Le ministre de l'Agriculture Stéphane Travert a annoncé jeudi 27 juillet, dans un communiqué, un transfert à hauteur de 4,2% des montants des crédits du premier pilier de la Politique agricole commune (PAC), consacré notamment aux aides à l'hectare ou aux aides couplées pour certaines productions en difficulté, vers le second pilier, géré par les Régions. Celui-ci finance à la fois les MAEC (mesures agro-environnementales et climatiques), les ICHN (indemnités compensatoires des handicaps naturels) et les aides à la conversion et au maintien de l'agriculture biologique. Devant les députés de la commission des affaires économiques, le ministre a reconnu le 26 juillet s'être retrouvé devant "une impasse financière de près de 853 millions d'euros" pour verser les aides du pilier 2 d'ici 2020 qui soutiennent aussi l'installation des jeunes agriculteurs.
Le ministre va notifier le 1er août à la Commission européenne ce transfert de crédits "pour satisfaire les besoins identifiés sur le pilier 2 d'ici 2020", a-t-il confirmé. "Ces besoins résultent d'une conjonction de facteurs", a expliqué le ministère, qui évoque notamment "l'extension du périmètre des bénéficiaires de l'ICHN" ou la "montée en puissance de dispositifs comme l'assurance récolte ou la filière bio".
Les conditions de mise en œuvre de ce transfert, qui s'appliquera en 2018, seront discutées avec les Régions, a précisé le ministre. Il a aussi annoncé le maintien à 10% du paiement redistributif du pilier 1 en 2018 "qui vise à prendre en compte les spécificités des petites et moyennes exploitations (…) compte-tenu de ce transfert". Ces choix "sont motivés par la volonté [du ministre] que les crédits de la PAC servent l'ensemble de l'agriculture française, avec une attention particulière aux zones les plus défavorisées et aux secteurs fragiles comme l'élevage, et accompagnent encore mieux les différents modèles de production", a justifié Stéphane Travert.
Pas de budget pour la bio et les MAEC
Le paiement des aides de la PAC au bio et aux mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC), pour 2015 et 2016, connaît déjà du retard depuis plus de deux ans. "Cette décision vient contredire les promesses de campagne du Président de la République sur les paiements pour services environnementaux (PSE) et l'introduction de produits bio dans les cantines", a déploré Stéphanie Pageot, présidente de la Fnab. "Cela témoigne d'un manque criant de courage politique face à l'agro-industrie et l'agro-chimie". La Fnab a rappelé que le gouvernement avait, comme l'UE l'y autorise, la possibilité de transférer jusqu'à 15% du premier pilier vers le deuxième dont elle bénéficie.
Ce transfert "ne concernerait au final que les zones de montagne et pas du tout le financement de l'agriculture biologique ou des mesures agro-environnementales", a ajouté l'ONG Greenpeace. "L'agriculture écologique restera le parent pauvre de l'agriculture française. Pourtant, la solution est là ! Il suffirait de prioriser et transférer une partie des énormes subventions accordées à l'agriculture industrielle (qui détruit la planète), pour financer l'agriculture biologique qui rend de vrais services à la société. C'est à cela que doit servir l'argent publique!", a déclaré Suzanne Dalle, chargée de campagne agriculture chez Greenpeace France. "Le gouvernement tourne le dos à la transition du modèle agricole et aux attentes des consommateurs", a aussi fustigé, sur twitter, l'ONG WWF.
Le syndicat agricole la Confédération paysanne dénonce aussi des besoins de financement sous-estimés par l'Etat. Le gouvernement "met en grand danger tous les paysans installés en zone de handicap naturel. Il va ensuite sacrifier l'agriculture biologique en retirant ses financements à l'aide au maintien. Comme si cela ne suffisait pas, il compte laisser un trou budgétaire béant dans le financement des mesures agro-environnementales et climatiques, mettant en péril un dispositif qui permet concrètement aux paysans de s'engager progressivement dans la transition vers une agriculture plus écologique", estime-t-elle.
La FNSEA et les Chambres d'agriculture contre ce transfert d'aides
A l'inverse, les syndicats agricoles la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles) et la Coordination rurale ou encore les Chambres d'agriculture militaient pour que le transfert d'aides ne soit pas opéré. "Ce sont 312 millions d'euros par an qui vont contribuer à combler l'impasse budgétaire sur le 2nd pilier de la PAC. Et c'est aux agriculteurs eux-mêmes d'en supporter les conséquences financières", ont décrié les Chambres d'agriculture, en demandant aux Régions et aux agences de l'eau "de prendre leur part dans le financement".
La FNSEA a également crié au "hold-up inacceptable (…) sur les soutiens directs perçus par les agriculteurs. Ce prélèvement [de 4,2%] est inacceptable quand de nombreux secteurs traversent une crise grave avec des prix de marché qui ne couvrent plus les coûts de production, quand la moitié des agriculteurs ont eu en 2016 un revenu inférieur à 350 euros par mois." La FNSEA a critiqué "un très mauvais signal [du gouvernement] à l'heure du lancement des Etats Généraux de l'Alimentation".
Pour la Coordination rurale, ce transfert "revient aussi à prendre dans la poche des agonisants pour soutenir les mourants ! (…) Ce n'est plus aux agriculteurs de continuer à payer les erreurs politiques de leurs gouvernants." Le résultat net d'exploitation par agriculteur "a chuté de près de 22% en 2016", a-t-elle souligné. Et d'ajouter :"ce qui est perdu sur le 1er pilier est difficilement récupérable sur le 2nd. Par exemple, ne s'engage pas en MAEC qui veut : il faut être situé dans un territoire ouvert, sur décision de la commission régionale agro-environnementale (CRAE)".