« Le ras le bol fait que l'on est obligé de déposer un recours », explique Michel Aloiké, chef coutumier du village de Taluen (Guyane). Ce représentant de la culture wayana, accompagné de Linia Opoya, présidente de l'Association des victimes du mercure sur le Haut-Maroni, et de cinq autres associations (1) , ont déposé, ce mercredi 17 janvier, une requête devant le tribunal administratif de Cayenne pour contraindre l'État à agir dans la lutte contre l'orpaillage illégal et réparer les préjudices environnementaux résultant de cette activité clandestine.
Le dépôt de ce recours judiciaire fait suite au silence gardé par la préfecture sur la demande préalable que les associations lui avaient adressée, le 16 octobre dernier, en vue de faire respecter le droit et de réviser de façon urgente les moyens d'action existants. « Les manquements notoires des services de l'État dans leur lutte contre l'orpaillage illégal sont à l'origine de la destruction effrénée des écosystèmes du Haut-Maroni, de conditions sécuritaires dramatiques et d'un scandale sanitaire lié à la surexposition des communautés du fleuve au mercure depuis trente ans », estiment les requérants.
Sur le plan environnemental, l'orpaillage illégal serait à l'origine de la déforestation de 13 000 hectares depuis la création en 2007 du parc national, « pourtant censé être un outil de protection de la forêt amazonienne ». « Ce petit bout d'Amazonie va bientôt mourir », alerte Éléonore Johannès, représentante autochtone.
Carence fautive
Les requérantes souhaitent faire reconnaître la responsabilité de l'État pour carence fautive. Pour cela, elles entendent démontrer la violation de plusieurs obligations en matière de protection de l'environnement résultant de différents textes, qu'il s'agisse de la Convention de Minamata sur le mercure, de la directive-cadre sur l'eau ou du code minier. Elles soulèvent également des violations de textes et droits en matière de santé : Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, droit constitutionnel de chacun à vivre dans un environnement sain, ou encore obligation générale de protection de la santé publique.
Mais le recours va aussi sur le terrain, inédit, des droits de la nature. « Face à la carence fautive de l'État, nous voulons que le juge saisisse l'opportunité de notre recours pour constater explicitement l'existence des droits de la nature qui sont ici bafoués, et en particulier que le fleuve Maroni et ses affluents ont des droits fondamentaux, notamment le droit à la santé dont l'État devrait être le garant, tout comme il doit garantir le droit à un environnement sain de sa population », expose Marine Calmet, présidente de l'association Wild Legal. À cet effet, les requérants s'appuient sur des précédents judiciaires à l'étranger, en particulier sur le cas du fleuve colombien Atrato reconnu en 2016 comme sujet de droit à l'occasion d'un recours contre l'État pour carence dans sa lutte contre les activités minières clandestines.
Réparer le préjudice écologique
Dans le cadre de cette requête contre l'État français, les associations demandent au tribunal de contraindre l'État à adopter un nouveau plan d'action contre l'orpaillage illégal comprenant des volets écologique, économique, sanitaire, mais aussi militaire. Lors de sa visite en Guyane, le 31 décembre dernier, la Première ministre avait annoncé un renforcement des moyens techniques et humains dans la lutte contre l'orpaillage illégal. Des annonces qui « ne permettent absolument pas de lever les doutes quant aux moyens réels qui seront engagés par la France dans les années à venir », estiment les requérantes. D'autant que le chef du Gouvernement a changé entre-temps.
Concernant les dommages à la nature, la requête vise à contraindre l'État à prendre toutes mesures utiles pour réparer le préjudice écologique résultant de ses manquements. Une demande qui n'est pas sans rappeler le procès de l'Affaire du siècle en matière de climat ou le contentieux Justice pour le vivant en matière de pesticides. Dans cette perspective, « nous demandons une évaluation du préjudice écologique par des experts pour pouvoir mesurer les dégâts et évaluer les mesures les plus adaptées », explique Mégan Seube, avocate des requérants.