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Barrage de Caussade : pourquoi le Gouvernement veut régulariser un aménagement illégal

La retenue d'eau réalisée par la chambre d'agriculture du Lot-et-Garonne a été jugée illégale par la justice. Les principaux responsables ont même été condamnés pénalement. Ce qui n'empêche pas le préfet d'annoncer sa régularisation.

Eau  |    |  L. Radisson
Barrage de Caussade : pourquoi le Gouvernement veut régulariser un aménagement illégal

« Le lac existe depuis cinq ans. Il est inscrit dans le paysage et a montré son utilité lors des périodes de sécheresse. C'est un ouvrage qui reste illégal. Mon sujet est d'aller vers une mise en conformité », a déclaré le préfet du Lot-et-Garonne, le 12 janvier, rapporte l'AFP. Se prévalant du « feu vert du ministère », le représentant de l'État dans le département a estimé que cette mise en conformité pouvait être actée en 2025, si tout le monde jouait le jeu.

Mais « jouer le jeu » peut signifier s'asseoir sur l'état de droit en l'espèce. Ce qui est plutôt gênant pour un préfet. La justice s'est en effet prononcée à de nombreuses reprises et a donné tort à ceux qui ont réalisé ce barrage d'une capacité de 920 000 mètres cubes d'eau construit durant l'hiver 2018-2019 par le syndicat départemental des collectivités irrigantes et la chambre d'agriculture dirigée par la Coordination rurale.

Une installation construite sans recourir à un bureau d'études agréé ni à des entreprises de travaux publics, qui présente des malfaçons et, par conséquent, de graves problèmes de sécurité. Des études menées par le bureau d'études IES, mandaté après-coup par la chambre d'agriculture, et par l'Inrae « ne révèlent pas de signes avant-coureurs de ruine imminente, mais signalent des défauts avérés de sécurité », relève la direction générale de la Prévention des risques (DGPR) du ministère de la Transition écologique dans une note rédigée en avril 2020.

Responsabilité pénale

Par une décision du 23 février 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux a confirmé la légalité du retrait de l'autorisation de la retenue, initialement délivrée par la préfète malgré de nombreux avis défavorables. Cette autorisation était illégale du fait de son incompatibilité avec les objectifs et orientations du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (Sdage) Adour-Garonne, ont estimé les juges d'appel.

Sur le plan pénal, cette fois, la cour d'appel d'Agen a confirmé, le 13 janvier 2022, la condamnation de la chambre d'agriculture à une peine d'amende de 40 000 euros pour exploitation d'une installation nuisible au milieu aquatique malgré le retrait de l'autorisation et déversement de substances nuisibles dans les eaux. Elle a condamné son président, Serge Bousquet-Cassagne, et son vice-président honoraire, Patrick Franken, à la peine de dix mois d'emprisonnement avec sursis chacun et à une série de mesures de contrôle.

“ L'État prend donc parti pour des délinquants environnementaux, propose d'effacer les conséquences de leurs actions et confirme son échec à faire respecter le droit ” FNE
Malgré les jugements de première instance, trois ministres (Écologie, Intérieur, Agriculture) ont demandé à leur inspection respective une mission destinée à « proposer une méthode de concertation et un processus de décision de nature à permettre le nécessaire retour au cadre légal dans une approche partagée avec l'ensemble des acteurs concernés ». Remis en octobre 2020, ce rapport (1) n'a été publié que le 16 août 2023 sur injonction de la justice après une action de France Nature Environnement (FNE).

Ses auteurs y formulent trois recommandations, relevant « la complexité extrême de la situation » et « la grande difficulté, dans ce climat relationnel dégradé, à obtenir des engagements des différentes parties prenantes susceptibles d'être respectés ». Ces recommandations sont les suivantes : conforter le principe d'une solution de dialogue et de concertation ; suspendre les mesures réglementaires coercitives adoptées sous réserve d'une vidange de la retenue ; désigner un coordonnateur-médiateur en vue de construire un projet territorial.

