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Actu-Environnement

« Les polices environnementales souffrent d'une faiblesse structurelle »

Léo Magnin, coauteur d'un ouvrage sur les polices environnementales, met en lumière l'ensemble des contraintes auxquelles celles-ci sont confrontées. Un constat très éloigné de la puissance attribuée à l'OFB par le récent mouvement agricole.

Interview  |  Gouvernance  |    |  L. Radisson
   
« Les polices environnementales souffrent d'une faiblesse structurelle »
Léo Magnin
Chargé de recherche en sociologie au CNRS, membre du laboratoire interdisciplinaire Sciences, innovations, sociétés (Lisis), coauteur de l’ouvrage « Polices environnementales sous contraintes », éditions Rue d’Ulm
   

Actu-Environnement : Dans votre étude, vous estimez que les polices environnementales sont assez faibles. Qu'en est-il ?

Léo Magnin : Nous avons fait le choix de répondre à la thèse, qui connaît un regain aujourd'hui, selon laquelle l'écologie serait devenue punitive et que l'État pourrait contraindre les particuliers et les entreprises, ce qui poserait la question des atteintes à la liberté d'entreprendre et à la façon de vivre tel qu'on l'entend. Ce que l'on documente, c'est plutôt une faiblesse structurelle de ces polices parce qu'elles relèvent d'un morcellement institutionnel qui vient d'une très longue histoire, qu'elles ont peu de moyens par rapport aux objectifs qui leur sont fixés, et parce qu'elles rencontrent des résistances soit larvées, soit explicites, que les mobilisations agricoles ont bien montrées.

AE : Les polices de l'environnement sont-elles homogènes ?

LM : Le Conseil d'État recense 70 catégories d'agents différents qui peuvent faire appliquer la police de l'environnement, et 25 polices de l'environnement différentes. Nous ne pouvions pas toutes les approfondir. Nous avons donc brossé une sorte de panorama de ces polices, puis, petit à petit, nous nous sommes recentrés sur la police de l'eau et de la nature, et sur l'action de l'Agence française pour la biodiversité (AFB), devenue Office français de la biodiversité (OFB) après sa fusion avec l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), à travers notamment l'articulation de la police administrative et de la police judiciaire. Les différentes polices n'ont pas les mêmes moyens, mais l'écart entre les enjeux auxquels elles doivent répondre et les moyens qui leur sont alloués est relativement commun. Il y a toutefois une diversité de métiers considérables, parfois sous la même dénomination juridique. C'est le cas des inspecteurs de l'environnement qui, depuis 2013, regroupent plusieurs catégories d'agents et d'activités. D'un côté, on a des agents des services de l'État qui font principalement de la police administrative, c'est-à-dire une police préventive ou de régularisation a posteriori sans visée répressive, et qui consiste principalement en du travail de bureau. De l'autre côté, les inspecteurs de l'environnement de l'OFB qui peuvent faire du judiciaire, sur le terrain, et font moins de contrôles administratifs.

AE : Quels sont les différents obstacles rencontrés par les polices de l'environnement ?

LM : Ce sont d'abord les moyens. Sur le plan humain, il y a environ 1 700 inspecteurs de l'environnement à l'OFB. Ils ont un panel d'activités assez large car la police n'est qu'une de leurs activités. Ils font aussi de la sensibilisation de la société civile, de l'appui technique pour d'autres services de police, des collectivités ou des services de l'État, ainsi que de la surveillance et de la connaissance des milieux. Du temps de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema), entre 2007 et 2017, il y avait un agent (équivalent temps plein) pour 1 000 km de cours d'eau, selon mon collègue sociologue Sylvain Barone. Le chiffre est difficile à actualiser du fait de la fusion successive des établissements, mais cela permet d'imaginer le contraste entre les objectifs sur les milieux et les moyens alloués.

Une autre difficulté rencontrée, c'est une certaine modération des sanctions qui participe au manque de visibilité de ces polices qui sont très peu connues du grand public et peu identifiées par rapport à la police nationale ou à la gendarmerie, par exemple. Au tribunal correctionnel, l'environnement, c'est moins de 1 % des affaires car il existe une grande diversité d'alternatives aux poursuites ou des amendes allégées. La transaction pénale permet, par exemple, de transformer des sanctions judiciaires en sanctions administratives, sans publicité de la peine, avec une amende allégée moyennant l'accord de la personne physique ou morale mise en cause. Cela permet aussi une remise en état plus facile des milieux, ce qui, de ce point de vue, est positif.

