
Attaché parlementaire de l'eurodéputée belge Frédérique Ries (ALDE)
Actu-Environnement : Pourquoi cette nouvelle législation européenne sur les OGM ?
Patrice Audibert : Plus qu'une révision de la directive européenne adoptée en 2001 relative à la dissémination volontaire des OGM dans l'environnement, ce projet de directive vise en pratique à octroyer un droit nouveau aux Etats membres ou aux régions européennes qui souhaitent interdire ou restreindre la culture d'OGM sur leur territoire, et pallier au manque de solidité juridique des clauses de sauvegardes rejetées dans plusieurs pays par les tribunaux nationaux ou européen. Le champ d'application de la directive est important mais limité puisqu'il n'est pas question ici de légiférer sur l'ensemble du dossier OGM, comme par exemple les questions de l'importation pour l'alimentation animalière ou celle de l'étiquetage obligatoire des produits alimentaires une fois atteint le seuil de 0,9%.
Le règlement d'origine, proposé par la Commission européenne en juillet 2010, a été renforcé en juillet 2011 au Parlement par un premier rapport de l'eurodéputée française Corinne Lepage (ALDE, Cap 21). Ce texte prévoyait une procédure d'interdiction nationale basée sur une liste de motifs avancés. L'accord politique entériné en juillet 2014 par les ministres de l'Environnement de l'UE a ajouté une phase dans la procédure d'autorisation : des négociations entre l'entreprise candidate à la culture d'une semence OGM et l'Etat membre.
AE : Quel poids auraient les entreprises de biotechnologie dans le processus d'interdiction ?
P. A : Selon le texte des Etats membres un poids important, selon le vote des députés européens de la commission Environnement du 11 novembre dernier, aucun. C'est dire si le désaccord est réel sur la question du "opt out" en deux phases. Selon le texte du Conseil, une première phase permettrait aux Etats membres de négocier avec les semenciers, sous l'intermédiaire de la Commission, pour leur demander d'être retirés du périmètre de culture OGM proposé par les entreprises demandant une autorisation. Il faut souligner que la procédure selon laquelle la Commission va jouer son rôle de facilitateur n'a pas été définie. Si les entreprises n'acceptent pas, l'Etat pourrait, dans une seconde phase, interdire la culture OGM sur des motifs socio-économiques ou agricoles, et plus uniquement fondés sur une évaluation scientifique d'impacts sur la santé et l'environnement.
L'eurodéputée belge libérale Frédérique Ries (ALDE) a été désignée cet été rapporteure du texte au Parlement. La commission environnement a adopté le 11 novembre en seconde lecture son rapport qui a le mérite de mettre en place une procédure simple et lisible d'autorisation. Par 57 votes pour, 5 contre, la commission a suivi la rapporteure dans sa volonté de rééquilibrer le texte initial. Les députés ont adopté la moins mauvaise des solutions en sortant l'entreprise - juge et partie - du processus d'autorisation.
AE : Que propose le texte de Mme Ries ?
P. A : Le Parlement a pleinement joué son rôle de caisse de résonnance des citoyens européens, a défendu les prérogatives des pays membres pour être en phase avec leur opinion publique. Une majorité claire des opinions publiques rejette les OGM. Le vote de la commission environnement a confirmé la pleine légitimité des autorités nationales qui souhaitent interdire la culture d'OGM ainsi que celle de la Commission qui sortirait renforcée dans son rôle d'arbitre, tant pendant la phase d'autorisation au niveau européen qu'une fois celle-ci accordée.
Deux options sont offertes à l'Etat membre : pendant la phase d'autorisation d'une semence OGM, il pourra notifier à la Commission qu'il souhaite que son territoire soit exclu du champ de l'autorisation; une fois l'autorisation donnée au niveau européen, l'Etat membre pourra justifier la restriction ou l'interdiction de cette culture sur base d'une liste ouverte de critères nouveaux autres que ceux fondés uniquement sur la santé ou l'environnement.
AE : Quels motifs pourraient invoquer les Etats pour justifier leur exclusion ?
P. A : Les députés ont adopté une liste de critères assez large pour justifier une demande d'interdiction nationale ou régionale et limiter les contentieux tels l'impact sur l'environnement, l'affectation des sols, les risques agricoles comme la perte de diversité des cultures, l'impact socio-économique pour les agriculteurs qui cultivent des produits conventionnels ou biologiques et qui seraient victimes de contamination croisée. Les autres motifs possibles, approuvés par les députés, devraient inclure la persistance d'une variété génétiquement modifiée dans l'environnement ou le manque de données sur les éventuelles incidences négatives d'une variété. Les députés ont également étendu la possibilité à l'Etat d'interdire la culture d'un OGM dans les dix ans qui suivent l'octroi de l'autorisation, alors que le Conseil veut limiter ce droit à deux ans.
Mme Ries a jugé essentiel d'insérer dans son rapport l'obligation pour les Etats membres de mettre en place sur leur territoire et dans les régions frontalières des plans de coexistence des cultures sans OGM et OGM via des zones tampons. Le rapport instaure également au niveau national un système de responsabilité financière en cas de contamination de cultures traditionnelles par des OGM.
Cinq pays européens autorisent actuellement les OGM : l'Espagne, le Portugal, la Roumanie, la République tchèque et la Slovaquie. Le maïs transgénique MON810 bénéficie pour l'heure d'une autorisation de culture dans l'UE mais sept autres semences OGM sont en attente : six maïs et un soja.
AE : La nouvelle directive aura-t-elle une incidence sur le processus d'évaluation des risques des OGM ?
P. A : Le Parlement veut renforcer les méthodes d'évaluation scientifique des risques menées par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) au cas par cas. La commission environnement estime que l'Efsa devrait tenir compte des effets directs, indirects, immédiats, différés et cumulés des OGM sur la santé humaine et l'environnement, et prendre en considération le principe de précaution. La gestion des risques des OGM sur leurs territoires est du ressort des gouvernements.
AE : Espérez-vous faire évoluer ce texte au Parlement en plénière ?
P.A : Le Parlement a mandaté une délégation de six parlementaires dont Mme Ries et Giovanni La Via (PPE), président italien de la commission environnement au Parlement, pour négocier la position des députés qui devrait être adoptée en plénière en janvier 2015. Des négociations ont été ouvertes le 11 novembre avec des représentants de la présidence italienne du Conseil et de la Commission européenne.
Il va falloir trouver un compromis et la tâche s'annonce assez difficile. Les Etats membres et la Commission européenne ont d'ailleurs émis des réserves sachant que ce texte est plus ambitieux que celui voté par le Conseil. L'enjeu sera de parvenir à un accord assurant une meilleure sécurité juridique pour les Etats membres tout en veillant à une prise en compte réelle des préoccupations citoyennes. Cette directive sera d'application immédiate dans les pays de l'UE. Elle entrera en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l'Union européenne.
* L'eurodéputée belge Frédérique Ries (ALDE) est rapporteure du projet de directive sur les cultures d'OGM au Parlement européen.