L'épée de Damoclès est tombée. Le Conseil d'État ordonne au Gouvernement de prendre des mesures pour réduire la pollution de l'air dans huit zones. À défaut, il devra payer 10 millions d'euros par semestre de retard.
Une fois n'est pas coutume. C'est une décision forte que le Conseil d'État vient de prendre en matière d'environnement. Suivant les conclusions du rapporteur public, la Haute juridiction administrative a décidé, ce vendredi 10 juillet, de prononcer une astreinte de 10 millions d'euros pas semestre de retard à l'encontre de l'État s'il ne justifie pas, dans les six mois, avoir pris les mesures nécessaires pour réduire la pollution de l'air dans huit zones en France.
Le Conseil d'État a constaté la non-exécution de sa décision du 12 juillet 2017 par laquelle il avait enjoint l'État d'élaborer et de mettre en œuvre, dans le délai le plus court possible, des plans relatifs à la qualité de l'air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d'azote (NO2) et en particules fines (PM10) en dessous des seuils réglementaires dans treize agglomérations françaises.
Estimant que le Gouvernement n'avait pas pris les mesures qu'imposait la décision, Les Amis de la Terre, à l'origine de la première décision, accompagnés de 77 autres requérants, avait saisi de nouveau le Conseil d'État en octobre 2018 pour le contraindre à la respecter.
La Haute juridiction constate que les valeurs limites restent dépassées dans neuf zones : Vallée de l'Arve, Grenoble, Lyon, Marseille-Aix, Reims, Strasbourg et Toulouse pour le dioxyde d'azote, Fort-de-France pour les particules fines, et Paris pour les deux polluants. Si le plan élaboré en 2019 pour la Vallée de l'Arve comporte des mesures « précises, détaillées et crédibles » pour assurer un respect des valeurs limites d'ici 2022, il n'en est pas de même pour les huit autres zones, constate la décision. Les feuilles de route élaborées pour ces dernières ne comportent « ni estimation de l'amélioration de la qualité de l'air attendue, ni précision sur les délais de réalisation de ces objectifs », juge le Conseil d'État. Pour l'Île-de-France, le plan élaboré en 2018 lui semble crédible mais l'échéance prévue en 2025 est « trop éloignée dans le temps » pour assurer une exécution correcte de sa décision précédente.
Astreinte « hors-norme »
Il s'agit du « montant le plus élevé qui ait jamais été imposé pour contraindre l'État à exécuter une décision prise par le juge administratif », précise le Conseil d' État. Cette astreinte « hors-norme », qui équivaut à 54 000 euros par jour, est prise compte tenu « du délai écoulé depuis [la] première décision, de la gravité des conséquences en matière de santé publique et de l'urgence particulière qui en résulte ».
« Le choix du Gouvernement de ne pas respecter sa condamnation, à l'heure où les alertes des scientifiques, personnels soignants et citoyens concernant les concentrations excessives de particules fines et de dioxyde d'azote, se répètent, apparaît lourd de conséquences. Est-il nécessaire de rappeler que la pollution de l'air est la troisième cause de mortalité en France, après l'alcool et le tabac, affectant en premier lieu les personnes les plus vulnérables ? », avait rappelé Louis Cofflard, avocat des Amis de la Terre, avant l'audience. Si le montant de l'astreinte paraît très important pour une décision de justice, il reste toutefois « dérisoire comparé au coût exorbitant de la pollution de l'air estimé à près de 100 milliards d'euros par an », estiment Les Amis de la Terre.
Diminuer la présence des véhicules diesel
Est-il nécessaire de rappeler que la pollution de l'air est la troisième cause de mortalité en France, après l'alcool et le tabac, affectant en premier lieu les personnes les plus vulnérables ?
Louis Cofflard, avocat des Amis de la Terre
Cette décision fait suite à un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne qui, en octobre dernier, a
condamné la France pour avoir dépassé de manière systématique et persistante la valeur limite annuelle pour le dioxyde d'azote. Un deuxième contentieux portant sur les
particules PM10 est par ailleurs engagé devant la Cour depuis 2011.
Les dépassements des valeurs légales de pollution concernent essentiellement les grandes villes et portent surtout sur le dioxyde d'azote (NO2), analyse l'association Respire. Or, en ville, les véhicules diesel sont la principale cause de la pollution au NO2, ajoute-t-elle. « L'enjeu se résume donc à cette question : comment diminuer la présence des véhicules diesel dans les centres-villes ? », résume Olivier Blond, son directeur.
La nouvelle ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, se voit chargée de ce dossier brûlant et potentiellement coûteux pour les finances de l'État. Sa prédécesseur, Élisabeth Borne, avait annoncé la veille de l'audience la création d'une dizaine de nouvelles zones à faibles émissions (ZFE). Mme Pompili confirme, après la décision, « la création obligatoire d'ici six mois de ZFE qui interdisent la circulation des véhicules les plus polluants ». En tout état de cause, le Gouvernement se doit d'accélérer.
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Note Télécharger la décision du Conseil d'État Plus d'infosArticle publié le 10 juillet 2020