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AZF : 20 ans après la catastrophe, le risque industriel toujours présent

La France commémore la même semaine les 20 ans de la plus grosse catastrophe industrielle de son histoire et les deux ans de l'accident Lubrizol. Si des progrès ont été accomplis, les risques demeurent.

Risques  |    |  L. Radisson
AZF : 20 ans après la catastrophe, le risque industriel toujours présent
Actu-Environnement le Mensuel N°418
Cet article a été publié dans Actu-Environnement le Mensuel N°418
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Le mois de septembre est-il propice à la survenance des accidents industriels ? C'est le 21 septembre 2001 qu'a eu lieu l'explosion de l'usine AZF à Toulouse, plus grosse catastrophe technologique qu'est connue la France, à l'origine de 31 morts, environ 2 500 blessés et plusieurs milliards d'euros de dégâts matériels. Et c'est le 26 septembre 2019 qu'est survenu l'incendie de l'usine Lubrizol et des entrepôts NL Logistique à Rouen qui, sans faire de victimes, a profondément marqué la capitale normande.

Vingt ans après AZF, où en est-on de la prévention des risques industriels ? Comme après chaque catastrophe, les pouvoirs publics avaient réagi en lançant plusieurs réflexions dans les domaines de la prévention, du contrôle et de l'information des populations. Celles-ci ont abouti à l'adoption, en 2003, de la loi dite « Bachelot ». Un texte marqué principalement par la création des plans de prévention des risques technologiques (PPRT) destinés à mieux maîtriser l'urbanisation autour des sites « Seveso seuil haut », mais aussi par un renforcement des études de dangers (EDD) exigées des exploitants et une meilleure association des salariés et des riverains. À l'époque, le gouvernement avait aussi annoncé un renforcement des effectifs des inspecteurs des installations classées et modifié la réglementation sur les stockages de nitrates d'ammonium, à l'origine de la catastrophe toulousaine.

Réduction des risques à la source

L'accident de l'usine Lubrizol a permis de révéler ce qui a progressé depuis 2001 en matière de prévention et de gestion des risques industriels, mais aussi les insuffisances qui perdurent. « Ce qui a bien fonctionné, c'est la réduction des risques à la source », a indiqué Cédric Bourillet, directeur général de la Prévention des risques, le 20 mai dernier lors de rencontres consacrées aux risques technologiques majeurs. Sur le site de Lubrizol, le déplacement de cuves de gaz et leur éloignement des produits chimiques a en effet permis d'éviter un accident bien plus grave encore et qui aurait sans doute causé des victimes.

“ Ce qui a bien fonctionné, c'est la réduction des risques à la source. ” Cédric Bourillet, directeur général de la Prévention des risques
« La loi a considérablement rénové les méthodologies d'élaboration des études de dangers », explique le ministère de la Transition écologique. « On est passé d'une étude du worst case à une approche probabiliste », confirme Philippe Prudhon, directeur des affaires techniques de France Chimie, qui fédère l'industrie chimique. « Ce travail, aujourd'hui terminé pour la quasi-totalité des sites, a conduit les industriels à devoir investir entre 200 et 300 millions d'euros par an dans de nouvelles mesures de réduction des risques durant les années qui ont suivi la parution des textes. Ces mesures ont permis de réduire les zones exposées à aléa de manière significative », assure le ministère.

Mais, dans le même temps, l'accident Lubrizol a révélé les carences des études de dangers réalisées par l'exploitant et celles des contrôles menés par les services de l'État. Ces études n'avaient pris en compte aucun des scénarios d'accidents identifiés par une mission d'inspection de hauts fonctionnaires mandatée après le sinistre. Des études qui n'ont pas non plus pris en compte le stockage de 9 000 tonnes de produits chez son voisin NL Logistique (1) . Pourtant, selon la réglementation, les études de dangers doivent aussi prendre en compte les causes de risques externes à l'établissement.