Climat relationnel dégradé

« L'État prend donc parti pour des délinquants environnementaux, propose d'effacer les conséquences de leurs actions et confirme son échec à faire respecter le droit », a réagi FNE après la publication de ce rapport, dénonçant « un aveu de faiblesse de l'État ». Quelques mois auparavant, en février 2023, la fédération d'associations de protection de la l'environnement avait d'ailleurs lancé une nouvelle action devant le tribunal administratif de Bordeaux en vue de faire reconnaître la responsabilité pour faute de l'État et demander la réparation du préjudice écologique. « Du préfet aux différents ministères concernés, l'État affiche une attitude fuyante qui profite pleinement aux agriculteurs délinquants », fustigeaient FNE et ses fédérations Sepanso et Sepanlog. Face à la « défaillance de l'État » au regard également du droit européen, elle a déposé une plainte auprès de la Commission européenne en juillet 2019.

Dans un rapport (2) publié le 19 janvier 2024, la Cour des comptes dresse par ailleurs un constat inquiétant de la gestion de la chambre d'agriculture du Lot-et-Garonne. Concernant plus particulièrement la retenue de Caussade, qui ne bénéficie qu'à 24 exploitations agricoles et a été financée en partie sur fonds publics, elle relève un florilège d'irrégularités destinées à conduire les travaux en l'absence d'autorisation : dissimulation des opérations dans le budget rectificatif 2018 et le budget initial 2019 de l'établissement public administratif ; recours à des achats de matériaux et à des locations hors de tout appel à concurrence ; rémunération de bénévoles à travers des subventions.

Volonté de régularisation

Malgré les décisions judiciaires et ce constat au vitriol de la Cour des comptes, le Gouvernement persiste dans sa volonté de régularisation, et accélère même le mouvement, dans le contexte actuel de fronde agricole. Ce sont les représentants de la Coordination rurale du Lot-et-Garonne qui ont pourtant dégradé la préfecture le 24 janvier. Montant des dépenses de nettoyage ? 400 000 euros. Mais le préfet a indiqué qu'il ne porterait pas plainte, faute de dégâts « significatifs ». C'est aussi ce syndicat agricole qui a orchestré le convoi en direction du marché international de Rungis (Val-de-Marne). Après avoir pénétré dans le marché, le président de la chambre d'agriculture a été mis quelques heures en garde à vue avec d'autres membres du syndicat.

Mais dans ses annonces au monde agricole, destinées à calmer l'ire des agriculteurs, le nouveau Premier ministre, Gabriel Attal, a pris des engagements pour soutenir et accélérer les projets hydrauliques et limiter les contentieux. À quelques jours de l'ouverture du Salon de l'agriculture, de crainte d'une résurgence du mouvement, l'exécutif envoie de nouveaux signaux favorables aux frondeurs, quand bien même ils seraient condamnés par la justice. Serge Bousquet-Cassagne devait ainsi accompagner, ce mardi à l'Élysée, la présidente de la Coordination rurale, Véronique Le Floc'h, invitée à rencontrer le chef de l'État.

Un laxisme des autorités qui fait bondir FNE. « À lui seul, le barrage de Caussade combine le vol d'une ressource commune, un projet plusieurs fois déclaré illégal par la justice et pourtant jamais arrêté, la promesse d'un assèchement durable du territoire, un plein soutien à l'agriculture intensive, une fausse solution face au dérèglement climatique, des stratégies d'intimidations et de violences récompensées par l'État, une mise en danger immédiate des riverains… Bref, un vrai condensé de ce qu'il ne faut surtout pas faire pour une gestion durable et équitable de l'eau », s'indigne la fédération d'associations de protection de l'environnement qui a retracé l'histoire de ce barrage dans un dossier (3) très étayé.

