« L'obtention des autorisations nécessaires à la création d'une nouvelle usine dans des délais fiables et maîtrisés est au cœur des préoccupations exprimées par les dirigeants d'entreprises », assurait le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, en début d'année. Après l'état d'urgence sanitaire et la crise économique qui en découle, cette préoccupation du Gouvernement est encore plus vive aujourd'hui.
En janvier dernier, la secrétaire d'État Agnès Pannier-Runacher avait dévoilé une liste de douze sites industriels « clés en main » à l'occasion du sommet « Choose France », qui a réuni les dirigeants de groupes internationaux à Versailles. Il s'agit de sites pour lesquels les procédures administratives relatives à l'urbanisme, à l'archéologie préventive et à l'environnement ont été menées en amont par un aménageur, de telle sorte qu'un industriel puisse démarrer sa production dans un laps de temps de quelques mois seulement.
Si Bercy cherche à intégrer l'artificialisation des sols et la préservation de la biodiversité dans l'équation, l'exemple du site du Carnet sur l'estuaire de la Loire montre encore la difficulté des pouvoirs publics et des maîtres d'ouvrage à monter des projets sans porter atteinte aux milieux naturels.
Implantation de projets industriels d'envergure
« Des discussions sont en cours en vue de l'implantation de projets industriels d'envergure sur plusieurs de ces sites », indique le cabinet de Mme Pannier-Runacher à Actu-Environnement. Des visites avaient été organisées au premier trimestre par Business France, agence chargée d'accompagner les entreprises étrangères pour leur investissement dans l'Hexagone. Bercy annonce par ailleurs que la liste des sites « clés en main » va être prochainement complétée par une deuxième vague de plusieurs dizaines de sites industriels en lien avec le dispositif « Territoires d'industrie » destiné à redynamiser l'industrie française.
La réindustrialisation apparaît d'autant plus urgente aux yeux du Gouvernement que la crise de la Covid-19 a montré notre dépendance vis-à-vis de pays étrangers comme la Chine et la nécessité de relocaliser certaines productions. L'installation accélérée d'industriels sur les sites « clés en main » n'est pas dépendante du vote du projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique, dit « Asap », assure le cabinet de la secrétaire d'État. Ce texte, dénoncé comme une destruction du droit de l'environnement par un groupe de juristes experts, a vu sa discussion parlementaire stoppée par la crise sanitaire.
Si France Nature Environnement (FNE) a vivement critiqué avec ces experts la possibilité d'autoriser des travaux de construction industrielle en anticipant sur la délivrance de l'autorisation environnementale, l'ONG ne se dit en revanche pas opposée à l'idée d'une planification en amont. Une telle démarche pourrait en effet permettre d'éviter d'autoriser des ZAC, des carrières, des décharges ou autres projets sur des sites à forts enjeux pour la biodiversité, estime-t-elle. « Néanmoins, la détermination des zones industrielles par des plans d'urbanisme clés en main nécessite que les élus engagent des diagnostics biodiversité sur ces zones et que soient définies les conditions précises d'admission des types d'activités en fonction des impacts prévisibles », explique Arnaud Schwarz, président de FNE.
110 hectares pour l'accueil d'un parc éco-technologique
Malgré la volonté d'Agnès Pannier-Runacher « d'optimiser des sites industriels existants et de valoriser des friches industrielles », sur le terrain, les sites « clés en main » ne riment pas nécessairement avec une absence de destructions d'espaces naturels. Le cas du Carnet en Loire-Atlantique, qui fait partie de la première liste dévoilée en janvier, est, à cet égard, emblématique.
