Ce lundi 12 février débute, à Samarcande en Ouzbékistan, la 14e réunion des pays signataires de la Convention de Bonn, un traité international de 1979 pour la conservation des espèces animales migratrices (CMS). Cet événement doit dresser le bilan des actions menées en ce sens au cours de la période 2015 à 2023 et amener à l'adoption d'un nouveau plan stratégique pour la période 2024 à 2032. Dans cette optique, le secrétariat des Nations unies à la CMS vient de publier son premier état des lieux des espèces migratrices dans le monde (1) , sollicité en 2020 lors de la réunion précédente. Et malheureusement, sans surprise, il n'est pas positif.
Le danger de l'inaction
« Le risque d'extinction ne cesse de croître pour la majorité des espèces migratrices à travers la planète, même pour celles qui ne sont pas couvertes par le traité », résume le rapport onusien. Autrement dit, non seulement l'état de conservation des espèces s'est détérioré ces dernières années, mais le niveau de protection que les gouvernements doivent leur fournir ne s'est pas accru. D'une part, le secrétariat à la CMS constate que les populations de 44 % des espèces listées par le traité se réduisent. « Entre 1988 et 2020, 70 espèces protégées par le traité ont vu leur état de conservation se détériorer tandis que seulement 14 espèces ont bénéficié de l'effet inverse. » De fait, plus d'une espèce sur cinq est aujourd'hui inscrite sur la liste rouge de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) – y compris des espèces que la Convention de Bonn ne considérait pas jusqu'ici comme menacées d'extinction –, dont 97 % des poissons. Le rapport compte même, au total, 399 espèces migratrices menacées ou quasi menacées ne figurant pas dans la liste des espèces protégées par le traité.
Blocages nationaux et internationaux
Cette relative inaction ne serait pas, néanmoins, une conséquence des manques de moyens ou de connaissances des gouvernements. « Il est urgent d'engager une action internationale coordonnée pour renverser le déclin des populations migratrices, insiste le secrétariat à la CMS. Des collaborations sont déjà engagées en ce sens, comme les task forces constituées pour combattre l'abattage illégal d'oiseaux ou les plateformes d'investissement pour le développement d'installations d'énergies renouvelables avec le moins d'impacts possibles sur les espèces migratrices. Ces efforts doivent désormais être renforcés et massifiés. » En outre, les experts onusiens continuent de plaider pour l'extension du réseau d'aires naturelles protégées et pour renforcer leur connectivité.
Les codes de la protection des migrateurs
La Convention de Bonn s'applique actuellement à 1 189 espèces animales franchissant cycliquement les frontières nationales. Les obligations de protection, de conservation et de restauration qui concernent les pays signataires concernés se déclinent de trois manières. Une première liste (l'Annexe I) de 180 espèces menacées d'extinction et classées sur la liste rouge de l'UICN doivent être protégées par une interdiction de « prélèvement ». Une seconde liste (Annexe II) regroupe un millier d'espèces en « état de conservation non favorable, nécessitant des accords internationaux de protection » codifiés sous le nom d'accords (à valeur contraignante) ou de mémorandums d'entente (seulement incitatif). Les premiers sont au nombre de sept et les seconds de dix-neuf, couvrant ensemble plus de 600 espèces listées. Enfin, 38 espèces, inscrites sur l'une ou l'autre de ces listes, sont la cible de plans internationaux spécifiques appelés actions concertées – comme celle menée depuis 2019 pour la girafe (Giraffa camelopardalis) par le Cameroun, le Tchad, l'Éthiopie, le Kenya, le Niger, la Tanzanie et le Zimbabwe. Il existe également des plans d'action (souvent centrés sur une espèce) et des initiatives spéciales (portant sur un grand nombre d'espèces dans une même région) aux modalités plus flexibles.
À l'inverse, le gouvernement français admet ne pas avoir lancé ou participé à la conclusion de nouveaux accords internationaux ou à la mise en œuvre de nouvelles actions concertées depuis la précédente COP de la Convention. Il note, qui plus est, que si « les espèces migratrices ne sont pas explicitement mentionnées dans la Stratégie nationale pour la biodiversité, plusieurs (de ses) objectifs concourent à la conservation et à la gestion des espèces migratrices, de leurs habitats et de leurs systèmes migratoires ».
Un objectif inatteignable ?
« D'ici à 2032, l'état de conservation de toutes les espèces migratrices inscrites aux (listes) de la CMS [doit] s'améliorer. » Tel est le principal objectif que souhaite faire adopter, dans son prochain plan d'action stratégique, le secrétariat à la CMS lors de cette nouvelle réunion à Samarcande. Mais la cible semble inatteignable au regard des mesures qui doivent encore être prises pour y arriver. Hormis l'atteinte du seuil des 30 % d'espaces protégés dans le monde en 2030, fruit du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal, et la ratification progressive du Traité des Nations unies sur la haute mer (BBNJ), le secrétariat à la CMS milite pour un grand nombre d'autres mesures. En vrac : de l'introduction d'un plafonnement pour les prises de pêche accidentelles à l'élimination progressive des pollutions lumineuses, sonores, agrochimiques et plastique dans l'environnement, en passant par le financement de la recherche portant sur des espèces migratrices non listées (en particulier les crustacés, les céphalopodes et d'autres poissons).