La démarche éviter, réduire, compenser (ERC) s'applique aujourd'hui à tous les grands projets d'aménagement urbains. L'objectif est d'éviter les atteintes à l'environnement en priorité, c'est-à-dire construire ailleurs que dans les espaces naturels, puis, en second lieu, de réduire celles qui n'ont pas pu être suffisamment évitées, en densifiant l'habitat par exemple. La compensation des effets négatifs sur l'environnement, grâce à des projets de restauration écologique, est la dernière étape. « La compensation est régie par les principes d'équivalence de la qualité des milieux restaurés par rapport aux milieux impactés, de proximité des milieux impactés, de pérennité et de faisabilité technique et de mesures de suivi des impacts », rappelle l'Agence de la transition écologique (Ademe).
Faire appel à la séquence ERC pour atteindre le ZAN
En apportant une contrepartie au moins équivalente aux effets négatifs significatifs directs ou indirects des projets constructifs via la renaturation, la compensation devient un levier de mise en œuvre de l'objectif zéro artificialisation nette (ZAN) des sols à l'horizon 2050. La loi Climat et résilience d'août 2021 a en effet précisé que les mesures de compensation doivent être mises en œuvre « en priorité » dans les zones de renaturation préférentielles. Celles-ci doivent être identifiées par le schéma de cohérence territorial (Scot) des communes et par les orientations d'aménagement et de programmation (OAP) de secteurs à renaturer pouvant figurer au sein des plans locaux d'urbanisme (PLU), lorsque les orientations de renaturation de ces zones ou secteurs et la nature de la compensation prévue pour le projet le permettent.
Le Gouvernement prévoit de diviser par deux le rythme d'artificialisation d'ici à 2030, en faisant notamment appel à cette compensation. Cet objectif ambitieux nécessiterait de réduire de 70 % l'artificialisation brute et de renaturer 5 500 hectares de terres artificialisées par an, estime France Stratégie, dans un rapport paru en 2019.
La compensation sert également un autre objectif fixé par loi Biodiversité d'août 2016 : les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité « visent un objectif d'absence de perte nette, voire de gain de biodiversité ». Or, « les mesures de compensation, appliquées pour le moment, ne sont pas à la hauteur des pertes qui sont provoquées. L'objectif est que, dans les projets d'aménagement urbains, le vivant ne soit plus la variable d'ajustement, mais une des lignes directrices », souligne Maëva Felten, responsable du programme nature en ville à la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). À l'occasion d'une table ronde organisée, le 14 avril, par l'Association des journalistes de l'habitat et la ville (Ajibat), elle rappelait l'étude, publiée en 2019 par le Muséum national d'histoire naturelle et AgroParisTech, qui avait montré que, dans « 80 % des cas », les maîtres d'ouvrage ne compensaient pas les destructions des milieux naturels, et ne permettaient pas « un retour concret de la biodiversité ».
Compenser en renaturant dans un endroit proche
Cette table ronde a réuni plusieurs acteurs de l'aménagement urbain et de la biodiversité qui ont identifié un verrou opérationnel majeur pour la mise en œuvre de mesures compensatoires « compatibles » avec l'objectif ZAN : la disponibilité du foncier. Cette mise en œuvre se heurte en effet à la double contrainte de l'équivalence écologique et de la proximité spatiale des impacts. « J'ai un projet sur un foncier et je regarde d'abord quel est l'impact brut du projet sur les espèces protégées. Je vais appliquer des mesures d'évitement, en dehors de la période de nidification, ainsi que des mesures de réduction des emprises au sol. J'ai utilisé tout mon foncier prévu pour le projet, donc je vais aller chercher un autre projet qui doit être dans l'aire de service pour réaliser la compensation sur les mêmes espèces endémiques que l'impact, explique Marianne Louradour, présidente de CDC Biodiversité, filiale de la Caisse des dépôts. Je vais aller mettre sur un foncier, le plus près possible, les habitats favorables, la végétation qui permettent de compenser et d'atteindre le zéro perte nette. On est sur de la préservation d'espèces. » Mais difficile de trouver un foncier qui réponde à ces exigences et qui pourrait aider à respecter l'objectif ZAN.
