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Actu-Environnement

« Devoir de vigilance : la directive européenne élèvera la prise de conscience des entreprises »

Au moment où les institutions européennes négocient les termes de la proposition de directive sur le devoir de vigilance, Antoine Gaudemet présente les recommandations du Club des juristes en prenant en compte le retour d'expérience de la loi française.

Interview  |  Gouvernance  |    |  L. Radisson
Droit de l'Environnement N°324
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°324
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« Devoir de vigilance : la directive européenne élèvera la prise de conscience des entreprises »
Antoine Gaudemet
Professeur de droit privé, université Panthéon-Assas, rapporteur du groupe de travail sur le devoir de vigilance du Club des juristes
   

Actu-Environnement : Quel premier bilan tirez-vous de la loi française de 2017 ?

Antoine Gaudemet : Toutes les personnes que l'on a auditionnées et notre groupe de travail (1) ont considéré que la loi avait eu un impact positif durant ses cinq années d'application. Elle a élevé le sujet au sein des entreprises françaises les plus importantes. Quand on est une entreprise qui tire parti de la mondialisation, on a la responsabilité d'être vigilant et de s'assurer qu'il n'y a pas d'atteintes aux droits humains et à l'environnement à travers ses sous-traitants, ses donneurs d'ordres et ses filiales. Après, il reste des choses à améliorer. C'est plus de l'ajustement juridique, notamment sur des notions comme celle de « relation commerciale établie ». C'est ce qui fait que la loi française, qui est pionnière dans le monde, constitue l'un des modèles en présence dans le débat européen. Et ce, même si elle a fait des petits aux Pays-Bas, en Allemagne, en Norvège ou aux États-Unis. Il y a aussi des textes en gestation en Suisse et en Espagne.

AE : Concernant la proposition de directive européenne, quel périmètre doit être retenu ?

AG : C'est un sujet mouvant à l'heure actuelle. On partait d'une base, avec la position du Conseil de l'UE, qui capturait environ 13 000 entreprises à l'échelle européenne, donc des entreprises de taille significative. Le Parlement, dans sa position du 1er juin 2023, a abaissé les seuils pour assujettir aussi les grosses PME. On ne sait pas où ça va tomber à l'heure actuelle, puisque le texte est actuellement en trilogue. Le débat étant mouvant, le Club des juristes a préféré ne pas prendre parti sur ce point. Ce que nous conseillons, c'est de faire un bilan d'ici quatre ou cinq ans pour voir si le périmètre finalement retenu devra être ou non ajusté. En France, selon des estimations d'ONG, il y a 250 à 280 entreprises soumises au devoir de vigilance. Ce sont donc de très grosses entreprises et çela correspond plutôt à la ligne du Conseil de l'UE, même si ce dernier a opté pour des seuils un peu plus bas.

AE : Faut-il intégrer des secteurs supplémentaires dans le périmètre de la directive ?

AG : Le texte européen définit des seuils de salariés et de chiffres d'affaires qui concernent toutes les activités, quel que soit le secteur, que l'on fasse du yaourt ou de l'extraction de minerais. Ensuite, il prévoit que si 50 % des activités des entreprises sont dans des secteurs à risques, typiquement les activités extractives, les seuils sont alors abaissés de 50 %. On estime que la liste des secteurs à risques n'est pas tout à fait complète, notamment concernant celle de la construction dont on sait qu'elle comporte des risques d'atteintes aux droits humains. Il y a un autre débat, plus vaste, qui est celui de savoir si le secteur financier doit ou non être assujetti au devoir de vigilance. La position du Conseil de l'UE est de laisser la liberté aux États membres de le faire ou non. Le Parlement européen, quant à lui, veut assujettir nécessairement le secteur financier et ne pas laisser le choix aux États. La commission du Club des juristes est en faveur de cette dernière position. Le secteur financier est un secteur comme un autre de ce point de vue. Ce qui est d'ailleurs la position de la loi française.

AE : Estimez-vous que les risques climatiques doivent être inclus dans le devoir de vigilance ?

AG : Nous avions des divergences sur ce point au sein du groupe de travail. Il y a eu ce débat, car il y a un article dans la proposition de directive qui prévoit un plan particulier pour le climat et, ce faisant, semble sous-entendre que le climat ne participe pas du devoir de vigilance. L'opinion majoritaire dans la commission est toutefois de l'inclure, avec l'idée que le réchauffement climatique est lié invariablement à des atteintes à l'environnement et aux droits humains.

AE : Vous vous êtes également positionnés sur le rôle des parties prenantes dans le dispositif ? Quelles sont ces parties prenantes et à quels moments devraient-elles intervenir ?

AG : Ce qu'on vise par là, ce sont les organisations syndicales, les institutions représentatives du personnel, les ONG, mais aussi la société civile. C'est assez vaste. La proposition européenne parle assez souvent des parties prenantes, sans plus de définition. On estime que le texte devrait clairement dire que les organisations syndicales sont des parties prenantes. Il le dit déjà un peu au sujet du mécanisme de recueil des plaintes, mais il faut aller plus loin. Il y a d'autres stades où les parties prenantes devraient intervenir de façon obligatoire : lors de l'élaboration du plan de vigilance, notamment de la cartographie des risques qui permet de déterminer où, parmi les activités de l'entreprise, il existe des risques d'atteinte aux droits humains et à l'environnement. Elles devraient être associées aussi au suivi d'exécution, de même qu'au mécanisme de recueil des signalements. En revanche, on estime qu'elles n'ont pas à être associées nécessairement aux mesures de remédiation des risques à prendre une fois que l'on a établi la cartographie. On estime que ça relève alors de la liberté de gestion de l'entreprise.