« À proximité des installations portuaires de Montoir-de-Bretagne et de Saint-Nazaire, mais en rive sud, les réserves foncières du site du Carnet constituent le lieu idéal pour accompagner la diversification industrielle du territoire. Sur une surface de 400 hectares, on y aménage ainsi 110 hectares pour l'accueil d'un parc éco-technologique orienté sur les énergies marines renouvelables », vante le Grand-Port maritime de Nantes-Saint-Nazaire. « Outre le remblaiement d'une grande partie du terrain (…), le terrassement et la viabilisation de 110 ha, le maître d'ouvrage prévoit la création d'un ponton flottant, d'un quai de 200 m sur 35 m, la création de deux appontements et la remise à niveau de l'appontement existant », récapitulait l'Autorité environnementale dans l'avis qu'elle a rendu en juillet 2016 sur le projet d'aménagement du site.
Une partie de celui-ci était voué aux activités industrialo-portuaires depuis les années 1970 et une contestation avait mis fin, en 1997, à un projet de centrale nucléaire qui avait été déclaré d'utilité publique en 1988. Le site accueille, depuis avril 2012, un prototype d'éolienne offshore du groupe Alstom, devenu General Electric, et conserve un port à sec et un appontement pour les produits chimiques liquides.
Riche biodiversité
Malgré l'historique du site et les quelques aménagements présents, celui-ci a conservé une riche biodiversité. « La quasi-totalité des 395 ha du site sont aujourd'hui des espaces naturels, les remblais sableux ayant été progressivement reconquis par la nature. On y trouve de nombreux habitats d'intérêt communautaire (certains sont reconnus prioritaires), des zones humides (60 % du périmètre du site) et une mosaïque fine de milieux caractéristiques de l'île du Carnet, abritant des espèces protégées, qui présentent des enjeux globalement forts », souligne l'Autorité environnementale.
Le projet d'aménagement du site divise toutefois les associations. France Nature Environnement Pays-de-la-Loire, Bretagne Vivante et la LPO Loire-Atlantique ont accepté de discuter avec le Grand Port « des modalités d'une implantation la moins pénalisante d'un point de vue environnemental ». Les ONG, qui rappellent leur combat historique pour la préservation de l'estuaire, mettent en avant plusieurs « raisons pragmatiques » : échec des procédures judiciaires, risque de poursuite des aménagements au coup par coup sans prise en compte des enjeux écologiques, trajectoire écologique du site « inquiétante ». En contrepartie de leur acceptation de participer à la concertation, les associations ont exigé plusieurs garanties sur l'aménagement du site : gestion conservatoire des 285 ha maintenus en espaces naturels, existence d'une réelle demande des entreprises de la filière des énergies renouvelables (EnR), réversibilité des aménagements, mesures compensatoires ambitieuses.
Cette position n'est pas du goût du collectif Stop Carnet qui dénonce, quant à lui, « un carnage » et appelle à « la résistance contre la destruction de ce site naturel ». Même si le Grand Port Maritime refuse de communiquer sur un calendrier, les travaux pourraient en effet débuter cet automne. Le collectif appelle à une journée d'action ce mercredi 17 juin, qui s'inscrit dans un appel national à « agir contre la réintoxication du monde », lancé par une centaine de groupes écologistes, syndicats, ZAD, espaces autogérés et territoires en luttes. « Paradoxe insoutenable, l'artificialisation de ce pan d'estuaire qui abrite pas moins de 116 espèces protégées, se ferait au nom de l'implantation d'"éco-technologies". Derrière ce terme creux, les mêmes multinationales qui répandent le chaos climatique et social partout dans le monde se tiennent en embuscade pour s'implanter avec un verdissement de façade », dénonce le collectif.
Si le maître d'ouvrage prévoit de restaurer les milieux naturels sur 285 ha, ce projet montre toutefois toute la difficulté du Gouvernement et des maîtres d'ouvrage à concilier les impératifs de développement industriel et de préservation de la biodiversité. Le plan biodiversité, présenté en juillet 2018 par le Premier ministre, affichait comme objectif central « zéro artificialisation nette des sols ». Un objectif qui implique a minima de réutiliser des sites déjà artificialisés plutôt que de s'implanter sur des zones naturelles.