« Si nous voulons mener à bien la décarbonation de la France, il faut impérativement s'attaquer à la chaleur », soutient Yann Rolland, le président de la Fédération des services énergie et environnement (Fedene) qui regroupe sept syndicats d'énergéticiens. Cette dernière a dressé, ce mardi 7 novembre, l'état des lieux (1) de la chaleur en 2022.
Décarboner la chaleur
La chaleur occupe 43 % des 1 532 térawattheures (TWh) d'énergie consommée l'an dernier. Cependant, de ces 658 TWh dépensés en chaleur ou en froid, seulement 183 TWh (ou 28 %) provenaient de sources renouvelables ou de récupération. La production thermique se repose encore trop sur le gaz naturel, le fioul et le charbon. Les objectifs de l'État pour la décarboner sont pourtant très ambitieux. Dans son état actuel, la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE 2) visait environ 189 TWh de chaleur renouvelable en 2023 et cible entre 207 et 229 TWh en 2028. En cours d'élaboration dans le cadre des discussions sur la future Stratégie française énergie-climat (Sfec), sa nouvelle version (PPE 3) pencherait même vers 419 TWh (en fourchette haute) pour 2035. « Des objectifs spécifiques au développement des réseaux de froid seront inclus dans le prochain Plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc 3) en préparation », ajoute Diane Simiu, directrice du climat, de l'efficacité énergétique et de l'air à la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) du ministère de la Transition énergétique.
Dans cette optique, l'effort du Gouvernement s'est focalisé sur la délivrance d'aides à la conception et à la réalisation de projets adaptés, à travers son Fonds chaleur. Celui-ci profite déjà d'un budget global de 600 millions d'euros en 2023 (près d'un doublement par rapport à 2020 et 2021) – pour un portefeuille de projets sollicités d'un milliard d'euros – et devrait s'élever à 800 millions d'euros l'an prochain, au regard du projet de loi de finances pour 2024 (PLF 2024). Le projet de PPE 3 table, par ailleurs, sur une hausse de son budget annuel jusqu'à 2,4 milliards d'euros par an d'ici à 2030.
L'atout des réseaux de chaleur
La faute, jusqu'ici, à une domination historique des chaudières au fioul ou au gaz dans le paysage résidentiel et tertiaire. Mais les entreprises représentées par la Fedene constatent « une dynamique spectaculaire depuis deux ou trois ans », conséquence de l'effet inflationniste de la guerre en Ukraine et de la crise énergétique. « Les demandes de raccordement à un réseau de chaleur ou de froid se sont multipliées par trois, voire par cinq dans certaines collectivités, tandis que le nombre de projets de réseaux à l'étude a doublé en deux ans », affirme le président de la fédération.
Le Gouvernement semble cependant l'avoir compris et mise sur leur développement. D'une part, en pariant sur des trajectoires de croissance majeure dans la prochaine PPE : vers 68 TWh (avec au moins 75 % d'ENRR) en 2030, puis 90 TWh (dont 80 % d'ENRR) en 2035, en soutenant un rythme d'au moins 300 000 logements nouvellement raccordés chaque année à même échéance (contre environ 138 000 en 2022). D'autre part, à l'aide du Fonds chaleur : entre 40 et 60 % des projets soutenus actuellement concernent de tels réseaux. L'Agence de la transition écologique (Ademe), qui gère ce fonds, n'en démordra pas. En 2024, elle poursuivra son appel à projets « Une ville, un réseau », pour financer les études de faisabilité de ces réseaux dans de petites villes et lancera le dispositif Geoboost pour soutenir des forages géothermiques au profit de réseaux de chaleur.
Mieux inciter et contraindre
Si la tendance est au beau fixe, certains points restent à éclaircir. Du côté de l'Ademe, il lui faut encore « travailler à simplifier les règles d'instruction des projets pour accélérer la cadence », indique Patricia Blanc, sa codirectrice générale déléguée au pôle opérations. Aujourd'hui, le développement d'un réseau de chaleur met entre quatre à cinq ans. Cette simplification doit également passer par une meilleure analyse technico-économique des projets, notamment en faveur des solutions alternatives à la biomasse. Cette dernière reste en effet l'option la moins chère, mais pas nécessairement la plus optimale. « Nous voulons revoir la hiérarchisation des usages de la biomasse, pour privilégier avant tout l'alimentation humaine et animale, puis sa fonction de puits de carbone, tant sa valorisation énergétique peut souvent être remplacée par une autre source d'énergie. »
La Fedene, quant à elle, préconise par exemple l'introduction de mesures plus contraignantes, comme l'obligation pour les collectivités de réaliser des « plans territoriaux chaleur », afin de les amener à exploiter leur potentiel en la matière ou encore l'alignement des réseaux de froid sur le même régime de TVA à taux réduit dont bénéficient déjà les réseaux de chaleur. Mais surtout, la fédération prévient que la mobilisation de moyens humains supplémentaires sera indispensable : « Il nous faut trouver des bras et des cerveaux, au moins du double de l'effectif actuel de nos entreprises [c'est-à-dire, 60 000 professionnels ; NDLR], pour mener ces projets à bien dans la prochaine décennie. »