À la suite de cet accident, la ministre de la Transition écologique a annoncé, en septembre 2020, une inspection systématique dans les trois ans de toutes les installations classées (ICPE) dans un rayon de 100 mètres autour des sites Seveso. Mme Pompili a aussi annoncé une augmentation de 50 % des contrôles sur le terrain d'ici la fin du quinquennat. La création de 50 postes d'inspecteurs a été programmée sur 2021 et 2022. Les effectifs avaient aussi été renforcés après AZF, mais ils se sont ensuite effrités au fil des ans, tandis que les fonctionnaires sont de plus en plus absorbés par les tâches d'instruction au détriment de celles du contrôle. « Il faudrait aussi voir si on a toutes les compétences en matière de gestion de crise dans les préfectures », alerte Alban Bruneau, nouveau président de l'Association nationale des collectivités pour la maîtrise des risques technologiques majeurs (Amaris).

PPRT : le financement des travaux en suspens

Les PPRT ont également permis de réduire la vulnérabilité des riverains des sites Seveso seuil haut à travers des mesures foncières (expropriations, délaissements) et de renforcement du bâti. « Cela a permis une prise de conscience des industriels et de l'administration », se réjouit Alban Bruneau. Mais, dix-huit ans après la promulgation de la loi, les PPRT ne sont pas encore tous approuvés : quatre sur 389 doivent encore l'être.

Par ailleurs, la question du financement des travaux pose toujours problème. « Mille-cinq-cents logements sur les 16 000 concernés ont fait les travaux de sécurisation nécessaires », constate le maire de Gonfreville-l'Orcher (Seine-Maritime). Ceux-ci sont pris en charge à 90 % par les industriels à l'origine du risque, les collectivités locales et l'État à travers un crédit d'impôt. Reste 10 % à la charge des propriétaires des biens et le problème de l'avance des fonds. Ce qui reste bien souvent bloquant pour des ménages modestes.

Manque de dialogue avec les riverains

Quant à l'information et l'association des riverains, des commissions de suivi de site (CSS), impliquant riverains et associations, ont été créées autour des établissements Seveso seuil haut. « Mais le manque de dialogue avec les riverains a été mis en lumière par l'accident de Lubrizol », pointe Alban Bruneau. L'écart s'est en effet révélé béant entre la transparence revendiquée (2) par la préfecture de Seine-Maritime et le ressenti des riverains, en particulier sur les impacts sanitaires du sinistre. « Nous sommes partisans d'une CSS moins formelle animée par le maire, et non par le préfet, afin d'échanger de façon plus ouverte », propose Philippe Prudhon, de France Chimie.

Se pose également la question des alertes en cas d'accident. « Il reste des progrès à faire en la matière », reconnaît ce dernier. L'Amaris avait alerté le gouvernement sur les carences révélées par l'accident normand. Le ministre de l'Intérieur a annoncé il y a un an le déploiement d'ici à 2022 du système de Cell Broadcast permettant d'alerter les habitants d'une zone donnée via leur téléphone portable. « On réclamait cette technologie, mais on n'a réussi à l'obtenir qu'après Lubrizol », explique Alban Bruneau, qui ne souhaite pas pour autant abandonner la traditionnelle sirène.

Les deux professionnels s'accordent en tout cas sur la nécessité de procéder à des exercices tous les ans dans le cadre des plans particuliers d'intervention (PPI). La loi sur la sécurité civile de 2004 prévoit aussi la mise en place de plans communaux de sauvegarde (PCS). « Mais, il y a un manque de portage politique », pointe Alban Bruneau. Le coût pour l'État et pour les collectivités locales est aussi un obstacle. « Les industriels peuvent aussi mettre la main à la poche », suggère le président d'Amaris.

