Neuf mois. C'est le délai que le Conseil d'État avait donné au gouvernement, le 15 avril 2021, pour modifier la réglementation sur l'évaluation environnementale. À la suite d'un contentieux engagé par France Nature Environnement (FNE), la Haute Juridiction avait enjoint le Premier ministre de se conformer à la directive européenne du 13 décembre 2011 afin qu'un projet susceptible d'avoir une incidence notable sur l'environnement, ou la santé humaine, puisse être soumis à une étude d'impact pour d'autres raisons que sa seule dimension.
L'exécutif a satisfait cette injonction, avec un peu plus de deux mois de retard, en publiant le décret attendu au Journal officiel du 26 mars 2022. Le texte, dont le projet a donné lieu à de nombreuses critiques lors de la consultation publique, dont celle de l'Autorité environnementale, est considéré comme insuffisant par certains, comme une entrave à l'activité économique pour d'autres, et comme trop complexe par une majorité des parties prenantes. Il s'applique immédiatement aux premières demandes d'autorisation ou déclarations d'un projet déposées à compter du 28 mars 2022.
Compétence de l'autorité chargée de l'autorisation
Le texte donne compétence à l'autorité chargée d'autoriser ou de valider la déclaration d'un projet pour soumettre à un examen au cas par cas un projet situé en-deçà des seuils de la nomenclature (1) annexée à l'article R. 122-2 du Code de l'environnement, mais qui lui apparaît susceptible d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé. Pour ce faire, l'autorité dispose de quinze jours. Si elle estime que cet examen doit avoir lieu, elle doit en informer le maître d'ouvrage qui doit saisir l'autorité chargée du cas par cas, c'est-à-dire le préfet de région le plus souvent. Le maître d'ouvrage peut aussi saisir cette dernière de sa propre initiative.
Nombreuses critiques
L'Autorité environnementale a critiqué la complexité du dispositif, qui ne serait pas conforme aux conclusions du rapport Vernier de 2015, lequel avait préconisé l'introduction de cette clause. Cette autorité indépendante a pointé plusieurs insuffisances : création d'un niveau d'instruction et d'une autorité supplémentaires, absence de transparence pour le public, possibilité d'intervention tardive du juge administratif dans la procédure, absence de précision sur les conséquences d'une absence de décision de l'autorité compétente, problème d'objectivité de l'autorité chargée de mettre en œuvre la clause filet.
Lors de la consultation, FNE a estimé que, « contrairement à l'objectif poursuivi », le projet ne permettait pas de « prévoir effectivement une possibilité d'évaluer l'ensemble des projets susceptibles d'avoir des impacts sur l'environnement ». « Nous regrettons que l'exécutif faillisse ainsi à mettre en œuvre la décision de justice du Conseil d'État. Il semble que le gouvernement persiste à considérer l'évaluation environnementale comme une punition pour les maîtres d'ouvrage, alors qu'elle peut au contraire être une opportunité d'améliorer le projet, au bénéfice de l'ensemble des parties concernées », a réagi Morgane Piederrière, responsable du plaidoyer chez FNE.
Un certain nombre de contributions, venant des milieux économiques, ont, au contraire, pointé le risque de charges supplémentaires. Ces critiques sont notamment venues de la filière agricole, en particulier par rapport au risque d'études supplémentaires pour les porteurs de petits projets d'hydraulique agricole. « Le présent décret expose des projets d'élevage ou des Iota [installations, ouvrages, travaux et activités relevant de la législation sur l'eau] aux dimensions très réduites à des démarches lourdes et coûteuses ainsi qu'à un ralentissement des procédures. Nous sommes inquiets quant aux obligations administratives supplémentaires pour les petites exploitations agricoles, qui engendreraient un coût plus élevé et un délai plus long pour la réalisation de projets soumis à une évaluation environnementale », a ainsi fait valoir la FNSEA. « Le dispositif de clause filet (…) ne prévoit pas de formulaire supplémentaire ni d'études nouvelles à fournir dans le cadre de la première demande d'autorisation ou de déclaration », répond le ministère de la Transition écologique. Seuls les cas de soumission effective à évaluation environnementale impliqueront la réalisation d'études, ajoute-t-il.
Pas de cas par cas après le délai de quinze jours
De nombreuses critiques ont porté, par ailleurs, sur le délai de quinze jours laissé à l'autorité compétente pour décider de mettre en œuvre la clause filet. Plusieurs contributeurs craignent que cette brièveté ne permettent pas aux administrations concernées, faute de moyens ou de compétences, de mener une réelle analyse. Les associations FNE et Eau et rivières de Bretagne avaient d'ailleurs voté contre le projet pour cette raison lors du Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques (CSPRT) du 14 décembre 2021. Certains contributeurs craignent que cela n'entraîne un grand nombre de décisions tacites de non-activation de la clause filet. D'autres, au contraire, craignent un nombre important de soumissions à la procédure du cas par cas. Ainsi, dans sa contribution, la FNSEA a rappelé, « pour la sécurisation juridique des projets, qu'il importe que l'absence d'activation sous quinze jours vaille explicitement exonération ».
« Le dispositif de clause filet a uniquement pour objet de déterminer si un projet doit être redirigé vers le dispositif d'examen au cas par cas », cherche à rassurer le ministère de la Transition écologique, qui envisage une circulaire des ministères de l'Intérieur et de la Transition écologique pour « appuyer les services de l'État ». Et d'ajouter : « Aucune soumission à examen au cas par cas ne pourra intervenir après [le délai de quinze jours], sauf en cas de modification du projet, ou d'une saisine volontaire de l'autorité en charge de l'examen au cas par cas par le porteur de projet lui-même. »
Quant à la question de la transparence de la procédure pour le public, « le projet de décret ne prévoit pas de dispositions spécifiques en matière de participation du public, confirme le ministère de la Transition écologique. Les dispositions de droit commun s'appliqueront donc au projet concerné ».
Des critiques ont également été formulées sur l'indépendance du préfet quand il doit se prononcer sur la mise en œuvre de la clause filet, compte tenu des intérêts économiques en jeu, et de celle de l'autorité compétente lorsqu'elle est également porteuse du projet. Le ministère les balaie d'un revers de main, rappelant que le Conseil d'État a validé au regard du droit européen le dispositif donnant au préfet un rôle central en tant qu'autorité compétente pour autoriser certains projets et en tant qu'autorité chargée de l'examen au cas par cas.
L'avenir dira si les juridictions, qui pourraient être saisies de ce décret, ou la Commission européenne, qui avait mis la France en demeure sur ce dernier point en février 2021, sont ou non convaincues par le dispositif mis en place.