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Comment les barrages hydroélectriques peuvent amortir les conflits d'usage de l'eau

Pour répondre à la tension sur l'eau, une piste serait de mobiliser davantage les barrages hydroélectriques. La mise en œuvre pose toutefois question. Des études ont été engagées en Adour-Garonne et Loire-Bretagne, et bientôt en Rhône-Méditerranée.

Décryptage  |  Eau  |    |  D. Laperche
Comment les barrages hydroélectriques peuvent amortir les conflits d'usage de l'eau
Actu-Environnement le Mensuel N°444
Cet article a été publié dans Actu-Environnement le Mensuel N°444
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Comment maintenir les usages de l'eau et les débits dans les rivières dans un contexte de tension accrue sur la ressource ? Une des réponses envisagées par le Gouvernement est une mobilisation plus conséquente des barrages hydroélectriques. Si le soutien d'étiage par ces retenues d'eau est déjà mis en œuvre depuis plusieurs années pour garantir le refroidissement des centrales nucléaires, l'irrigation ou encore l'alimentation en eau potable, le recours à cette approche pourrait s'amplifier dans les prochaines années sous la pression du changement climatique.

L'idée a, en tout cas, été retenue parmi le panel de mesures proposées à l'issue des Assises de l'eau en 2019. Le ministère de la Transition écologique avait alors précisé qu'une conciliation entre production d'énergie renouvelable et optimisation de la gestion de l'eau serait recherchée. Une volonté réaffirmée, en 2022, lors du Varenne agricole de l'eau à travers l'objectif d'une meilleure mobilisation des retenues existantes - de toute nature - mais aussi à l'occasion de la présentation du Plan eau, en mars 2023. Emmanuel Macron avait alors indiqué que de nouvelles règles seraient élaborées à l'échelle des territoires avec les acteurs pour adapter les concessions des barrages aux enjeux et au partage des usages.

Une discussion en cours avec l'Union européenne

Mais, avant d'y parvenir, plusieurs points doivent être pris en compte, dont des alignements avec des dispositions européennes. Ainsi, dans la continuité de la directive européenne sur l'attribution des contrats de concession, les conditions d'ajustement du soutien d'étiage pour des concessions existantes ont été renforcées. Désormais, si un soutien supplémentaire est prévu par le cahier des charges, il pourra être mis en œuvre selon les conditions précisées dans le cadre d'une convention. Dans le cas contraire, une négociation devra s'ouvrir avec le concessionnaire en prenant garde que le volume prélevé ne modifie pas la nature du contrat ni n'entraîne de modification substantielle de la concession.

La situation n'est pas plus simple pour les concessions arrivées à échéance (une quarantaine aujourd'hui), dont l'attribution devrait passer par une procédure d'appel d'offres avant de conclure des conventions pour le soutien d'étiage. Depuis l'ouverture d'un précontentieux en octobre 2015 par la Commission européenne, le lancement des procédures de renouvellement est globalement suspendu à un accord entre la France et l'exécutif européen. En attendant, ces concessions sont placées sous le régime dit « des délais glissants » qui leur permet de conserver leurs conditions antérieures. Les enjeux de la négociation avec l'Europe ne sont pas négligeables. « L'hydroélectricité est un secteur éminemment stratégique, qui dépasse de très loin le seul cadre de la production d'énergie, avait ainsi pointé en mai 2018 Marie-Noëlle Battistel (1) , députée socialiste de l'Isère, lors de la présentation des conclusions du groupe de travail relatif aux concessions hydroélectriques. Comment garantir en effet que les acteurs étrangers qui viendront en France assureront également le service public, dans toutes ses dimensions, et non uniquement la production d'électricité ? (…) Comment intégrer cette notion, peu "palpable" et en constante évolution, dans des cahiers des charges qui ne pourront jamais tout prévoir ? »

“ L'hydroélectricité est un secteur éminemment stratégique, qui dépasse de très loin le seul cadre de la production d'énergie ” Marie-Noëlle Battistel, députée
Des réponses devraient néanmoins être apportées prochainement dans le cadre de la future loi de souveraineté énergétique. Celle-ci prévoit d'habiliter le Gouvernement à prendre une ordonnance pour réformer le régime des installations hydroélectriques.

