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Actu-Environnement

Nitrates d'ammonium : pourquoi le gouvernement doit agir rapidement

MAJ le 01/10/2021

En mai dernier, une mission de hauts fonctionnaires, mise en place après la catastrophe de Beyrouth, au Liban, pointait les risques liés aux nitrates d'ammonium. Le ministère de la Transition écologique se dit aujourd'hui prêt à agir.

Décryptage  |  Risques  |    |  L. Radisson
Nitrates d'ammonium : pourquoi le gouvernement doit agir rapidement

La terrible catastrophe dans le port libanais de Beyrouth, en août 2020, qui a causé la mort de 300 personnes et en a blessé plus de 6 500, a ravivé l'inquiétude sur les stockages de nitrates d'ammonium. À la suite de celle-ci, le gouvernement avait missionné des hauts fonctionnaires des ministères de la Transition écologique (CGEDD) et de l'Économie (CGE (1) ) pour évaluer le contrôle des flux d'ammonitrates (engrais à base de nitrates d'ammonium) transitant dans les ports français. Dans un rapport publié en mai 2021, ceux-ci ont pointé de graves insuffisances dans les ports fluviaux et dans la chaîne d'approvisionnement de l'agriculture en ammonitrates à haut dosage (plus de 28 % d'azote), les plus dangereux.

Sur les dix recommandations formulées par la mission, seule une, relative aux inspections, a été satisfaite par le ministère de la Transition écologique. Les autres n'ont, pour l'heure, pas été suivies d'effets malgré les graves insuffisances pointées par les hauts fonctionnaires. Mais les choses devraient changer, puisque le ministère annonce le lancement de plusieurs actions.

Au moins un tiers des ICPE non conformes

La recommandation qui a reçu un écho est celle visant à mettre à l'agenda de l'Inspection des installations classées (ICPE) le contrôle des installations soumises à déclaration relevant de la rubrique 4702-II (2) (ammonitrates haut dosage) de la nomenclature. La ministre Barbara Pompili avait déjà anticipé cette demande en adressant le 15 décembre 2020 aux préfets une instruction demandant d'inspecter les stockages d'ammonitrates classés au titre des rubriques 4701, 4702 et 4703 « dans l'emprise ou à proximité des ports maritimes et fluviaux, et dans les coopératives agricoles ».

À la fin juin, 188 visites avaient été effectuées et des arrêtés de mise en demeure pris dans des «  dizaines de situations », indique le ministère de la Transition écologique. Le bilan de la prévention des risques en Île-de-France, publié par la Drieat (3) le 24 septembre 2021, permet également de se faire une idée des non-conformités, même si les chiffres communiqués sont peu précis. Sur la trentaine d'inspections réalisées, 30 % ont fait l'objet de propositions de mise en demeure. Il s'agit des sites ayant fait l'objet des constats « les plus préoccupants », indique la Drieat. On peut donc considérer qu'au moins un tiers des installations ne sont pas conformes. « Pour plusieurs sites de stockage, les inspecteurs ont relevé des conditions inadaptées : produits incompatibles ou combustibles à proximité des engrais, sols et parois dégradées ou sales, personnel non formé aux risques liés aux engrais, lacunes d'affichage ou encore absence ou retard dans les contrôles périodiques des installations déclarées qui y sont soumises », rapporte le service déconcentré de l'État.

Trafics fluviaux ni identifiés ni suivis

Ces non-conformités viennent confirmer les conclusions de la mission d'inspection, dont les autres recommandations restent pour l'heure non traduites. Celles-ci portaient sur trois volets : le contrôle du nitrate d'ammonium dans les ports fluviaux, son contrôle dans les ports maritimes, qui sont source de moins d'inquiétude, et, enfin, la sécurisation du stockage des ammonitrates à haut dosage.

Les hauts fonctionnaires jugeaient prioritaires de mettre en œuvre les recommandations relatives au transport fluvial. « Les trafics fluviaux de matières dangereuses ne sont pas identifiés et suivis, ni VNF, ni les ports fluviaux n'en ayant connaissance (…). Depuis la disparition des services de la navigation, à l'occasion de la création de VNF, aucun service de l'État n'est en charge de ces sujets. Cela se traduit par des situations ponctuelles qui paraissent anormales, de déchargements d'ammonitrates haut dosage dans des conditions de sécurité non optimales », rapportait la mission. Les deux associations nationales les plus actives en matière de prévention des risques industriels, Robin des bois et France Nature Environnement (FNE), ont réagi chacune à leur tour aux conclusions de la mission.

« La sécurité du transport fluvial est quasiment orpheline », a réagi Robin des bois, à la lecture du rapport. « Les voies d'eau intérieures sont ouvertes à tous les trafics et à toutes les manœuvres de dissimulation. Voies navigables de France (VNF) navigue à vue. Elle concède des quais ou des appontements vermoulus à des industriels, à des chambres de commerce aussi peu clairvoyantes que des chambres d'agriculture ou à des manutentionnaires camoufleurs », ajoute l'ONG.