AE : Que préconisez-vous en termes de contrôle et de sanctions des entreprises ?

AG : En l'état du droit français, si vous manquez au devoir de vigilance, la seule sanction, c'est la responsabilité civile. Une entreprise, dont il est fait la preuve qu'elle avait connaissance de risques d'atteintes aux droits humains et à l'environnement et qui n'a pas fait ce qui était nécessaire, engage sa responsabilité. Ce qui n'a pas été fait jusqu'à présent. Le texte européen propose d'aller au-delà, en prévoyant, comme en droit français, la responsabilité civile des entreprises mais en obligeant aussi chaque État membre à créer une autorité administrative qui aura pour mission de contrôler que les entreprises assujetties à la directive mettent bien en œuvre leur plan de vigilance. Cette autorité pourra faire des contrôles sur pièces ou sur place et sera dotée d'un organe de sanctions. Ça devrait ressembler à l'Agence française anticorruption. On pense que la proposition de la Commission européenne est une bonne chose, car plus il y a de voies de recours, plus l'effectivité de l'application du dispositif est assurée. Les recommandations que l'on a faites à ce niveau sont plus des ajustements techniques, relatifs aux pouvoirs de cette autorité, à ses missions d'accompagnement, mais aussi de contrôle et de sanctions, à un pouvoir de médiation ou à l'association des parties prenantes dans des commissions consultatives.

AE : Concernant la responsabilité civile, vous avez également mené une réflexion sur le préjudice écologique. Quelle est-elle ?

AG : Le texte européen, en l'état, prévoit l'indemnisation du préjudice subi par une personne physique ou morale, ce qui exclut l'indemnisation du préjudice écologique, alors que c'est possible dans certains droits, en particulier le droit français depuis une loi de 2016. On estime que ce serait une régression de ne pas le permettre dans les États qui l'autorisent.

AE : La responsabilité des administrateurs pourra-t-elle être mise en jeu ?

AG : Sur le plan européen, le Conseil, certainement plus sensible au lobbying des grandes entreprises, veut supprimer les articles qui font peser sur les administrateurs l'obligation de prendre en considération les questions de durabilité. Le Parlement veut les réintroduire. Nous sommes plutôt en phase avec le Parlement car, d'un point de vue du droit français, c'est assez naturel depuis la loi Pacte qui prévoit que les administrateurs agissent dans l'intérêt de la société, mais en prenant aussi en compte les enjeux sociaux et environnementaux. Cela pourra donner lieu à une action en responsabilité civile dirigée par les actionnaires eux-mêmes, ou par des tiers, contre les administrateurs de la société.

AE : Quelle est la portée des recommandations du Club des juristes auprès des institutions européennes ?

AG : Le Club des juristes est un think tank juridique, donc une force de proposition. L'idée est de concourir au débat européen avec des propositions qui viennent de juristes français ayant une certaine autorité pour parler de ce sujet, puisque la France connaît ce dispositif depuis cinq ans. Après, les autorités européennes s'en saisissent ou ne s'en saisissent pas. Je sais qu'un certain nombre de députés européens ont manifesté un intérêt. Dans le passé, on avait fait un rapport sur les sujets de compliance à l'échelle européenne que l'on avait présenté au commissaire européen chargé des sujets de justice.

AE : Pensez-vous que la directive européenne puisse ne pas voir le jour ?

AG : Le texte est en phase de trilogue. Au sein du Conseil, les positions sont susceptibles d'évoluer avec des conservateurs venant au pouvoir en Espagne ou en Allemagne qui pourraient avoir une hostilité contre le texte. Mais le débat est quand même assez avancé. On annonce le texte pour 2024. Ce serait un fort désaveu pour l'Union européenne si elle ne parvenait pas à accoucher de ce texte.

AE : Est-ce que l'adoption de la directive nécessiterait des ajustements de la loi française ?

AG : Elle nécessitera dans tous les cas une transposition en droit français. Les seuils ne seront pas les mêmes. Il faudra créer l'autorité de contrôle. Il y aura donc matière à ajustements. Se pose aussi la question de l'articulation entre la déclaration de performance extra-financière et le plan de vigilance, qui n'est pas toujours très claire. Et les seuils ne sont pas les mêmes. Les entreprises qui sont soumises aux deux fusionnent parfois les deux présentations. Nous préconisons de les distinguer car la déclaration de performance extra-financière, qui concerne d'ailleurs beaucoup plus d'entreprises, vise, de façon ultime, la performance boursière alors que le plan de vigilance est un sujet beaucoup plus vaste.

1. Télécharger le rapport Devoir de vigilance, quelles perspectives européennes ?
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-42252-rapport-club-juristes-devoir-vigilance.pdf

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