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Risques technologiques : retour sur l'année 2022-2023

La période étudiée a notamment connu la publication de lois et d'actes réglementaires s'inscrivant dans la prévention et dans la réparation, alors que les juridictions judiciaires et administratives ont statué.

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Droit de l'Environnement N°326
Cet article a été publié dans Droit de l'Environnement N°326
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Risques technologiques : retour sur l'année 2022-2023
Marie-France Steinlé-Feuerbach, Éric Desfougères, Benoît Steinmetz, Anthony Tardif, Caroline Lacroix, Hervé Arbousset
Respectivement professeur émérite de l'université de Haute-Alsace, maîtres de conférences (HDR) à l'université de Haute-Alsace, maître de conférences à l'université de Haute-Alsace, maître de conférences (HDR) à l'université d'Évry Val d'Essonne-Paris Sac
   

I. Lois, règlements, travaux parlementaires et rapports

La loi du 24 janvier 2023 (1) d'orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur intègre au code de la sécurité intérieure, au titre de la direction des opérations de secours, un nouvel article (L. 742-2-1) englobant aussi les risques industriels.

En effet, « lorsque surviennent des événements de nature à entraîner un danger grave et imminent pour la sécurité, l'ordre ou la santé publics, la préservation de l'environnement, l'approvisionnement en biens de première nécessité ou la satisfaction des besoins prioritaires de la population » au sens de l'article L. 732-1, le représentant de l'État dans le département du siège de la zone de défense et de sécurité peut, lorsque le préfet de département l'estime nécessaire afin de rétablir l'ordre public, agir par le biais d'actions ou de décisions caractérisées par l'urgence. Celles-ci doivent permettre, en application de l'article L. 742-1 dernier alinéa, « de soustraire les personnes, les animaux, les biens et l'environnement aux effets dommageables d'accidents, de sinistres, de catastrophes, de détresses ou de menaces. Elles comprennent les opérations réalisées dans le cadre des missions définies à l'article L. 1424-2 du même code ».

Il s'agit ainsi, pour le représentant de l'État, de « prévenir et [de] limiter les conséquences de ces événements ». Ce dispositif est aussi consacré pour la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie, permettant au haut-commissaire de la République dans la première (2) et au haut-commissaire chargé de la zone de défense et de sécurité dans la seconde (3) , de rétablir l'ordre public. Le rapport annexé à la loi emploie l'expression « crises de demain hybrides et interministérielles » pour lesquelles il faut « nous armer ».

Ce document se réfère-t-il à ce que des auteurs ont identifié depuis longtemps : les risques industriels peuvent s'additionner voire amplifier un risque naturel, exigeant de ne pas adopter une vision consistant à vouloir prévenir un seul risque ? Cette lecture s'impose car il est écrit que « les crises auxquelles nous ferons face dans les prochaines années seront de plus en plus inattendues (…) et hybrides ; elles n'entreront plus dans les « cases » de la sécurité civile, de l'ordre public (…) ». Il n'est donc plus question de gérer une crise sinon d'anticiper un risque mais d'imaginer une conjonction d'événements de nature à déstabiliser l'organisation de crise de l'État s'il avait conservé une approche unique du risque.

La loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables intègre un article au code de l'environnement (4) autorisant notamment le représentant de l'État dans le département à subordonner « la construction ou la mise en service de nouvelles installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent soumises à autorisation environnementale à la prise en charge par l'exploitant de l'acquisition, de l'installation, de la mise en service et de la maintenance d'équipements destinés à compenser la gêne résultant de cette installation pour le fonctionnement des moyens de détection militaires ou pour le fonctionnement des radars et des aides à la navigation utilisés en support de la navigation aérienne civile ». La loi du 22 juin 2023 relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires complète l'article L. 593-7 du code de l'environnement qui concerne la création, après autorisation, des installations nucléaires de base (INB). En effet, les « connaissances scientifiques et techniques du moment » sur lesquelles repose l'autorisation incluent désormais celles liées au « changement climatique et ses effets ». Il appartient toujours à l'exploitant de démontrer « que les dispositions techniques ou d'organisation prises ou envisagées aux stades de la conception, de la construction et de l'exploitation ainsi que les principes généraux proposés pour le démantèlement ou, pour les installations de stockage de déchets radioactifs, pour leur entretien et leur surveillance après leur fermeture sont de nature à prévenir ou à limiter de manière suffisante les risques ou inconvénients que l'installation présente pour les intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 ». Mais désormais, « cette démonstration tient compte des conséquences du changement climatique sur les agressions externes à prendre en considération dans le cadre de celle-ci ». La prise en compte des connaissances sur le changement climatique s'impose aussi à l'exploitant (5) réexaminant périodiquement son installation.