Sur un plan plus local, les conditions et les possibilités de mobilisation, mais également les gains et les conséquences associées, doivent être déterminées. C'est précisément l'objectif de trois études lancées sur les bassins versants d'Adour-Garonne, de Loire-Bretagne et, bientôt, de Rhône-Méditerranée. Des territoires à la fois particulièrement concernés par les évolutions liées au changement climatique et la présence de barrages.

Un potentiel de mobilisation limité en Loire-Bretagne

« Le changement climatique, qui est déjà très perceptible sur le bassin [Loire-Bretagne] et qui va inéluctablement s'aggraver, s'accompagne de canicules et de sécheresses plus fréquentes et plus sévères qui accroissent la sollicitation des dispositifs existants, ont souligné les hauts fonctionnaires de l'Inspection générale de l'environnement (Igedd) et du Conseil général de l'alimentation et de l'agriculture (CGAAER) chargés de la mission (2) pour le bassin. Plusieurs d'entre eux se retrouvent en difficulté, les années sèches, pour servir les débits inscrits dans le cahier des charges de leur concession, leur règlement d'eau ou la convention les instituant. »

La mission estime que le potentiel de mobilisation des barrages hydroélectriques existe, mais reste limité (environ 30 millions de mètres cubes /Mm3). « Les retenues hydroélectriques présentes sur le bassin Loire-Bretagne sont déjà très fortement mobilisées pour le soutien d'étiage, constate la mission. Les principales ressources mobilisables sont situées sur l'amont du bassin. Leur mobilisation pourrait apporter un renfort intéressant au dispositif de soutien de l'Allier et de la Loire géré par l'EPL [établissement public Loire].

Près de 400 concessions hydroélectriques en France

La France compte près de 400 concessions hydroélectriques, pour environ 24 gigawatts (GW). L'hydroélectricité représente 10 à 12 % de la production d'électricité à l'échelle nationale et 61 % de la production d'origine renouvelable. Sur cet ensemble, EDF détient environ 80 % des concessions hydroélectriques et produit 66 % de l'énergie issue de l'hydraulique.
Dans le bassin Loire-Bretagne, le parc produit en moyenne 1,5 térawattheure (TWh) et est capable de mobiliser une puissance électrique de 660 MW. Les opérateurs impliqués dans le soutien d'étiage sont divers : l'établissement public Loire (EPL), Électricité de France (EDF) et sa filiale, la société hydraulique d'études et missions d'assistance (Shema), le syndicat de bassin de l'Elorn, et le département de l'Ille-et-Vilaine.
Le bassin Adour-Garonne compte près de 1 100 installations de taille très différentes pour une production de 15 TWh et une puissance totale du parc de 8 GW. Les ouvrages sont sous exploitation d'EDF, de la Shem (groupe Engie) et du secteur de la petite hydraulique.
Le bassin Rhône-Méditerranée produit, quant à lui, 60 % de l'énergie hydraulique nationale (35 à 40 TWh).

Toutefois, cette piste pour assurer la garantie de « stocks supplémentaires » d'eau n'est pas suffisante et l'effort de réduction des consommations est inéluctable. « La réduction des consommations nettes en période d'étiage ne sera pas facile. Elle se heurtera aux demandes de chaque catégorie d'usagers de bénéficier d'une ressource sécurisée, voire de plus d'eau, pour faire face au changement climatique sans changer fondamentalement ses modes de production ou ses habitudes de consommation, et à la tentation de chacun de reporter sur les autres les efforts à consentir, reconnaît-elle. La seule voie qui peut être suivie en la matière est de solliciter tous les acteurs, sans exception, de manière équitable. » Concernant les consommations nettes du bassin, plus de la moitié est aujourd'hui destinée à l'irrigation et environ un quart au refroidissement des centrales nucléaires.