AE : Y a-t-il d'autres obstacles, peut-être plus discrets ?

LM : Oui, un point très important, c'est le fait que ces polices ne font pas que se heurter à des résistances externes, par exemple les agriculteurs, les pêcheurs, les chasseurs ou les conducteurs de quads dans des parcs naturels, mais elles sont aussi confrontées à des résistances internes à l'État. De la même manière qu'il y a des tensions à l'échelle nationale entre le ministère de l'Environnement et le ministère de l'Agriculture, il existe des tensions sur le plan local entre, par exemple, le préfet et le procureur. Le premier représente le Gouvernement et a pour principal objectif de concilier les intérêts locaux, de maintenir l'ordre et d'assurer la poursuite du bon déroulement des activités économiques locales, tandis que le parquet a pour fonction de faire appliquer la loi sans se préoccuper a priori des potentielles répercussions sur les élites locales ou sur le maintien de l'ordre. Les agents peuvent être tiraillés entre les deux, en devant par exemple écrire un arrêté sécheresse sous l'autorité du préfet et, s'ils constatent une flagrance, passer sous l'autorité du procureur pour faire respecter cet arrêté. Le travail des inspecteurs de l'environnement consiste aussi à créer des procédures possibles en droit, mais rares en pratique. Dans le domaine judiciaire, cela engage des savoirs à construire, des liens à établir avec les magistrats. Il est fréquent que ces derniers relèguent le contentieux environnemental, parce que le système judiciaire est dans un état de « délabrement avancé » pour reprendre les termes des États généraux de la justice de 2022.

AE : Vous avez aussi fait une mise en perspective plus théorique du travail de ces polices. Qu'en est-il ?

LM : Nous faisons l'hypothèse que ces polices peuvent être analysées comme des polices d'avant-garde. Contrairement à des polices de droit commun bien identifiées, comme la police ou la gendarmerie, les polices de l'environnement ne travaillent pas au maintien d'un ordre qui leur préexiste mais plutôt à l'avènement d'un ordre qui n'existe pas. Un ordre environnemental inscrit dans le droit, qui est exigeant mais dont la mise en œuvre est beaucoup plus modérée. C'est la grande différence entre des polices classiques qui maintiennent un ordre et essaient de le gérer, l'intégrité physique des personnes étant une valeur peu contestée, et des polices de l'environnement dont la protection peut reposer sur des savoirs qui sont très techniques, comme la compréhension du fonctionnement d'un cours d'eau. Cela implique un travail de requalification de la perception commune de l'environnement.

AE : Pourquoi les polices de l'environnement sont-elles rejetées par certains acteurs si elles sont si faibles ? Est-ce parce qu'elles sont mal comprises ?

LM : Il serait assez irénique de penser que les problèmes ne viennent que de quiproquos. Si on prend l'exemple des tensions avec le monde agricole, elles ne se réduisent pas à des situations de tensions lors des contrôles. L'interaction du contrôle prend place dans un continuum politique et social, dans lequel les représentants de la profession agricole cherchent à réduire les normes environnementales de manière à ce qu'elles ne contraignent pas leurs pratiques. Cela s'observe sur le plan européen avec la Copa-Cogeca, à l'échelle nationale avec la FNSEA principalement et, à l'échelon local, dans les comités sécheresse par exemple. Il existe des oppositions beaucoup plus profondes, notamment en termes économiques car, en effet, le droit de l'environnement, s'il est appliqué, peut constituer une charge supplémentaire pour les entreprises. Les agriculteurs ont affaire à des administrations qui gèrent souvent des aides à destination de l'agriculture. Dans les dernières manifestions, il y avait une demande très claire de la FNSEA de ne pas avoir de réglementation supplémentaire à celle existante dans la Politique agricole commune (PAC). Ce sont des tensions qui s'incarnent aussi dans les corpus juridiques avec des politiques publiques qui peuvent être contradictoires. La PAC, d'un côté, continue, malgré des tentatives de réforme, de conditionner les aides versées à la taille de l'exploitation. De l'autre, le droit de l'environnement essaie de faire reconnaître la valeur des milieux, la préservation et l'amélioration de l'environnement étant un devoir cité dans la Charte de l'environnement.