La loi du 23 juillet 2023 a, enfin, autorisé la ratification du protocole du 30 avril 2010 à la convention de Londres relative à la responsabilité et à l'indemnisation des dommages liés au transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses. À l'instar des pollutions par hydrocarbure (marées noires), un système à deux niveaux est instauré (une assurance obligatoire pour les propriétaires de navires et un fonds d'indemnisation, financé par une contribution des réceptionnaires) pour couvrir les risques d'incendie et d'explosion provoquant des dommages aux personnes, aux biens et des atteintes à l'environnement.

Une décision d'exécution de la Commission européenne du 21 juin 2023 a modifié la directive du 24 septembre 2008 afin d'autoriser des dérogations nationales aux prescriptions concernant le transport intérieur de matières dangereuses. En France, les transports de déchets d'activités de soins infectieux, si la masse demeure inférieure à 15 kilogrammes (kg), échappent aux exigences de l'ADR (6) . Le transport pour compte propre (marchandises appartenant à celui qui les déplace) n'est pas soumis à un document spécial, et en matière ferroviaire, l'obligation de déchargement ne s'impose pas. La procédure spécifique aux petites quantités de substances chimiques est validée. Pour les entreprises assurant la livraison et le déconditionnement, les emballages des produits pharmaceutiques non médicamenteux ne sont pas soumis aux obligations de marquage. En matière maritime, le document maritime peut tenir lieu de document de transport dans un rayon de 15 kilomètres (km). Les conditions particulières du transport de déchets contenant de l'amiante libre sont reconnues comme particulièrement adaptées.

La loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets a étendu aux risques miniers (7) et aux zones de nature à être atteintes par le recul du trait de côte l'obligation d'information des vendeurs et des bailleurs de biens immobiliers (8) . Les modifications de l'article L. 125-5 sont applicables depuis le 1er janvier 2023, date d'entrée en vigueur du décret du 1er octobre 2022 relatif à l'information des acquéreurs et des locataires sur les risques. Outre l'extension du domaine de l'obligation d'information, l'article L. 125-5 impose au vendeur et au bailleur de communiquer un état des risques à la première visite mentionnant notamment tout sinistre indemnisé suite à un arrêté CatNat (9) . Au-delà, toute annonce concernant la vente ou la location doit indiquer le moyen d'accéder aux informations sur les risques auxquels le bien est exposé. Le décret précise le contenu de cet état des risques et exige dans l'annonce la référence au site internet « Géorisques ».

Le 1er janvier 2023 est une date-clef de modification de la réglementation du transport de matières dangereuses. Il y a eu, d'abord, deux arrêtés du 23 novembre 2022 relatifs au transport maritime. Le premier a actualisé les mesures nationales applicables en modifiant la division 411 relative au transport en colis, du règlement annexé à l'arrêté du 23 novembre 1987 relatif à la sécurité des navires et à la prévention de la pollution. Il a ouvert la possibilité d'appliquer, de manière anticipée, dès le 1er janvier 2023, l'amendement 41-22 au code maritime international des marchandises dangereuses (IMDG). Le second arrêté du 23 novembre 2022 a modifié les dispositions relatives au transport des cargaisons solides en vrac. Il y a, ensuite, l'arrêté du 19 décembre 2022 modifiant l'arrêté du 29 mai 2009 relatif aux transports de marchandises par voie terrestre (dit « arrêté TMD ») conduisant à l'entrée en vigueur de la dernière actualisation mineure.

En application de l'arrêté TMD, un arrêté ministériel du 28 mars 2023 a agréé et habilité l'organisme de contrôle « Association des contrôleurs indépendants » (ACI) pour vérifier des véhicules et des récipients servant au transport terrestre de marchandises dangereuses.

Ensuite, le 1er janvier 2023 entre en vigueur la 64ème édition de la réglementation produite par l'International Air Transport Association en matière aérienne. Les principaux changements ont porté sur les marchandises dangereuses transportées par les passagers ou membres de l'équipage, les marchandises dangereuses en quantité exceptés, la classification et la liste des matières dangereuses, les instructions d'emballage et le marquage.