Le site naturel de compensation, une solution défendue par CDC Biodiversité
La loi Biodiversité offre trois possibilités aux maîtres d'ouvrage pour mettre en œuvre des mesures de compensation : soit exécuter directement les actions demandées par l'Administration, soit confier leur réalisation à un opérateur de compensation tel que CDC Biodiversité (modalité de compensation à la demande) ; soit acquérir des unités de compensation dans le cadre d'un site naturel de compensation agréé par l'État (modalité de compensation par l'offre).
CDC Biodiversité a par exemple créé Cossure, le premier site naturel de compensation d'Europe, qui est situé dans la commune de Saint-Martin-de-Crau (Bouches-du-Rhône). Il a officiellement été agréé en avril 2020. «Le site naturel de compensation peut être une bonne solution de compensation pour l'industriel lui permettant d'avoir une opération clé en main. L'unité de compensation donne beaucoup de souplesse au maître d'ouvrage qui connaît le prix de sa compensation par hectare sur l'étagère, et l'intègre dans son bilan économique du projet », indique Marianne Louradour. Selon CDC Biodiversité, cette option garantit de l'accès au foncier et un gain de la biodiversité.
C'est le seul dispositif qui autorise la conception et la mise en œuvre des mesures de compensation avant même de connaître précisément la nature ou le nombre de projets qu'elles seront amenées à compenser. Ce mécanisme est toutefois critiqué par certains en raison du risque de financiarisation de la nature qu'il représente et de caution qu'il peut apporter à des projets destructeurs. Marianne Louradour affirme qu' « on ne monétise pas le vivant, mais on le restaure sur place », avant que l'impact sur les milieux et la biodiversité ne soit produit par la réalisation des projets.
Le site de Cossure, encore expérimental, est le seul pour l'instant à être agréé par l'État. « Dix autres sites se sont cassés les dents », déplore Mme Louradour, qui défend cette solution, et souligne les difficultés pour obtenir l'aval pour ces projets, notamment des services instructeurs, des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal).
Une « charge foncière verte » pour financer la nature en ville
La compensation écologique pourrait ainsi servir l'objectif ZAN, mais peut paradoxalement compliquer sa mise en œuvre par les communes et les aménageurs.
Selon France Stratégie, la renaturation des terres artificialisées pourrait ainsi coûter jusqu'à 400 euros par mètre carré. Et pour déployer ces projets, le Gouvernement prévoit de consacrer, aux collectivités, 500 millions d'euros à la « nature en ville » et de pérenniser le Fonds pour le recyclage des friches, dans le cadre du Fonds vert de 2 milliards d'euros.
Du côté de l'EPF Île-de-France, Guillaume Terraillot, évoque l'idée d'une charge foncière « verte ». Un montant additionnel aux montants des droits à construire qui pourrait financer le volet « nature » des projets en ville. Cette charge foncière verte, encore à l'étude, vise à accélérer la lutte contre le réchauffement climatique en donnant une valeur à la nature et au recyclage urbain, incluant les espaces verts ou naturels plantés au sein des opérations ou dans un périmètre proche. « La loi Climat et résilience a donné la capacité aux établissements publics fonciers d'aller pleinement dans des projets de renaturation. On a deux dynamiques : une dynamique de maîtrise foncière pour permettre le projet porté par l'opérateur. Et une autre dynamique sécurisée du foncier pour y déployer un projet de renaturation permettant à l'opérateur d'atteindre nos objectifs, par exemple de métrique des espaces verts. L'Organisation mondiale de la santé recommande un seuil de 10 mètres carrés d'espaces verts ouverts au public par habitant, détaille M. Terraillot. Ces parties de renaturation seront en quelque sorte vendues aux opérateurs pour leur permettre de respecter les ambitions que l'on porte. »