
Directrice de recherche au CNRS
Actu-Environnement : Le contentieux climatique s'est-il développé depuis la signature de l'Accord de Paris en décembre 2015 ?
Marta Torre-Schaub : Il y a une accélération des contentieux devant les tribunaux nationaux. Mais il n'y a pas eu un avant et un après « décembre 2015 ». Pour les décisions rendues jusqu'en 2018-2019, les contentieux avaient été introduits avant la signature de l'Accord. À compter de cette période, ce dernier est intégré dans les argumentaires d'un certain nombre d'actions, dans le cadre de procédures d'appel comme en Norvège ou dans l'affaire Urgenda aux Pays-Bas. Mais aussi dans de nouvelles actions comme L'Affaire du siècle ou Grande-Synthe en France. L'Accord est donc très utilisé en ce moment mais avec la limite importante posée au juge national de savoir si le droit international est directement applicable. Le Conseil d'État français, par exemple, vient de répondre par la négative, tout en nuançant car il explique que l'Accord engage dans le même temps la France dans le sens de l'accomplissement de ses objectifs de réduction de gaz à effet de serre.
AE : L'Accord de Paris n'a donc rien changé à cet égard ?
MTS : L'Accord est très innovant sur le plan formel, procédural et sur son contenu même, mais il n'en est pas moins un traité international ayant donc a priori les mêmes effets en droit national que tout les autres traités internationaux. Par rapport au juge national, il ne s'applique pas plus directement qu'un autre traité. Cependant, il permet malgré tout d'obtenir des résultats très positifs et intéressants comme l'a montrée la décision de la Cour d'appel royal de Londres relative à l'aéroport d'Heathrow. Le droit international n'était pas applicable directement mais il existait beaucoup de preuves étayant le fait que le Royaume-Uni avait la volonté de s'aligner sur les objectifs de l'Accord de Paris. La justice a estimé par conséquent que tout acte administratif devait justifier qu'il était bien aligné sur ces objectifs. C'est la même chose dans l'affaire de Grande-Synthe en France. On peut donc dire que l'Accord de Paris a aussi des effets dans les droits nationaux. C'est une tendance très positive mais on ne peut pas généraliser à ce stade puisqu'elle n'a été observée, pour l'heure, que dans deux ou trois affaires.
AE : L'Accord de Paris peut-il aussi avoir des effets dans les contentieux dirigés contre des entreprises ?
MTS : Il a des effets sur les acteurs publics comme privés car, même s'il ne s'applique pas directement à ces derniers, il constitue une référence pour avoir des comportements vertueux. Les acteurs privés, comme les banques internationales ou européennes, ont développé, ou du moins annoncé, des stratégies d'action depuis 2017. Pas mal d'entreprises ont fait de même dans leur rapport d'activités extra-financières. La loi française sur le devoir de vigilance des entreprises, pionnière dans le monde et rédigée à l'origine pour protéger les droits de l'homme et l'environnement, a été mobilisée par des ONG et des villes pour demander à l'entreprise Total d'actualiser son plan de vigilance par rapport à une cartographie du risque climatique. Les objectifs de l'Accord de Paris peuvent donc être pris en compte directement ou indirectement par les demandes de la société civile envers les entreprises.
AE : Le fait que certains États n'aient pas ratifié l'Accord de Paris ou en soient sortis a-t-il eu une incidence sur les contentieux ?
MTS : La question est complexe. Deux pays sont emblématiques par rapport à leur valse-hésitation : les États-Unis et le Canada. Aux États-Unis, l'affaire Our Children Trust a été introduite alors que l'Accord de Paris avait été ratifié par Barack Obama. Elle a ensuite été paralysée par des questions procédurales sous Donald Trump. Il est compliqué de dire si c'est la sortie de l'Accord de Paris qui a entravé l'action mais cet effet négatif est possible. Au Canada, certains États ont accéléré la mise en place de lois sur le climat lorsque le gouvernement fédéral a annoncé la ratification. Il y a là une sorte d'effet vertueux. Dans le même temps, beaucoup d'actions en justice ont été portées par des populations autochtones pour protester contre les installations pétrolières. Ce type d'actions existaient avant l'Accord de Paris mais elles ont trouvé une nouvelle force. En Australie, il y a eu au moins deux cas d'annulation d'exploitation minière sur la base de l'Accord de Paris.
AE : Est-ce la preuve d'un effet positif de l'Accord de Paris ?
MTS : L'Accord de Paris a eu des résultats, c'est certain. C'est un argument de force dans un certain nombre d'actions en justice. Je pense qu'il y a certainement eu un effet positif de l'Accord de Paris sur l'accélération de ce type de procès.
AE : Comment voyez-vous l'avenir des contentieux climatiques ?
MTS : Ils se multiplient dans plus en plus de pays et sont de plus en plus diversifiés. Soit, ce sont des grands procès contre les États, soit contre les entreprises pétrolières, ou encore des procès moins médiatiques pour remettre en cause des projets précis. C'est le cas surtout en Europe, mais aussi en Afrique avec des projets miniers.
AE : Et avec quelle issue ?
MTS : Vu ce qui a été jugé l'année dernière à Londres et ce qui vient d'être jugé par le Conseil d'État en France, il y a des progrès. On donne une place à l'Accord de Paris, même de manière indirecte dans les droits nationaux, selon une dynamique vertueuse qui s'autoalimente. Dans les négociations, on va ensuite mettre en avant l'accélération de la mise œuvre des objectifs du fait de ces contentieux. C'est donc un dialogue entre le droit international et le droit national qui se met en place. Et le droit international, ce n'est pas seulement les négociations climatiques mais aussi l'action des cours régionales comme la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) ou la Cour interaméricaine des droits de l'homme. A cet égard, l'exemple le plus frappant est la toute récente communication de la CEDH qui accueille par exception une requête non encore tranchée par les juges nationaux. Cela va envoyer un signal fort dans les droits nationaux, même dans l'hypothèse où cette requête n'aboutirait pas.