Le décret du 28 novembre 2022 définit la nature et les modalités de fixation du montant des garanties financières qui doivent être constituées avant l'ouverture de travaux de recherche ou d'exploitation de mines. En outre, il modifie les dispositions applicables aux plans de prévention des risques miniers, remplaçant le paragraphe VI du décret du 16 juin 2000 (10) .

Le décret du 22 décembre 2022 portant sur l'encadrement de l'utilisation de caméras et capteurs sur des aéronefs circulant sans personne à bord pour la connaissance des phénomènes naturels et la police administrative des risques technologiques définit les cas d'utilisation de ces engins volants et les modalités d'encadrement de leur emploi en complément de ce qui est prévu (11) par la loi portant lutte contre le dérèglement climatique. Le décret concerne notamment les mesures de police sur les sites industriels, digues et barrages (12) . Les fonctionnaires et agents publics habilités « peuvent mettre en œuvre, (13) en tous lieux relevant de leurs pouvoirs de contrôles ou d'enquête, les traitements des données provenant des caméras et capteurs installés sur des aéronefs circulant sans personne à bord et opérés par un télépilote » au titre de leurs missions de police administrative. « Une information préalable au survol par l'aéronef circulant sans personne à bord est publiée sur le site des services de l'État (14) dans le département au moins quarante-huit heures avant le début des opérations de survol ».

Le décret du 11 janvier 2023 relatif à l'autorisation environnementale des travaux miniers traduit les dispositions de l'ordonnance du 13 avril 2022 relative à l'autorisation environnementale des travaux miniers (contenu du dossier de demande, conditions de délivrance et de mise en œuvre de l'autorisation).

Le décret du 31 mars 2023 relatif à la protection des zones de captages et des bassins connaissant d'importantes marées vertes sur les plages contre la pollution par les nitrates d'origine agricole et aux dérogations préfectorales dans le cas de situations exceptionnelles modifie le II de l'article R. 211-81-1 du code de l'environnement relatif aux dispositions des programmes d'actions régionaux (visant à lutter contre la pollution par les nitrates d'origine agricole) sur les zones de captage de l'eau destinée à la consommation humaine et sur les bassins sujets à d'importantes marées vertes sur les plages et crée un article  R. 211-81-1-1.

Le décret du 11 août 2023 révisant et complétant les tableaux de maladies professionnelles annexés au livre VII du code rural et de la pêche maritime crée le tableau des maladies professionnelles n° 47 ter relatif aux cancers du larynx et de l'ovaire à la suite de l'inhalation de poussières d'amiante, fixe les conditions de prise en charge au titre des maladies professionnelles et la liste restrictive des travaux susceptibles de provoquer ces maladies en milieu agricole.

Le décret du 29 août 2023 relatif aux usages et aux conditions d'utilisation des eaux de pluie et des eaux usées traitées simplifie la procédure d'autorisation de réutilisation des eaux usées traitées et définit les conditions d'utilisation des eaux de pluie pour les usages non domestiques.

Le décret du 15 septembre 2023 permet l'application de l'article 10 de la loi du 25 novembre 2021 (15) . Il définit notamment les principes de l'information préventive par les maires et l'État en matière de risques majeurs en application de l'article L. 125-2 du code de l'environnement, modifie les zones du territoire où s'applique le droit à l'information mentionné à l'article L. 125-2 en raison de l'existence d'au moins un risque majeur, précise le contenu de l'information apportée par l'État sur les risques majeurs notamment celui des dossiers départementaux des risques majeurs.

Une circulaire du 27 janvier 2023 du ministre de la Transition écologique a fixé les orientations stratégiques 2023-2027 de l'inspection des installations classées. Il est notamment fait état d'une « meilleure prise en compte de l'impact du changement climatique sur les installations classées », d'une vigilance particulière sur le vieillissement du parc industriel et d'une prise en compte des enjeux de vulnérabilité des systèmes d'information.