Suppression des CHSCT

La loi Bachelot avait également renforcé l'association des salariés à travers le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Sauf que le gouvernement d'Édouard Philippe a entre-temps supprimé cette instance à travers les ordonnances « travail » de 2017. « Ça a été une mauvaise mesure », cingle Alban Bruneau. Il faut que les travailleurs aient la possibilité de pointer les dysfonctionnements qui peuvent être à l'origine des accidents, explique en effet celui qui est aussi président de l'Office des risques majeurs de l'estuaire de la Seine (Ormes).

La question de la sous-traitance, de plus en plus développée sur les sites industriels, pose aussi question. L'explosion d'AZF est survenue un quart d'heure après le déversement par un sous-traitant de produits chlorés sur un tas d'ammonitrates en vrac. Un rapport d'inspection de hauts fonctionnaires a également révélé que quatre employés d'un sous-traitant de Lubrizol étaient présents sur le site rouennais au moment du départ de l'incendie. Pour Philippe Prudhon, toutefois, « l'amélioration est évidente » dans ce domaine. Celui-ci met en avant le référentiel Mase-France Chimie utilisé par 4 000 entreprises et qui soumet les sous-traitants à un protocole de prévention des risques et de gestion de la sécurité dans un processus d'amélioration continue.

« Le nitrate d'ammonium en roue libre »

À la suite d'AZF, le gouvernement avait également fait évoluer « de façon importante la réglementation relative aux sites à risques, qu'il s'agisse des réglementations sectorielles (silos, sites pyrotechniques, stations-service, stockages d'engrais…) ou des réglementations transverses (protection contre la foudre, séismes…) », rappelle le ministère de la Transition écologique.

L'explosion survenue dans le port de Beyrouth, le 4 août 2020, est venue rappeler les risques représentés par les stockages de nitrates d'ammonium. De hauts fonctionnaires missionnés par le gouvernement ont révélé, en juin dernier, des situations à risques dans les ports fluviaux et les stockages d'ammonitrates en agriculture. « En France, le nitrate d'ammonium est en roue libre », s'indigne l'association Robin des bois. « La seule mesure forte post-Toulouse a été d'obliger les producteurs, coopératives agricoles, distributeurs ou agriculteurs qui sont détenteurs de plus de 10 tonnes de nitrate d'ammonium défectueux de procéder à l'inscription de leurs stocks dans la rubrique 4703 (3) des ICPE », explique l'association. Or, ajoute-t-elle, seuls quatre exploitants se sont conformés à cette obligation, mais ont annoncé des stocks inférieurs à ce seuil. Ce qui « leur évite la publicité du label Seveso ».

Quant au paquet réglementaire post-Lubrizol publié pour le premier anniversaire de l'accident, il renforce les prescriptions applicables aux établissements Seveso, aux entrepôts et aux stockages de liquides inflammables. « Les textes pris sont très efficaces, explique Philippe Prudhon. Nous avons accepté qu'ils s'appliquent aussi aux installations existantes. » Un effort qui se chiffre à 450 millions d'euros pour la chimie et qu'on peut estimer à 3 milliards pour l'ensemble des installations concernées, explique le directeur technique de la fédération industrielle.

Mais, dans le même temps, ces textes simplifient l'implantation des entrepôts en étendant le régime d'enregistrement à un grand nombre d'entre eux. Ce qui revient à supprimer les études de dangers qui leur étaient applicables. Un signal pour le moins contradictoire envoyé par le gouvernement.

1. Consulter l'article de Gabriel Ullmann Accident Lubrizol : le droit d'antériorité détourné par l'administration pour masquer ses déficiences (1/2)
http://Accident Lubrizol : le droit d'antériorité détourné par l'administration pour masquer ses déficiences (1/2)
2. Consulter l'article de Gabriel Ullmann L'incendie de Lubrizol : transparence ou enfumage ?
https://www.actu-environnement.com/blogs/gabriel-ullmann/121/lubrizol-dreal-sante-184.html
3. Consulter la rubrique 4703 de la nomenclature des installations classées
https://aida.ineris.fr/consultation_document/30068

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