1. Télécharger le rapport de mission
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-43494-rapport-mission-cgedd-iga-cgaaer-caussade.pdf
2. Télécharger le rapport de la Cour des comptes
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-43494-rapport-cour-comptes-chambre-agriculture-lot-et-garonne.pdf
3. Consulter le dossier de FNE
https://fne.asso.fr/dossiers/barrage-de-caussade-histoire-d-un-projet-illegal-et-dangereux-pour-le-lot-et-garonne

Réactions3 réactions à cet article

Les propositions et les conclusions du rapport de mission me convainquent beaucoup plus que les analyses à l'emporte pièce, les discussions sur des idées creuses, les croyances, les doctrines surannées, la philosophie vague et nébuleuse, l'idéologie ressassée, qui fleurissent dans le dossier de France Nature Environnement.

Les constructeurs du barrage de Caussade ont été condamnés et punis pour le non-respect de la loi, la justice est donc passée. Mais puisqu'il est notoire que la retenue d'eau douce a "montré son utilité lors des périodes de sècheresse", il ne paraît pas anormal de la conserver, après mise en conformité sur le plan de la sécurité, et régularisation.

Nul ne sait combien d'années de sécheresse nous aurons encore à subir, avant que dame Nature ne se lasse de ses caprices, et il est de l'intérêt commun de se pré-constituer des réserves "pour la soif".
Les sondages d'opinion nous apprennent que de plus en plus de nos concitoyens y sont favorables et que les maisons individuelles, les jardiniers amateurs, les maraichers, les industriels même, stockent l'eau de pluie.
On ne voit pas pourquoi les agriculteurs se verraient injustement privés de cet avantage, nécessaire à notre approvisionnement en denrées alimentaires. Car l'eau douce qui remplit leurs bassines ou retenues est à l'origine... de l'eau de pluie.
Il va de soit que les contrôles des débits des eaux de surface et des niveaux des nappes souterraines devront être stricts.

Bien à vous,

Euplectes

Euplectes | 16 février 2024 à 02h08 Signaler un contenu inapproprié

"Plutôt gênant", cet euphémisme est bien le minimum. Ce dossier est, du début à la fin, des plus effrayants pour quiconque conserve encore le souci de la préservation des ressources naturelles, et plus largement des biens communs, en pensant naïvement pouvoir compter sur le droit et les institutions. Constater que même une mission CGEDDE/CGAEER, qu'on a connu plus réfléchis, se retrouve, sur injonction ministérielle, à piétiner plusieurs décisions de justice pour préconiser ce "retour à la légalité" (avec bien des circonvolutions cependant), le tout dans un rapport que seul un recours au tribunal administratif a pu rendre public, voilà qui doit nous alarmer bien plus encore que nombre de mauvaises nouvelles qu'on reçoit chaque jour sur la dégradation de notre environnement. A quand un réveil de nos gouvernants pour ne plus n'écouter que les intérêts de quelques uns et faire appliquer la loi au profit de tous ?

Clapas | 16 février 2024 à 09h17 Signaler un contenu inapproprié

Il n'est pas possible, quelles que soient les circonstances , de passer par dessus les décisions de justice. Point. Il faut en finir avec l'impunité, quand bien même les agriculteurs ont besoin de stocker l'eau, ce qui paraît normal vu le contexte climatique de sécheresses futures.. toute décision doit être soumise à la chaîne d'agrément des autorités avant que les projets ne soient menés à terme. Les agriculteurs ne sont pas les seuls à vouloir jouir de la ressource en eau et leurs aspirations, même si elles paraissent plus légitimes que celles des utilisateurs de piscines, ne doivent pas leur permettre de s'exonérer de tout. Il est vrai qu'on n'est plus à un préfet hors-la-loi près en France, puisque beaucoup sont coutumiers de petits (ou gros ) arrangements avec la loi. En voici encore un exemple. Que le gouvernement ne vienne pas se plaindre que les citoyens usent de méthodes de désobéissance civile : il en donne lui -même l'exemple, et cela pourrait faire jurisprudence ! Un bonne défense pour les activistes.

gaïa94 | 22 février 2024 à 19h06 Signaler un contenu inapproprié

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