Robots
Cookies

Préférences Cookies

Nous utilisons des cookies sur notre site. Certains sont essentiels, d'autres nous aident à améliorer le service rendu.
En savoir plus  ›
Actu-Environnement

Hydrogène vert : la molécule indispensable pour décarboner l'industrie ?

MAJ le 02/11/2023

Au vue des investissements prévus, l'année 2024 sera peut-être celle de l'hydrogène « vert » en France. Négawatt et Solagro alertent néanmoins sur l'importance de confier son utilisation à la décarbonation de l'industrie.

Décryptage  |  Energie  |    |  F. Gouty

En cours de discussion au Parlement, le projet de loi de finances pour l'année 2024 comprend une nouvelle enveloppe consacrée au développement du dihydrogène (H2) d'origine renouvelable, ou « vert ». Celle-ci, dotée d'environ 700 millions d'euros, devrait prendre la forme d'un nouveau mécanisme de soutien, avec un prix garanti sur dix ans, par appel d'offres. L'État pourrait, à terme, investir jusqu'à 4 milliards d'euros en ce sens.

Fortes de ces promesses, et restant dans l'attente de l'actualisation de la stratégie nationale en la matière, les associations Solagro et Négawatt se sont intéressées au devenir de la molécule dans l'économie française d'ici 2050 – et, plus particulièrement, son rôle de matière première à l'heure de la décarbonation de l'industrie.

Verdir l'hydrogène pour décarboner l'industrie

“ Nos politiques sont ambitieuses, mais elles ne sont encore que trop peu concrétisées ” Stéphane Signoret, Négawatt
Selon les données fournies dans le cadre d'une étude (1) de février 2023 pour l'Agence de la transition écologique (Ademe), la France consomme, à l'heure actuelle, 922 000 tonnes d'hydrogène par an – soit environ 36 térawattheures (TWh). Cet hydrogène est majoritairement considéré comme étant « autoproduit », étant donné qu'il représente le co-produit de procédés industriels comme le vaporéformage de gaz naturel, du méthane (CH4) d'origine fossile, ou le raffinage du pétrole, dont le secteur est essentiellement autoconsommateur. Ce dernier capte un peu moins de 60 % de l'hydrogène consommé en France et émet donc, inéxorablement, la plus grande part des 10 millions de tonnes d'équivalent dioxyde de carbone (MtCO2e/an) émises chaque année par la production d'hydrogène en France.

Trois secteurs industriels se partagent l'hydrogène restant : la production d'ammoniac (NH3) destiné à la fabrication d'au moins 80 % des engrais azotés minéraux pour l'agriculture (25 %), la production d'oléfines formant la base chimique de nombreux composants plastiques (éthylène, propylène, etc. ; 10 %) et la production d'acier (1 %). « L'hydrogène est avant tout un vecteur non-énergétique, une matière première pour l'industrie, et non un vecteur énergétique de stockage ou de mobilité, souligne Simon Métivier, chargé de projets chez Solagro. C'est dans ce secteur, déjà formé à maîtriser la molécule, qu'il faut prioriser sa décarbonation et les efforts de développement. »

Or, la stratégie actuelle de développement de l'hydrogène « vert », – aussi bien européenne que française, – ne s'oriente pas suffisamment vers cette optique. « Sur les 76 projets importants d'intérêt commun (Piiec), financés par la Commission européenne à hauteur de 10 milliards d'euros, moins d'une dizaine cible directement l'industrie », évoque par exemple Stéphane Signoret, membre de l'association Négawatt. Ce dernier craint que l'Europe, et avec elle la France, finisse par importer de l'hydrogène renouvelable pour satisfaire ses besoins de décarbonation industrielle. « Nous passerions alors d'une dépendance aux énergies fossiles à l'hydrogène, certes vert mais produit à l'étranger. »

Les trois industries consommatrices

Pour s'en affranchir, la réponse des deux experts est claire : recourir à l'électrolyse de l'eau à partir d'un mix électrique alimenté à 100 % par des énergies renouvelables. Elle s'appuie, en cela, sur le scénario de Négawatt, publié en 2021, pour atteindre la neutralité carbone en 2050.

