Comment comprendre les différences d'usages des mobilités douces et des transports en commun entre villes ou aires urbaines de même taille ? Comment expliquer le succès du vélo ou de la marche dans certaines d'entre elles quand d'autres peinent à les développer ? Afin de cerner les facteurs de report modal vers l'une ou l'autre des solutions de mobilité, la Fédération nationale des associations d'usagers des transports a confié au bureau d'études spécialisé en transports Adetec le soin de mener l'enquête.
Facteur d'explication par facteur d'explication, son directeur, Bruno Cordier, a étudié la situation de 47 villes, 44 pôles urbains et 36 aires urbaines, pour quatre modes de transport (marche, vélo, transports en commun, voiture-deux-roues-taxis), en s'appuyant sur les enquêtes de déplacements et sur la base de cinq échelles : ville-centre, banlieue, pôle urbain, couronne périurbaine, aire urbaine.
Un héritage de l'histoire
Première constatation : plus les villes sont peuplées, plus la part modale de la voiture diminue. Paris arrive ainsi en tête des métropoles les moins utilisatrices de la voiture, suivie de Lyon. Mais Rennes ou Grenoble tirent mieux leur épingle du jeu que Lille ou Marseille. Ensuite, sans surprise, l'usage de la voiture s'accroit au fur et à mesure que les habitants s'éloignent des centres. Globalement, elle atteint 75 % de part des usages dans les couronnes périurbaines, pour 49 % en centre-ville, la marche y atteint 36,6 % au lieu de 18,5 % en grande banlieue. « Réussir à garder ses populations en ville ou a minima dans les banlieues les plus proches, mieux équipées en services et en commerces, est donc l'un des grands enjeux du moment », souligne Bruno Cordier.
Mais des moyens d'agir
D'autres éléments conditionnent également les choix des habitants et des visiteurs, comme la densité de l'enveloppe urbaine ou le taux de motorisation des ménages, sur lesquels il peut s'avérer difficile d'intervenir. Mais les collectivités disposent de nombreux leviers complémentaires pour faire évoluer les pratiques, notamment les politiques de mobilité. « Plus les plans de déplacement urbains (PDU) sont anciens, plus les habitants délaissent la voiture », note Bruno Cordier. Dans les villes qui ont rédigé leur PDU entre 1991 et 1997, ce moyen de locomotion affiche une part modale de 41 %. Dans celles qui l'ont élaboré entre 2005 et 2014, la proportion grimpe à 57 %...
Rennes versus Tours : chacune ses atouts et ses points faibles
L'étude de la Fnaut menée par Bruno Cordier se complète d'un zoom sur Tours et Rennes. Deux villes de taille comparable et bien placées en termes de report modal vers les transports moins carbonés. Tours bénéficie du dynamisme de son centre-ville, qui accueille notamment son palais des congrès, d'un maillage efficace des quartiers par les commerces et les services, d'un réseau de transports collectifs étoffé, avec tramway et bus à haut niveau de service, ainsi que d'une politique cyclable volontariste. Mais ses aménagements ont été réalisés au coup par coup et souffrent de discontinuités, notamment en ce qui concerne les aménagements pour le vélo. Les pistes aboutissant souvent sur les trottoirs. La ville accueille, en outre, un échangeur autoroutier.
« Ville du quart d'heure », Rennes, de son côté, se caractérise par un urbanisme en archipel, plus facile à desservir en transports collectifs. L'emprise des aires de stationnement reste modérée et les différents modes de mobilité sont bien pris en compte, la marche notamment. « Ville trente », Rennes dispose aussi de transports collectifs efficaces. En s'éloignant du centre, en revanche, sa diversité fonctionnelle s'étiole. La ville est par ailleurs pénalisée par la proximité d'une rocade et la présence de plusieurs routes « deux fois deux voies ». Mais elle se positionne finalement en quatrième position du palmarès des villes en termes de modération de l'usage de la voiture, derrière Paris, Lyon et Grenoble. Tours se situe, quant à elle, en huitième position.
Transports collectifs et… commerces
Parmi les variables susceptibles d'influencer les reports modaux, se trouve aussi l'offre de transports en commun, bien sûr, plus ou moins efficace en fonction de la fréquence, des capacités d'accueil et des amplitudes horaires. Mais elle ne suffit pas. Disposant d'un métro, Marseille affiche pourtant des résultats décevants. Bruno Cordier cite également la limitation à 30 km/h, pour l'ensemble de la ville ou pour de larges zones, favorable à la marche et au vélo, l'existence d'un schéma cyclable et de services associés ou encore celle d'un schéma piéton, mis en valeur par une communication efficace sur le site internet de la ville notamment.
Mais préserver les services et les commerces en centre-ville peut également se révéler particulièrement pertinent. Là où le taux de vacances des commerces est inférieur à 5 %, la marche atteint 39,6 % et les transports collectifs 19 %. Si la vacance dépasse 15 %, la marche chute à 30 % et les transports en commun à 4,9 %. « C'est l'un des points forts de Tours qui comporte, fait rare, deux magasins de bricolage en centre-ville et un bon maillage des quartiers par les commerces et les services », souligne Bruno Cordier. Pour ce dernier, le bilan final résulte souvent de facteurs croisés et complémentaires. « Il est donc nécessaire de travailler sur tous les tableaux et dans la durée. On va ainsi gagner 2 % par-ci, 3 % par-là. C'est l'addition de tout cela et leur synergie qui permet d'obtenir des résultats », précise-t-il.