Qualifiant de « succès » économique la loi dérogeant à l'interdiction des insecticides systémiques, l'ancien ministre de l'Agriculture et une députée RN reconnaissent son bilan environnemental négatif, étant donné la dangerosité des substances.
« Quant au bilan environnemental de la loi, il ne peut être que négatif du fait de la dangerosité des substances concernées », relèvent la députée RN Hélène Laporte et son collègue Renaissance Stéphane Travert, ancien ministre de l'Agriculture (2017-2018) dans le gouvernement d'Édouard Philippe. C'est la conclusion à laquelle parviennent les deux parlementaires, dans un rapport publié le 12 juillet dernier, au terme de leur mission d'évaluation de la loi du 14 décembre 2020.
Cette loi était revenue sur l'interdiction des néonicotinoïdes (NNI), ces insecticides systémiques, dont les effets désastreux sur les abeilles en particulier, et la biodiversité en général, sont scientifiquement établis. Elle a permis, en 2021 et en 2022, de prendre des arrêtés ministériels autorisant de manière dérogatoire l'emploi de semences de betteraves sucrières traitées avec ces pesticides en vue de combattre les attaques de pucerons, vecteurs des virus de jaunisse de la betterave.
Cette année, le Gouvernement avait renoncé à la dernière possibilité de dérogation autorisée par la loi du fait d'une décision de la Cour de justice de l'Union européenne rendue le 19 janvier 2023. Celle-ci avait jugé qu'un État membre ne pouvait accorder de dérogation temporaire lorsque la Commission européenne a expressément interdit l'utilisation de semences traitées avec un produit phytosanitaire donné. Dans la foulée, le Conseil d'État français a annulé les arrêtés ministériels dérogatoires.
Loi votée en toute connaissance de cause
Bien qu'elle ait été remise en cause par cette décision de la justice européenne, les deux députés ont tout de même procédé à l'évaluation de la loi. Ils estiment que les effets produits par ce texte sont conformes à ceux attendus au moment du vote, à savoir un succès économique mais un bilan négatif sur le plan environnemental. Ce qui montre la hiérarchisation des intérêts retenue par le législateur, la primauté étant donnée à l'économie de court terme sur l'environnement, et le fait que la loi a été votée en toute connaissance de cause malgré ses impacts environnementaux.
L'étude d'impact du projet de loi, effectuée en 2020, indiquait en effet : « Une synthèse de la littérature concernant les risques liés aux NNI met en effet en évidence des risques élevés pour les insectes non cibles, en particulier les pollinisateurs domestiques ou sauvages, mais aussi les oiseaux lorsqu'ils consomment des graines traitées par les NNI, les mammifères, les organismes aquatiques et les organismes vivant dans le sol. Plusieurs études sur la gestion de l'eau ont par ailleurs démontré que, du fait de leur solubilité forte dans l'eau (…) ou de leur persistance dans les sols et les milieux aquatiques (…), la contamination de l'environnement est étendue et des traces de ces substances sont détectées dans des zones non traitées. »
Les très graves conséquences de l'utilisation des néonicotinoïdes sur l'environnement sont fermement établies par la science et ne peuvent faire l'objet d'aucune remise en cause, ni minimisation
Les rapporteurs de la mission parlementaire
Les rapporteurs réitèrent ce constat trois ans après : «
Les très graves conséquences de l'utilisation des néonicotinoïdes sur l'environnement sont fermement établies par la science et ne peuvent faire l'objet d'aucune remise en cause, ni minimisation. » L'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) a en outre précisé à la mission que les connaissances évoluaient sur les effets vis-à-vis d'autres organismes que les abeilles,
« en particulier chez les mammifères, remettant en question l'innocuité et l'absence de résidus des NNI chez l'homme ».
Quasi-totalité des betteraves traitées en 2021 et en 2022
Or, la quasi-totalité de la production française de betteraves était issue de semences traitées aux néonicotinoïdes pendant les deux années durant lesquelles la dérogation a été utilisée (91 % en 2021 et 83 % en 2022). Avec, toutefois des disparités régionales, le taux d'utilisation allant, en 2022, de 45 % en Alsace à 100 % en Île-de-France et dans le sud du Bassin parisien.
Maigre consolation, « les mesures d'atténuation et de compensation prévues, ainsi que les règles sur les cultures suivantes prévues par la loi, ont été mises en œuvre avec le plus grand sérieux par les agriculteurs », rapportent les deux députés. Ce qui a permis « dans des proportions difficiles à quantifier » de limiter « quelque peu » les effets néfastes des insecticides sur l'environnement.
Les rapporteurs relèvent, par ailleurs, que les substances chimiques alternatives aux néonicotinoïdes (flonicamide et spirotetramat) ne sont pas exemptes de risques pour l'environnement, comme l'a souligné l'Agence de sécurité sanitaire (Anses) dans un avis du 30 mai 2018. Ils ne mentionnent toutefois pas un deuxième avis de l'Agence de juin 2021, qui identifiait 22 méthodes ou procédés de lutte alternatifs, dont quatre substituables à court terme, en soulignant toutefois la nécessité de recherches complémentaires sur leurs effets sur la santé humaine et l'environnement.
« Sentiment de confusion au plus haut niveau politique »
En conclusion, les deux députés « réitèrent leur soutien à la filière » et disent partager son sentiment « quant aux effets brutaux et qui ne pouvaient être anticipés » de l'arrêt de la Cour de justice européenne alors que « loi de 2020 (…) devait s'appliquer pendant trois ans ». Ce qui, selon les élus, donnerait à la profession agricole et aux industriels « le sentiment d'une confusion au plus haut niveau politique, qui renforce leur défiance ». Pourtant, la loi ne prévoyait qu'une possibilité de dérogation sous condition pendant trois ans et la décision de la CJUE, faisant application des textes communautaires, a seulement empêché une dérogation annuelle supplémentaire.
Les deux membres de la commission des affaires économiques, s'appropriant le slogan de la profession « pas d'interdiction sans solution », se positionnent en faveur d'un soutien public renforcé. Ils appuient par conséquent un prolongement du plan national de recherche et d'innovation (PNRI) lancé en en janvier 2021 et qui doit s'achever à la fin de cette année. Ce plan, qui a permis des avancées sur la recherche variétale, a bénéficié d'un total de 20 millions d'euros (M€), dont 7,20 M€ de financements publics.
La mission pointe également « l'absolue nécessité de faire cesser la concurrence déloyale entre producteurs de betteraves qui résulte actuellement des différences de législation et de l'arrêt de la CJUE », tout en exhortant à ne pas mettre l'agriculture française « en défaut par des surtranspositions ». Pourtant, si des différences de législations peuvent subsister entre l'UE et le reste du monde, le droit communautaire et son contrôle par la CJUE ont au contraire pour objectif et pour effet d'assurer l'harmonisation des règles au sein de l'Union et d'éviter la concurrence déloyale.
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Note Télécharger le rapport Plus d'infosArticle publié le 01 septembre 2023