En premier lieu, pour la filière de l'acier, deux changements doivent s'opérer. D'une part, la filière doit recourir davantage à la production d'acier recyclé en four électrique à partir de ferraille (soit, passer de 33 à 80 % dans la production totale d'acier). Et elle doit, d'autre part, remplacer ses hauts-fourneaux, gourmands en « coke » de charbon, par une technologie de réduction directe du minerai de fer à partir d'hydrogène renouvelable. Le consortium à la manette du projet « GravitHy », une future aciérie à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), en fait notamment le pari. Négawatt et Solagro chiffrent la ressource hydrogène nécessaire à cette filière à 115 kilotonnes par an d'ici 2050, grâce à l'équivalent de 1,7 gigawatt (GW) d'électrolyseurs.

Concernant ensuite la production d'oléfines, les deux experts tablent, là encore, sur une réduction de la demande de 30 % d'ici 2050, à mesure que le tout plastique disparaît. Un pari technologique est aussi à mener : remplacer le vapocraquage du naphta, co-produit du raffinage du pétrole, par un processus d'hydrogénation employant du CO2 et de l'H2, pour donner du méthanol essentiel aux oléfines. Au moins 14,8 GW de puissance serait nécessaire pour produire le million de tonnes d'hydrogène « vert » demandé d'ici 2050. « Mais, pour cela, il faudrait également une fourniture en CO2 non fossile, ou "biogénique", d'au moins 7,5 millions de tonnes par an, à partir de la méthanisation ou de la pyrogazéification », explique Simon Métivier.

S'agissant cependant de la production de NH3, la vision partagée par Négwatt et Solagro est seulement compatible avec une transition agricole accomplie. « En ayant notamment recours à une meilleure rotation des cultures, intégrant des légumineuses plus à même de capter l'azote de l'air, et en valorisant davantage les engrais de ferme issus de la méthanisation, l'économie pourrait s'affranchir d'une grande part d'engrais azotés, au moins la moitié, et donc d'ammoniac », résume Simon Métivier, en se référant au scénario Afterres 2050 de Solagro (conduit sur la base du scénario de Négawatt). De 240 kilotonnes d'hydrogène consommées par an, la filière n'en nécessiterait ainsi plus que 166 dans trente ans. Les deux associations chiffrent alors le besoin en électrolyseurs à 2,4 GW. Le chimiste autrichien Borealis s'y est déjà engagé sur son site alsacien d'Ottmarsheim.

Produire 10 millions de tonnes en Europe

Au total, ces trois secteurs industriels pourraient ainsi nécessiter la fourniture d'environ 1,3 millions de tonnes d'hydrogène vert par an en 2050, sur un total estimé de 2,3 millions de tonnes à même échéance - soit une multiplication par 2,5 en comparaison des besoins actuels. Une telle consommation industrielle s'appuierait sur au moins 19 GW d'électrolyseurs, contre 13 mégawatts (MW) installés à la fin de l'année 2022. Cette production représenterait « le premier poste de consommation d'électricité » avec 66 térawattheures (TWh) sur les 535 TWh de consommation totale projetée dans le scénario de Négawatt. Elle constituerait plus de la moitié de la puissance cumulée en électrolyse : 33 GW, consommateurs de 115 TWh au total. Dans le scénario des deux associations, l'hydrogène « vert » participe également à produire davantage de méthane non-fossile (par méthanation) et à satisfaire des besoins de stockage et de flexibilité du réseau. Les deux experts assurent, par ailleurs, qu'une production de la fameuse molécule par électrolyse de l'eau ne mobiliserait que 3 % des consommations en eau douce utilisées actuellement les secteurs de l'industrie et de l'énergie en France (sachant que la consommation nationale totale est de 2,5 milliards de mètres cubes aujourd'hui). « D'autant que certains procédés, comme la production d'oléfines, rejettent et réutilisent même de l'eau, remarque Simon Métivier. Et la majorité des sites industriels (concernés par le besoin en électrolyse) se trouvent près de littoral. On peut alors imaginer, à l'extrême, le développement de prélèvements de l'eau de mer. »

Jusqu'ici, les politiques européenne et française semblent peu ou prou sur la même longueur d'onde. Le plan « RePowerEU », lancé par la Commission européenne au début de la guerre en Ukraine, mise sur la production de 10 millions de tonnes d'hydrogène « vert » par an, avec une puissance de 40 GW d'électrolyseurs installés d'ici 2040. En France, la prochaine Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), en cours d'élaboration, devrait fixer un objectif d'au moins 10 GW pour 2035. Et, pour pousser la comparaison jusqu'à 2050, les scénarios prospectifs de l'Ademe envisagent un niveau de consommatin entre 40 et 115 TWh et ceux de RTE entre environ 45 et 130 TWh.