La mission invite également à revoir les niveaux fixés pour les débits d'objectifs d'étiage (DOE) du bassin dans le contexte de changement climatique. Ces derniers sont les débits moyens mensuels en période de basses eaux au-dessus desquels il est considéré que l'ensemble des usages est possible en équilibre avec le fonctionnement des milieux aquatiques. Sur une partie du bassin, la périodicité fixée (huit années sur dix en Loire-Bretagne) pour atteindre cet objectif n'est plus tenue, pointe la mission.

Par ailleurs, elle considère que l'augmentation de la part réservée au soutien d'étiage aura des conséquences négatives sur la production énergétique des barrages. « Dans la doctrine de la direction générale de l'Énergie et du Climat (DGEC), ce coût économique ne doit pas être supporté par l'exploitant hydroélectrique – ce qui pourrait remettre en cause l'équilibre économique du contrat de concession –, mais par le bénéficiaire du service rendu », note-t-elle.

Des pistes de compensation financière proposées en Adour-Garonne

La question de la compensation a été creusée par la mission de hauts fonctionnaires Igedd-CGAER travaillant sur le bassin Adour-Garonne (3) . Ce dernier est, en effet, particulièrement exposé aux conséquences du changement climatique. Et les marges de manœuvre pour le soutien d'étiage sont plus conséquentes qu'en Loire-Bretagne. À terme, 160 Mm3 supplémentaires pourraient être mobilisés. La mission estime en effet que les 8 % de capacité utile annuelle des ouvrages aujourd'hui fléchés vers le soutien d'étiage pourraient être portés à 20 %, voire pour certains territoires à 30 % (à la condition toutefois du lancement des appels d'offres). Ce levier est d'ailleurs un des axes de la stratégie du bassin pour réduire son déficit hydrique, prévu à hauteur de 1,2 milliard de mètres cubes à l'horizon 2025.

Les lâchers d'eau lors d'épisodes de sécheresse font déjà l'objet de compensations financières versées aux gestionnaires d'ouvrages, à hauteur d'environ 4 millions d'euros par an. Ces coûts sont couverts pour moitié par l'agence de l'eau Adour-Garonne, le reste par les collectivités. La plus grande mobilisation prévue des barrages va demander de revoir les équilibres financiers. La mission préconise de passer à un système basé sur l'investissement : elle propose que la compensation passe par un soutien à des moyens hydroélectriques flexibles supplémentaires. Premier jalon de cette approche : un protocole d'accord a été passé en mars 2022 entre l'État, l'agence de l'eau et EDF pour étudier cette possibilité pour deux concessions hydroélectriques d'EDF (Alrance, 10 Mm3, et l'Hospitalet, 10 Mm3). Les études sont en cours et pourraient être présentées au prochain comité de bassin en avril.

Par ailleurs, le conseil scientifique du comité de bassin Adour-Garonne avec l'agence de l'eau et les services de l'État ont également engagé des réflexions pour intégrer les conséquences du changement climatique dans les DOE. Une première étape, une étude sur les évolutions constatées des débits (4) et les tendances à venir, a été publiée en avril 2023. Elle montre notamment que la baisse des débits annuels durant les cinquante dernières années est d'environ 35 % et qu'elle pourrait être d'un peu plus de 30 % d'ici à 2050. « Les moyennes des indicateurs des débits observés ou simulés masquent de fortes variations géographiques d'un bassin à l'autre, notamment à l'étiage, et rendent nécessaire une analyse territorialisée », soulignent néanmoins les auteurs du rapport.

1. Télécharger le rapport d'information sur l'hydroélectricité
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-43503-mission-hydroelectricite-marie-noel-battistel.pdf
2. Télécharger Les conditions de mobilisation des retenues hydroélectriques pour le soutien d'étiage sur le bassin de Loire-Bretagne
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-43503-conditions-mobilisation-hydroelectricite-soutien-etiage-lore-bretagne.pdf
3. Télécharger Les conditions de mobilisation des retenues hydroélectriques pour le soutien d'étiage sur le bassin d'Adour Garonne
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-43503-conditions-mobilisation-hydroelectricite-soutien-etiage-adour-garonne.pdf
4. Télécharger Hydrologie et changements climatiques : quelles tendances observées et à venir sur le bassin Adour-Garonne ?
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-43503-evolutions-debits-previsions-bassin-adour-garonne.pdf

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