AE : Mais n'y a-t-il pas différentes perceptions au sein du monde agricole ?

LM : Ce que l'on peut souligner, c'est que la très grande hétérogénéité sociologique du monde agricole contemporain, qui repose aussi sur des concurrences pour le foncier, pour les marchés et pour les aides, est contrebalancée par une figure relativement consensuelle : la police de l'environnement comme adversaire, incarnée par l'OFB. L'établissement a été la cible de très vives critiques lors des dernières manifestations, alors que c'est un mouvement qui porte d'abord sur le revenu agricole et sur le renouvellement des générations. Cela a donc été l'occasion de remettre sur le devant de la scène une vieille revendication, notamment de la FNSEA, qui est de désarmer les agents et de limiter l'action de l'OFB.

AE : Avez-vous des conclusions à livrer aussi sur la perception des polices de l'environnement en dehors du monde agricole ?

LM : Il y a très peu de travaux sur l'exercice de la police sur les milieux maritimes, notamment sur le littoral, pas plus que sur la forêt, qui est à la fois un milieu naturel et un secteur économique avec des problèmes qui lui sont propres. Un troisième public qu'il faudrait spécifiquement étudier, ce sont les aménageurs. Nous pensons qu'il y a des choses qui se jouent là mais nous n'avons, à ce stade, pas d'éléments pour faire des analyses approfondies.

AE : Après avoir fait le constat des faiblesses des polices de l'environnement, formulez-vous des recommandations ?

LM : Non, mais nous mettons l'accent sur la faiblesse des moyens. Nous signalons toutefois que s'ils étaient augmentés, cela ne ferait pas tout car ces polices sont amenées à gérer les contradictions au quotidien entre, d'un côté, le fonctionnement économique des entreprises et, de l'autre, les exigences environnementales traduites dans le droit. En donnant plus de moyens, nous ne sommes pas certains que cela se traduirait dans les milieux naturels. La contradiction engage une réflexion plus générale sur la place de l'environnement dans les politiques publiques.

AE : Cela signifie-t-il que des choix politiques plus cohérents devraient être faits ?

LM : La visibilité sur l'avenir est encore plus difficile qu'avant les mobilisations agricoles car certains objectifs sont repoussés ou diminués en termes d'exigence environnementale. La transformation s'inscrit dans un temps long. Or, on voit avec ces mobilisations, et surtout avec la réponse de l'exécutif, que ce temps long peut être affecté par la prise de parole en gestion de crise. Plusieurs phrases du Premier ministre lors de son discours du 26 janvier laisseront des traces dans la mise en œuvre du droit de l'environnement pour les années qui viennent. Lorsqu'il a dit qu'on allait mettre l'OFB sous l'autorité des préfets, ce qui permettra aux agriculteurs de dire directement à ces derniers lorsque ça ne va pas, c'est une sorte de renversement entre contrôleurs et contrôlés, au moins symboliquement. Cette déclaration va générer des attentes chez les représentants syndicaux agricoles qui ne pourront probablement pas être satisfaites par les pouvoirs publics. D'ailleurs, ces derniers n'en parlent plus. Ce type de palinodie ne favorise pas la lisibilité du droit de l'environnement sur le temps long.

Réactions2 réactions à cet article

Bon article, disons que les paysans sont la raison de notre paysage, et que les payer uniquement pour le productivisme est la raison de sa destruction. C'est un peu comme la chasse aux trafiquants de drogue, dont l'alcool. Si la population ne trouvait pas de plaisir dans la consommation, il n'y aurait pas de vente, officielle ou cachée.
Donc pas besoin de police !
Nous tombons dans la philosophie, et la souffrance existentielle... Hors sujet.

28plouki | 12 mars 2024 à 09h31 Signaler un contenu inapproprié

« Les polices environnementales souffrent d'une faiblesse structurelle » : est-ce bien le fruit du seul hasard ?

Pégase | 13 mars 2024 à 14h26 Signaler un contenu inapproprié

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