Concrétiser l'ambition

De l'hydrogène « vert » oui, mais à quel prix ?

Selon les données de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), le coût moyen de production de l'hydrogène « gris » dans le monde en 2022 se situait entre 0,5 et 1,7 dollars le kilogramme (ou 15 à 51 dollars par mégawatt-heure). En comparaison, celui de la production de l'hydrogène « vert » était estimé entre 1,3 et 4,5 $/kg (ou 39-135 $/MWh). « D'ici 2030, si l'électrolyse se développe à bon rythme, ce coût devrait s'aligner sur le prix de référence, avance Stéphane Signoret de Négawatt. Mais cela reste dépendant des prix du marché de l'électricité. » Pour s'en assurer, la Commission européenne a prévu la création d'une nouvelle structure, la Banque européenne de l'hydrogène, dont la mission sera de verser une « prime verte » à même de combler l'écart entre les approvisionnements fossile et renouvelable.
Néanmoins, comme l'attestent Négawatt et Solagro, tout n'est pas une question de quantité. Le tout est de savoir à quoi l'hydrogène « vert » produit – en admettant que les ambitions seront satisfaites en temps et en heure – servira. Pour Stéphane Signoret de Négawatt, « c'est l'heure des choix » car les enjeux sont risqués.

La France doit d'abord faire le choix de son futur mix énergétique. Les perspectives exposées par les deux associations s'appuient uniquement sur la perspective d'une électricité 100 % renouvelable en 2050 et d'une « politique de sobriété structurelle » touchant autant à l'énergie et à l'agriculture qu'au modèle même de consommation. Ce que la planification convenue par le président Emmanuel Macron n'entend pas exactement réaliser. Sur le plan énergétique, celle-ci privilégie notamment, jusqu'ici, la construction d'un mix électrique porté en bonne partie par l'énergie nucléaire. Or, « la production d'énergie nucléaire favorise une décarbonation par l'électrification directe et non pas une massification de la production d'hydrogène renouvelable, autant du point de vue de la flexibilité que de sa consommation dans l'industrie », comprend Stéphane Signoret.

Se pose également la question de l'intérêt économique de la décarbonation pour les industriels concernés. « Sans les inciter économiquement, (ces derniers) ne troqueront pas un hydrogène "gris", fossile et moins cher, pour un hydrogène "vert", plus cher », insiste l'expert de Négawatt. Pour inverser la balance, les deux associations appellent le Gouvernement à développer, d'une part, des outils fiscaux avantageux comme l'instauration d'une TVA réduite sur l'acier décarboné ou un soutien à l'accès à du CO2, ainsi que de nouveaux modèles de contractualisation susceptibles de sécuriser l'approvisionnement en hydrogène renouvelable pour les industriels. Elles l'invitent, d'autre part, à formuler des « budgets matière » pour valoriser l'hydrogène renouvelable en tant que matière première « verte » destinée à décarboner l'industrie, en plus des budgets carbone qui figureront dans la prochaine Stratégie nationale bas-carbone (SNBC 3). Et Stéphane Signoret de constater : « nos politiques sont ambitieuses, mais elles ne sont encore que trop peu concrétisées. »

1. Télécharger l'étude de Négawatt et Solagro
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-42808-etude-negawatt-solagro-hydrogene-industrie.pdf

RéactionsAucune réaction à cet article

Réagissez ou posez une question au journaliste Félix Gouty

Les réactions aux articles sont réservées aux lecteurs :
- titulaires d'un abonnement (Abonnez-vous)
- inscrits à la newsletter (Inscrivez-vous)
1500 caractères maximum
Je veux retrouver mon mot de passe
Tous les champs sont obligatoires

Partager

BM 25 - Balise portable de détection multi-gaz Teledyne Gas and Flame Detection
OLCT 20 - Détecteur fixe de gaz Teledyne Gas and Flame Detection