En juin 2023 a été publié le rapport de l'inspection des installations classées (16) (ICPE). Alors que la France compte environ 87 693 sites ICPE, 22 852 inspections ont eu lieu. Elles ont abouti à 3 053 mises en demeure, 605 sanctions administratives, 74 suspensions temporaires d'activité, 12 exécutions d'office de travaux et quatre appositions de scellés. Le nombre d'accidents a baissé (375) par rapport à 2021 (477). L'inspection est fortement mobilisée sur le sujet de la décarbonation des 50 sites industriels français émettant le plus de gaz à effet de serre et sur les effets du réchauffement climatique. Le rapport énonce les priorités pour 2023, notamment (17) « la préservation de la ressource en eau (…), le contrôle des mises en œuvre des évolutions réglementaires (post-accident de l'usine Lubrizol et des entrepôts Normandie logistique) pour les liquides inflammables et le stockage de matières combustibles (…) ».

II. Jurisprudence administrative

La cour administrative d'appel de Versailles (18) a appliqué les dispositions de l'article L. 515-16-2 du code de l'environnement, jugeant « que les possibilités pour un plan de prévention des risques technologiques (PPRT) de prescrire la réalisation de travaux de protection sont désormais limitées aux seuls logements. Ainsi, s'agissant des biens qui ne sont pas assimilables à des logements, un PPRT ne saurait prescrire la réalisation de travaux de renforcement en particulier sur le domaine public. La réalisation de tels travaux réalisés sur des biens publics (…) et leur charge, incombent aux seuls propriétaires et gestionnaires de ces biens, qui doivent, après que le préfet les ait informés du type de risques auxquels leur bien ou activité est soumis, ainsi que de la gravité, de la probabilité et de la cinétique de ces risques, mettre en œuvre leurs obligations en matière de sécurité des personnes. Par suite, le moyen tiré de ce que le PPRT n'a pas intégré la réalisation de l'ouvrage de protection (…) ne peut qu'être écarté ».

Par une décision du 10 mai 2023, le Conseil d'État a ordonné au Gouvernement de prendre de nouvelles mesures d'ici le 30 juin 2024 afin d'atteindre l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Déjà, le 1er juillet 2021 (19) , les juges du Palais Royal avaient enjoint à l'État d'aller en ce sens avant le 31 mars 2022 (20) . Un an après, ils constatent que des normes supplémentaires ont été prises, mais qu'il n'y a toujours pas de garantie sur la crédibilité de la trajectoire de réduction. Le Conseil d'État décide de compléter l'injonction prononcée en 2021, sans nouvelle astreinte, en imposant à « la Première ministre de prendre toutes mesures supplémentaires utiles pour assurer la cohérence du rythme de diminution des émissions de gaz à effet de serre avec la trajectoire de réduction de ces émissions retenue par le décret du 21 avril 2020 précité en vue d'atteindre les objectifs de réduction fixés par l'article L. 100-4 du code de l'énergie et par l'annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 avant le 30 juin 2024 et de produire, à échéance du 31 décembre 2023, puis au plus tard le 30 juin 2024, tous les éléments justifiant de l'adoption de ces mesures et permettant l'évaluation de leurs incidences sur ces objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre ».

En application de l'article L. 171-7 du code de l'environnement, dans l'hypothèse d'un exploitant d'une ICPE sans autorisation, « l'autorité administrative met l'intéressé en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu'elle détermine, et qui ne peut excéder une durée d'un an ». Le Conseil d'État a statué à propos d'une société mise en demeure de suspendre ses activités de stockage et de régulariser sa situation en déposant une demande d'enregistrement d'une installation classée. L'exploitant sans titre devait-il être qualifié de personne « intéressée » au sens de l'article L. 171-7 du code de l'environnement ? Selon le Conseil d'État, la  cour administrative d'appel de Lyon, a, à bon droit, jugé « que cette société pouvait être regardée comme une personne " intéressée " au sens de l'article L. 171-7 du code de l'environnement, nonobstant la circonstance que le propriétaire de la parcelle, M. A..., avec qui elle avait signé un contrat pour le stockage et le traitement des déchets inertes en cause, était titulaire d'une autorisation de procéder à des travaux de remblaiement, délivrée en application des articles L. 442-1 et suivants du code de l'urbanisme dans leur version alors applicable, et bénéficierait à ce titre de l'activité exercée par la société sur sa parcelle ».

Le 16 juin 2023, le tribunal administratif de Paris a retenu pour la première fois la carence fautive de l'État engageant sa responsabilité, le lien de causalité entre le préjudice subi du fait de la pollution atmosphérique et la faute étant avéré.

