La lettre de mission de la ministre de la Transition écologique date du 18 septembre 2019. L'occupante de l'hôtel de Roquelaure à cette époque, Élisabeth Borne, demandait au Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) d'établir le bilan de la réforme des procédures de participation du public mise en œuvre par l'ordonnance du 3 août 2016. Il faut dire que le Parlement avait exigé ce bilan du gouvernement via une disposition de la loi Essoc du 10 août 2018.
Si le délai de publication d'un rapport est proportionnel à sa sensibilité, on peut dire que celui-ci était ultra-sensible. Remis à la ministre en avril 2020, il n'a en effet été publié par le CGEDD que le 27 avril 2022, soit deux ans plus tard, mais trois jours après la réélection d'Emmanuel Macron. À en croire la lettre de mission, la ministre n'attendait pas forcément des recommandations de la part de cette instance pourtant chargée de conseiller le gouvernement. Les auteurs de la mission en ont quand même formulé douze.
Six millions de Français pénalisés
Si la mission dresse un bilan en partie positif de la réforme, notant le fait que de nombreux maîtres d'ouvrage aient salué la dématérialisation de l'enquête publique, elle relève aussi plusieurs points faibles, parmi lesquels la question des inégalités territoriales et sociales. « La dématérialisation des procédures pèche par les difficultés d'accès aux dossiers et la complexité de remontée et de traitement des observations du public. Elle pénalise 6 millions de nos concitoyens, exclus, toutes causes confondues, d'un usage toujours plus exigeant d'internet », pointent les hauts fonctionnaires. Ceux-ci relèvent également l'existence de nombreuses « zones blanches » ou à faible débit, qui ne permettent pas de télécharger les pièces du dossier d'enquête dans un délai raisonnable. Il semble donc que la dématérialisation des procédures ait facilité l'information et la participation de ceux qui les maîtrisaient déjà, mais l'ait, en revanche, réduite pour les autres.
Selon le témoignage de France Nature Environnement (FNE) recueilli par les hauts fonctionnaires, la dématérialisation « multiplie les recours et attise le contentieux », faute d'un commissaire enquêteur qui explique et apaise. De plus, relève la mission, le gouvernement a fait adopter, après cette ordonnance, plusieurs dispositions législatives qui ont supprimé l'enquête publique ou la présence du commissaire enquêteur. C'est le cas de la loi Elan, qui a supprimé l'obligation d'enquête publique pour les projets dans les zones d'aménagement concerté (ZAC), de la loi Essoc, qui a prévu une expérimentation consistant à remplacer l'enquête publique par une procédure dématérialisée pour les projets soumis à autorisation environnementale, ou encore de la loi relative à l'organisation des Jeux olympiques de 2024, qui fait de même pour les projets nécessaires à l'organisation de cet événement « d'intérêt national ».
À cela s'est ajoutée une dématérialisation justifiée, par l'exécutif, par l'état d'urgence sanitaire résultant de la crise de la Covid-19. Ces dispositions s'inscrivent d'ailleurs dans un mouvement plus large de remise en cause de l'enquête publique, qui a commencé, dès 2009, avec l'instauration du régime d'enregistrement pour certaines installations classées.
Conclusion de la mission sur ce point ? « Il faut rétablir la dimension présentielle de l'enquête publique en cessant les mesures d'exception qui remettent en cause les avancées de la participation et la décrédibilisent. » Et d'enfoncer le clou : « L'enquête publique existe depuis 1810, elle fait partie des institutions démocratiques reconnues dont nos concitoyens ont besoin dans le contexte de disparition des services publics et des interlocuteurs humains, notamment dans les territoires peu denses. »
Poursuite de la numérisation
Mais la remise de ce rapport n'a pas infléchi pour autant la politique du gouvernement en la matière. Les textes votés par la suite ont poursuivi dans une voie contraire à celle préconisée par ce rapport. C'est le cas des dispositions contenues dans la loi Asap et son décret d'application. Ces textes donnent au préfet la possibilité d'organiser la participation du public par voie électronique (PPPV) en lieu et place de l'enquête publique pour les projets soumis à autorisation environnementale ne faisant pas l'objet d'une évaluation environnementale. Or, ces projets sont de plus en plus nombreux, les préfets ayant la possibilité de les soustraire à cette évaluation lorsqu'ils relèvent de la procédure de « cas par cas ». Cette disposition a été, logiquement, très critiquée par la Compagnie nationale des commissaires enquêteurs (CNCE).
Un autre rapport du CGEDD, mis en ligne en octobre 2021, remet en cause, quant à lui, le rôle des commissaires enquêteurs au profit de « garants de la concertation », sous l'égide de la Commission nationale du débat public (CNDP). Cette expertise a, en revanche, été mise en ligne immédiatement après sa remise aux trois ministres commanditaires (Transition écologique, Relations avec le Parlement, Transports). Leur lettre de mission demandait notamment à ce que le processus de participation du public « s'appuie davantage sur les outils numériques ».
Enfin, dans son plan de résilience, présenté le 16 mars à la suite de l'agression russe en Ukraine, le gouvernement a annoncé la mise en œuvre de plusieurs dispositions du rapport de Laurent Guillot sur l'accélération des implantations d'activités économiques en France. Parmi celles-ci figure l'anticipation de l'enquête publique dans la procédure, avant même que l'Autorité environnementale n'ait eu le temps de se prononcer sur le projet. Un projet d'ordonnance visant à accélérer les projets sur des zones déjà artificialisées, dont la consultation publique vient de s'achever, prévoit aussi de remplacer l'enquête publique par une participation du public par voie électronique pour les projets ayant fait l'objet d'une présentation préalable en commission de suivi de site.
Ces nouvelles remises en cause de l'enquête publique peuvent se révéler bien pratiques pour accélérer de nombreux projets, en particulier lorsqu'il faut installer de nouvelles capacités énergétiques. Et le projet de loi d'exception que le nouvel exécutif doit prochainement présenter devrait encore accélérer ce mouvement. Mais gare au fossé qui risque de se creuser avec ceux qui n'y trouvent pas le moyen de s'exprimer ! L'un des grands enjeux de la réforme de 2016, lancée après le drame de Sivens, était de « renforcer durablement la confiance, dans un contexte de défiance de nos concitoyens envers les institutions et l'expertise », rappellent les auteurs du rapport.