de terre. Parmi ces néonicotinoïdes figurent la clothianidine, l'imidaclopride et le thiaméthoxame fabriqués par les groupes Bayer et Syngenta. Ces substances ont été suspendues fin 2013 par la Commission européenne pour leur nocivité sur les abeilles, pendant deux ans. Ces restrictions ont été prises à l'issue des avis de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa). Fin 2013, le fipronil, matière active du pesticide Régent de BASF, a également été interdit par l'UE pendant deux ans. Les scientifiques ont également pointé la toxicité d'autres néonicotinoïdes restés autorisés dans l'UE : l'acétamipride, le dinotéfurane, le nitenpyram, la nithiazine et le thiaclopride.
En août 2013, les groupes chimiques suisse Syngenta et allemand Bayer ont contesté devant la Cour de justice de l'Union européenne la suspension de Bruxelles. Pour Syngenta, l'allégation selon laquelle les produits phytosanitaires à base de néonicotinoïdes "sont fondamentalement préjudiciables aux colonies ou aux populations d'abeilles n'est pas avérée dans les conditions pratiques. Il n'existe donc pas de corrélation directe entre l'utilisation des néonicotinoïdes et la mauvaise santé des abeilles, alors qu'il peut en exister une entre les disparitions d'abeilles et la présence du varroa", défend-il sur son site. Et d'ajouter : "En France, l'effondrement des colonies est la même en zone montagneuse que sur les terres agricoles".
De son côté, Bayer assure que "les néonicotinoïdes utilisés de façon correcte et responsable, conformément aux instructions figurant sur les étiquettes, ne nuisent pas aux colonies d'abeilles en conditions réelles du terrain". En Europe, les abeilles "sont en bien meilleure santé que ne le suggèrent de nombreuses publications récentes", a déclaré le 7 août la firme. Bayer s'appuie sur les résultats d'une étude de l'association de recherche sur les abeilles Coloss (Prévention des pertes de colonies d'abeilles mellifères), menée sur environ 400.000 colonies d'abeilles démontrant "une forte baisse" des pertes de colonies durant l'hiver 2013/2014.
"Il n'y a que l'industrie de l'agrochimie pour considérer, comme vient de le faire Bayer, que la santé des abeilles est aujourd'hui satisfaisante. Il est temps de prendre la mesure de la situation", dénonce la Confédération paysanne.
Vers une révision du plan apicole durable ?
Les apiculteurs du Languedoc-Roussillon "se posent des questions sur l'avenir de leur activité". Ils ont demandé "un appui financier" de l'État et des collectivités pour "éviter une trop grande fragilisation de la filière apicole".
L'Unaf a appelé le ministre de l'Agriculture "à revoir la copie" du plan ministériel pour une apiculture durable, lancé en février 2013 et doté de 40 millions d'euros sur trois ans."A l'heure où nous entendons tous parler en régions de cessation d'activité ou de dépôts de bilan, le Plan de développement durable de l'apiculture centré sur la promotion du miel de France semble être bien mal engagé", estime Olivier Belval.
La Confédération paysanne juge qu'"il faut d'urgence interdire les produits et pratiques qui tuent les abeilles, et faire en sorte que l'apiculture reste paysanne. L'heure n'est plus aux mesurettes. Les pouvoirs publics doivent enfin assumer leur ambition de redresser l'apiculture française avec des décisions à la hauteur des enjeux, ce qui n'est pas le cas de l'actuel Plan de développement de l'apiculture".