Concernant les espèces et les habitats protégés, le principe est celui de l'interdiction de toute destruction (21) , sous réserve de l'obtention d'une dérogation accordée lorsque trois conditions cumulatives sont réunies :

-   l'absence de solution alternative satisfaisante ;

-   le maintien des espèces protégées dans un état de conservation favorable dans leur aire de répartition naturelle ;

-   un intérêt public majeur du projet du fait de sa nature et des intérêts économiques et sociaux.

Avant de déterminer si cette dernière pourra être accordée, notamment dans le cadre de l'implantation d'une éolienne, il s'agit de savoir si une demande de dérogation doit être déposée parce qu'il existe un risque suffisamment caractérisé d'atteinte à une espèce protégée. Par un avis du 9 décembre 2022, le Conseil d'État a répondu à la question suivante : suffit-il, pour que doive être sollicité l'octroi de la dérogation prévue par le 4° du I de l'article L. 411-2 de ce code, « que le projet soit susceptible d'entraîner la mutilation, la destruction ou la perturbation intentionnelle d'un seul spécimen d'une des espèces mentionnées dans les arrêtés ministériels du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009 visés ci-dessus ou la destruction, l'altération ou la dégradation d'un seul de leur habitat, ou faut-il que le projet soit susceptible d'entraîner ces atteintes sur une part significative de ces spécimens ou habitats, en tenant compte notamment de leur nombre et du régime de protection applicable aux espèces concernées » ?

Il souligne que l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l'on ait à tenir compte du nombre de spécimens ou de l'état de conservation des espèces protégées présentes. Ainsi, il suffit que le risque induit par le projet, compte tenu des mesures d'évitement et de réduction des atteintes, soit suffisamment caractérisé pour les espèces protégées. Si les mesures d'évitement et de réduction proposées permettent de diminuer le risque pour les espèces, au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, point besoin d'une dérogation (22) . Quant à savoir si les mesures d'évitement et de réduction sont suffisantes, la cour administrative d'appel de Lyon, le 15 décembre 2022 (23) , répond par l'affirmative à propos d'un bridage pour assurer l'effarouchement sonore des oiseaux et dévier leur trajectoire de vol en dehors de la zone de survol des pales et, le cas échéant, d'une régulation des machines, avec arrêt en cas d'approche d'un rapace. Ces mesures d'évitement et de réduction ne doivent pas être confondues avec les mesures de compensation (implantation de prairies, création d'habitats favorables sous forme de tas de bois et de pierres ou reconstitution de milieux humides…), qui ne sont pas des critères pour écarter la nécessité de demander une dérogation (24) .

III. Jurisprudence civile

À propos de la réparation du préjudice d'anxiété lié à l'exposition à des poussières d'amiante, deux décisions de la chambre sociale de la Cour de cassation du 8 février 2023 doivent être relevées, l'une portant sur les salariés susceptibles de demander réparation et l'autre sur les employeurs de nature à être déclarés responsables.

La chambre sociale a jugé que l'utilisation illégale d'amiante par un employeur entraîne une violation de son obligation de bonne foi contractuelle, justifiant la réparation de l'atteinte à la dignité du salarié. Sur le fondement de l'article L. 1222-1 du code du travail, elle rappelle que « l'atteinte à la dignité du salarié constitue pour l'employeur un manquement grave à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail ». Or, l'utilisation de l'amiante, de 2002 à 2005, sans autorisation dérogatoire, démontrait que l'employeur avait « manqué à son obligation d'exécuter de bonne foi les contrats de travail ». La Cour rejette les moyens de l'employeur concernant l'absence d'exposition personnelle à l'amiante des salariés et l'absence de préjudice d'anxiété lié à cet agent nocif. Elle reconnaît un nouveau chef de préjudice lié à l'utilisation illicite de l'amiante : le préjudice d'atteinte à la dignité du salarié. L'intérêt de cette reconnaissance réside dans l'octroi d'une indemnisation dont le calcul serait distinct de celui du préjudice d'anxiété. Or, cette avancée dissimule assez mal l'absence de frontière entre le préjudice d'anxiété et le préjudice d'atteinte à la dignité des salariés victimes d'une utilisation « illicite » de l'amiante par l'employeur. Si le contentieux concernait des salariés indemnisés de leur préjudice de dignité en dépit de la prescription de l'action en réparation du préjudice d'anxiété lié à l'amiante, le juge pourrait être confronté à un salarié demandant indemnisation de son préjudice d'anxiété et de son préjudice de dignité. Comment distinguer clairement la réparation de l'un par rapport à l'autre ?

