Les études francaises qui devaient contribuer à lever le doute sur le caractère cancérigène ou non du glyphosate ne verront finalement pas toutes le jour : l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a annoncé que le consortium scientifique coordonné par l'Institut Pasteur de Lille, retenu pour cette mission, retirait sa candidature. « Le coordinateur du consortium a décidé de se retirer considérant que les conditions de sérénité n'étaient pas réunies pour avoir un débat scientifique (…), il y a déjà des suspicions sur les données qui pourraient être produites », a indiqué Roger Genet, directeur général de l'Anses, lors de son audition devant l'Assemblée nationale jeudi 23 juillet.
C'est que la question est sensible et l'ensemble des experts ne s'accordent pas sur le sujet : en 2015 le centre international de recherche sur le cancer (Circ), de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), a en effet inscrit le glyphosate sur la liste des substances cancérigènes probables. Une position que ne partagent ni l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) ni l'Agence européenne des produits chimiques (Echa) qui estiment que l'herbicide ne nécessite pas la classification de cancérogène dans la réglementation de l'UE.
Une volonté d'améliorer la connaissance
Suite aux Etats généraux de l'alimentation, le Gouvernement français a saisi l'Anses pour tenter d'améliorer les connaissances sur la toxicité du glyphosate. Des experts de l'agence ont alors préconisé la réalisation de tests complémentaires. Pour les mettre en œuvre et abonder avec ces nouvelles données le dossier de réexamen de l'autorisation de la substance par les Etats membres, le ministère de l'Agriculture et l'Anses ont lancé un appel à candidatures en juillet 2019. Le Circ ainsi que le consortium coordonné par l'Institut Pasteur de Lille (IPL) avaient été alors retenus.
Les résultats seront directement versés au consortium chargé d'évaluer la substance active.
Autre regret de la députée des Deux-Sèvres : le coordonnateur du consortium retenu a également participé à un autre rapport d'expertise dont les travaux concluaient à un niveau de preuve de cancérogénicité relativement limité ne permettant pas de proposer un classement de cancérogène supposé. Or le code de déontologie de l'Anses indique que « toute suspicion établie sur des faits tels des différends entre deux personnes ou des prises de positions antérieures suffit à regarder comme établi le risque d'un manquement à l'impartialité. »
Un vivier d'experts réduit
« Nous sommes confrontés à une difficulté : le vivier d'experts mobilisables en toxicologie est très réduit en France », a justifié Roger Genet devant l'Assemblée. Nous avons également collectivement un effort à faire car il y a une confusion entre les liens d'intérêts et les conflits d'intérêts (…) Avec notre comité de déontologie, nous avons établi une grille d'analyse qui permet de déterminer ce qui fait le conflit d'intérêt, ce qu'est un lien majeur ou mineur, comment nous sélectionnons ce lien par rapport à la question posée aux experts. Si nous voulons choisir un expert qui n'a jamais rencontré un industriel, qui n'a jamais été dans un congrès sponsorisé par un industriel, vous n'aurez plus aucun scientifique ».
Ce rapprochement entre monde de la recherche et de l'industrie, sous forme de partenariat public-privé fait également partie d'une volonté affichée du Gouvernement.
La construction de garde-fou
Depuis quelques années pourrant, la communauté scientifique essaye de dresser un certain nombre de garde-fou pour garantir une confiance entre les chercheurs mais également avec la société.
En janvier 2015, six établissements scientifiques – le Cirad, le CNRS, l'Inra, l'Inria, l'Inserm, l'IRD, la fondation de recherche l'Institut Curie et la Conférence des Présidents d'Université - ont signé la Charte Française de Déontologie des Métiers de la Recherche. L'objectif ? Expliciter les critères d'une démarche scientifique rigoureuse et intègre, applicable notamment dans le cadre de partenariats nationaux et internationaux.
Le rapport commandé pour faire le point sur la mise en œuvre de cette charte, de Pierre Corvol, aujourd'hui président de l'Académie des Sciences, montre toutefois que des progrès restent à accomplir. « La France n'a pas, à première vue, à déplorer plus de cas de fraude, de méconduites scientifiques ou de pratiques discutables de recherche que les autres pays européens ou nord-américains, pointe-t-il. En revanche, dans beaucoup d'organismes et d'établissements de recherche, dans bon nombre d'universités, elle accuse un certain retard à la mise en place des mesures appropriées pour traiter l'intégrité scientifique et exercer un contrôle nécessaire ».
Parmi les propositions d'amélioration : la création d'une structure, l'Office français d'intégrité scientifique. Ce dernier voit le jour en mars 2017. Il est supervisé par le Conseil français de l'Intégrité Scientifique (Cofis). Ce dernier a récemment prolongé les travaux du rapport Corvol pour la période 2019-2020 dans une feuille de route nationale.
En parallèle, en 2016, la révision de la loi sur les droits et obligations des fonctionnaires –dite loi Le Pors - établit des référents déontologues dans les établissements publics. Ceux-ci sont chargés de veiller à la bonne application de cette loi, et en particulier à ce que l'exercice des missions des agents de la fonction publique ne soit pas compromis par des conflits d'intérêts.
Le comité déontologique de l'Anses en cours de renouvellement
Comme de nombreux instituts, l'Anses disposait ainsi d'un comité déontologique jusqu'à ce début d'année. Ce dernier est aujourd'hui en cours de renouvellement. « Le président du comité de déontologie m'a écrit le 6 janvier pour m'indiquer (…) que sa charge de travail augmentant par ailleurs, il ne souhaitait pas continuer, a justifié Roger Genet devant l'Assemblée. A la suite de la démission du président, deux membres ont souhaité arrêter également, en indiquant que les conditions n'étaient plus réunies pour pouvoir continuer à travailler, le comité étant réduit à quatre membres. Or le comité doit être constitué de 5 à 8 membres ».
Dans son dernier avis de juin 2019, le comité de déontologie indiquait une surreprésentation dans les rencontres avec les parties prenantes de certaines catégories d'intérêts. Ce qui lui paraissait « inévitable tant que les PI [porteurs d'intérêts] ont l'initiative des demandes de rencontres et que les parties prenantes les plus mobilisées demeurent celles dont les activités sont directement impactées par les décisions de l'Agence ».
Une porte de sortie par un élargissement européen
Pour l'Anses, une des solutions passe par le niveau européen. « La France dispose de bons toxicologues mais ils sont peu nombreux, nous ne nous en sortirons pas si nous n'élargissons pas la problématique au niveau européen, a estimé Roger Genet. C'est pour cela que l'agence a proposé un partenariat européen pour améliorer l'évaluation des risques des substances chimiques ». L'Anses est pressentie comme le futur coordinateur du partenariat.
Mais reste entière la question de la « preuve » de l'intégrité des experts.
« Il faut absolument éviter les conflits d'intérêts mais il serait illusoire de totalement supprimer les liens d'intérêts : nous avons tous un fonds personnel, y compris sa formation universitaire, qui fait que la manière dont nous parlons est forcément influencée par l'endroit d'où nous parlons, pointe quant à lui Olivier Le Gall, ancien directeur général délégué aux Affaires scientifiques de l'Inra, aujourd'hui président du Conseil français de l'intégrité scientifique. Une fois qu'un comité d'experts a été constitué en évitant au mieux les conflits d'intérêts, et que les liens d'intérêts restants ont été explicités le plus honnêtement possible, la manière d'en tenir compte revient à l'alchimie orchestrée par le président du comité".