Ensuite, la chambre sociale a statué au sujet de l'indemnisation des salariés mis à disposition par leur employeur auprès d'entreprises utilisant de l'amiante. Elle rappelle que la responsabilité de l'entreprise utilisatrice tierce à la relation de travail « pouvait néanmoins être engagée au titre de la responsabilité extracontractuelle, dès lors qu'étaient établies des fautes ou négligences de sa part dans l'exécution des obligations légales et réglementaires mises à sa charge en sa qualité d'entreprise utilisatrice, qui ont été la cause du dommage allégué ». Si l'indemnisation du préjudice d'anxiété repose avant tout sur l'employeur en sa qualité de débiteur de l'obligation contractuelle de sécurité, la voie de la responsabilité extracontractuelle de l'entreprise utilisatrice reste ouverte. En raison de la nature extracontractuelle de cette responsabilité et de l'extériorité de l'entreprise utilisatrice à la relation principale de travail, le conseil de prud'hommes serait-il compétent ? Par un arrêt du 15 mars 2023 (25) , la chambre sociale de la Cour de cassation a répondu par l'affirmative. Cependant, cet arrêt ne visait que la violation de l'obligation de coordination de l'entreprise utilisatrice du salarié prévue à l'article R. 4511-1 du code du travail. En dehors de ce fondement textuel, il est possible que le tribunal judiciaire reste compétent à propos de l'action en réparation des victimes de l'amiante envers le tiers à la relation de travail.

Un arrêt de la cour d'appel de Montpellier (26) relatif à un site Seveso attire l'attention. Si, depuis le 1er janvier 2023, le moyen d'accéder aux informations sur les risques auxquels le bien est exposé doit être communiqué par le vendeur dès l'annonce de la vente, tel n'était pas le cas en octobre 2014 lorsque l'acquéreur potentiel a contacté le vendeur via le site internet « Leboncoin ». L'article L. 125-5 du code de l'environnement, alors en vigueur, exigeait uniquement que l'acquéreur soit informé lors de la vente. En l'espèce, au soutien de son action en annulation du compromis de vente pour dol (27) signé le 7 novembre 2014, l'acquéreur avance que le vendeur lui aurait dissimulé que le bien se situait en zone « Seveso », ce dernier affirmant que cette information était connue de l'acheteur et qu'aucune manœuvre frauduleuse n'était démontrée. Débouté, le demandeur a interjeté appel. La cour de Montpellier confirme la décision des premiers juges, l'acquéreur ne pouvant ignorer l'existence d'un site Seveso, dès lors que la fermeture de celui-ci avait été annoncée dans la presse régionale dès septembre. L'information par voie de presse peut-elle être considérée comme suffisante ? La cour tient compte de la remise par le vendeur, avant la signature du compromis, de l'état des risques accompagné de l'article annonçant la fermeture du site. Selon elle, la réticence dolosive n'était pas établie à l'encontre du vendeur puisqu'il « n'avait aucun intérêt à dissimuler à son acquéreur la fermeture du site industriel et la disparition des risques technologiques dans la perspective de la réitération de la vente devant notaire. »

IV. Jurisprudence pénale

La chambre criminelle a saisi le Conseil constitutionnel d'une QPC (28) au sujet des articles L. 173-1, II et 171-8 du code de l'environnement consacrant un cumul des poursuites pénales et administratives pour non-respect d'une mise en demeure administrative d'avoir à respecter les prescriptions dudit code relative aux ICPE (29) . Aux termes de l'article L. 171-8, II, 4°, l'exploitant qui n'a pas respecté cette mise en demeure à l'expiration du délai imparti peut se voir infliger une amende administrative et une astreinte journalière jusqu'à satisfaction de la mise en demeure ou de la mesure ordonnée. Parallèlement, l'article L. 173-1, II, 5° punit de « deux ans d'emprisonnement et de 100 000 € d'amende le fait d'exploiter une installation ou un ouvrage, d'exercer une activité ou de réaliser des travaux mentionnés aux articles cités au premier alinéa, en violation (...) : 5° D'une mesure de mise en demeure prononcée par l'autorité administrative en application de l'article L. 171-7 ou de l'article L. 171-8 ».

La décision rendue s'inscrit dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel visant à soumettre à plusieurs conditions le cumul de sanctions ayant le caractère d'une punition. Les Sages rappellent d'abord qu'il découle du principe de nécessité́ des délits et des peines qu'« une même personne ne peut faire l'objet de plusieurs poursuites tendant à réprimer de mêmes faits qualifiés de manière identique, par des sanctions de même nature, aux fins de protéger les mêmes intérêts sociaux ». Ils ajoutent, ensuite, que « si l'éventualité́ que deux procédures soient engagées peut conduire à̀ un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité́ implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé́ de l'une des sanctions encourues ». Examinant le critère tenant à la nature des sanctions pouvant être prononcées en application des deux dispositions, le Conseil constitutionnel juge que celles-ci devaient être regardées comme de nature différente puisqu'« à la différence de l'article L. 171-8 qui prévoit uniquement une sanction de nature pécuniaire, l'article L. 173- 1 prévoit une peine d'amende et une peine d'emprisonnement pour les personnes physiques ou, pour les personnes morales, une peine de dissolution, ainsi que les autres peines précédemment mentionnées » (pt. 10). Le grief tiré de la violation des principes de nécessité́ et de proportionnalité́ des peines est écarté, le Conseil validant le cumul (30) .

Signalons la décision de non-lieu du 2 janvier 2023 dans l'affaire de la chlordécone. En réaction, une proposition de loi (31) a été déposée à l'Assemblée nationale, cherchant à durcir les sanctions pénales en cas d'atteinte à l'environnement par rapport à la loi du 22 août 2021 (32) . Elle proposait la création d'un crime d'écocide, défini comme une action concertée et délibérée tendant à causer directement des dommages étendus, irréversibles et irréparables à un écosystème, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter. Cette proposition fait écho au rapport du Parlement européen (33) sur la révision de la directive sur la criminalité environnementale, ouvrant la voie à la reconnaissance du crime d'écocide au sein des États membres.

 

1. L. n° 2023-22, 24 janv. 2023 : JO 25 janv.
2. CSI, art. L. 765-2 23° bis3. CSI, art. L. 766-2 24° bis4. C. envir., art. L. 515-45-15. C. envir., art. L. 593-186. Accord relatif au transport international des marchandises dangereuses par route

7. Arbousset. H. et a., Risques naturels et technologiques, Dr. Env. 2021, p. 4178. C. envir., art. L. 125-59. Catastrophes naturelles10. D. n° 2000-547, 16 juin 2000 : JO 22 juin11. C. envir., art. L. 125-2-2 et L. 171-5-212. Ibid., art. R. 172-9 et suiv.13. Ibid., art. R. 172-10-I14. Ibid., art. R. 172-14

15. L. n° 2021-1520, 25 nov. 2021 : JO 26 nov. ; Arbousset H. et a., Risques naturels et technologiques, Dr. Env. 2022, p. 32916. MTE, Bilan de l'action de l'inspection des installations classées sur l'année 2022 et priorités 2023, juin 202317. Ibid., p. 2718. CAA Versailles, 21 avr. 2023, n° 21VE00261, Cne de Grigny19. CE, 1er juill. 2021, n° 427301 : Lebon, Cne de Grande-Synthe et a.20. Arbousset H. et a., Risques naturels et technologiques, Dr. Env. 2021, op. cit.21. C. envir., art. L. 411-1 et suiv.22. Pour une application en contentieux, v. CE, 22 juin 2023, n° 465839
23. CAA Lyon, 15 déc. 2022, n° 21LY0040724. TA Grenoble, 20 déc. 2022, n° 200274525. Cass. soc., 15 mars 2023, n° 20-236.9426. CA Montpellier, 9 févr. 2023, n° 18/0630027. C. civ., art. 113728. Question prioritaire de constitutionnalité29. Arbousset H. et a., Risques naturels et technologiques, Dr. Env. 2022, spéc. p. 33530. Cons. const., 3 déc. 2021, n° 2021-953 QPC31. Proposition de loi n°1576 visant à reconnaître les responsabilités de l'État, à indemniser les victimes du chlordécone et à renforcer notre arsenal juridique par la création d'un crime d'écocide32. L. n° 2021-1104, 22 août 2021, op. cit.

33. Rapp. sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la protection de l'environnement par le droit pénal et remplaçant la directive 2008/99/CE

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