Les recommandations de la mission consistaient à élaborer un règlement de transport et de manutention des matières dangereuses, à clarifier les responsabilités des acteurs publics (Dreal (4) , VNF), à assurer le suivi du trafic des matières dangereuses transportées par ce mode et à prévenir le risque de cargaison non conforme en ciblant certaines importations dans le cadre du contrôle des produits. « Il s'agit de mesures peu coûteuses qui relèvent essentiellement du ministère de la Transition écologique », précisait la mission. FNE formule une recommandation pratique supplémentaire : faire passer dans les dépôts portuaires la distance minimale entre îlots de stockage de 4 à 8 mètres, comme l'a recommandé l'Institut national de l'environnement et des risques (Ineris) en 2014.

Système unique de gestion des matières dangereuses

En ce qui concerne le transport maritime, la mission a, en revanche, estimé que les risques y étaient maîtrisés. Une appréciation que Robin des bois juge « infondée », citant les exemples des ports des Sables-d'Olonne (Vendée) et de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) qui reçoivent des cargos chargés de nitrate d'ammonium à l'intérieur de la ville. Les hauts fonctionnaires ont tout de même émis deux recommandations en vue d'« améliorer encore la situation ». Celles-ci consistent à améliorer le pilotage des capitaineries et à développer un système de gestion des matières dangereuses unique pour tous les ports.

“ Un système de gestion des matières dangereuses unique pour tous les ports doit permettre une consolidation nationale et homogène afin de favoriser le suivi des matières et les contrôles. ” Ministère de la Transition écologique

Interrogé par Actu-Environnement, le ministère de la Transition écologique annonce qu'il va engager des actions pour faire suite à ces recommandations. C'est le cas du système de gestion des matières dangereuses unique pour tous les ports qui doit permettre « une consolidation nationale et homogène afin de favoriser le suivi des matières et les contrôles ». L'échéance n'est cependant pas connue. Le ministère annonce également retenir la proposition d'élaborer un règlement de transport et de manutention des matières dangereuses par voie fluviale. Celui-ci doit notamment permettre d'assurer le suivi de ces matières et d'interdire le dépôt à terre d'ammonitrates à haut dosage en vrac. « Un projet de texte sera mis en consultation au premier semestre 2022 », indique le ministère.

Détenir 250 tonnes d'ammonitrates sans formalités

« Les ports, maritimes ou fluviaux, n'apparaissent pas comme les points les plus sensibles de la chaîne d'approvisionnement de l'agriculture en ammonitrates », avait toutefois constaté la mission. Outre les actions d'inspection des installations classées, elle avait donc émis trois recommandations en vue de mieux encadrer la chaîne d'approvisionnement en ammonitrates à haut dosage qui présentent le risque d'explosion le plus important. Ces recommandations portent sur un meilleur encadrement de ces substances (obligation de conditionnement, abaissement des seuils ICPE), l'incitation à utiliser des ammonitrates à moyen dosage, et une amélioration de l'information sur les risques.

« Se détacher de l'engrais azoté bon marché à base de nitrate d'ammonium apparaît pour la filière agricole française plus difficile que de se séparer des glyphosates », analyse Robin des bois. Or, « dans l'état actuel de la réglementation passoire française, un agriculteur peut détenir 250 tonnes d'engrais à base de nitrate d'ammonium haut dosage sans en informer les maires, les pompiers et les services de l'État. Un tracteur agricole peut circuler sur la voirie publique avec 12 tonnes de cette substance incendiaire, toxique et explosive sans accrocher à la remorque les plaques et étiquettes de danger réglementaires », s'indigne l'association.

« Il y a aujourd'hui consensus pour alerter sur les risques en jeu et demander qu'impérativement un effort conséquent d'information et de formation soit engagé rapidement dans le monde agricole pour développer la prévention », indique de son côté FNE. La fédération d'associations, qui a publié une note de positionnement (5) à l'occasion des 20 ans d'AZF, s'étonne que le ministère de l'Agriculture n'ait pas été associé à la mission. Outre des recommandations proches de celles formulées par les hauts fonctionnaires, elle suggère d'imposer aux coopératives agricoles la déclaration auprès des services départementaux d'incendie et de secours (Sdis) des exploitations où sont stockés des produits dangereux à partir d'un certain seuil.

Les spécialistes du risque ont en effet à l'esprit l'accident survenu le 2 octobre 2003 dans un hangar agricole à Saint-Romain-en-Jarez (Loire). L'explosion de 2 à 3 tonnes d'ammonitrates avait blessé 26 pompiers, dont neuf grièvement. « Les incendies impliquant les ammonitrates sont fréquents, et on constate souvent que les produits ne sont pas stockés dans les meilleures conditions de sécurité, ce qui fait qu'un nouvel accident grave reste possible », indiquait la mission. Ne serait-ce qu'entre janvier et juin 2021, Robin des bois a recensé quinze incendies dans des établissements agricoles impliquant des engrais à base de nitrates d'ammonium. « Les engrais étaient stockés dans les mêmes hangars que des pneus, du foin, des hydrocarbures, de la paille, des produits phytosanitaires », rapporte l'association.

Réévaluer les conditions de stockage des ammonitrates à haut dosage

De la même manière que pour les ports, le ministère de la Transition écologique semble avoir pris la mesure du problème. Il annonce en premier lieu une campagne d'information auprès des agriculteurs « en pointant notamment la nécessité d'éloigner les stockages d'ammonitrates des produits incompatibles et les mesures minimales à respecter pour les stocker de façon sûre ». Il prévoit ensuite de réévaluer les conditions de stockage des ammonitrates à haut dosage, en particulier sur la question du vrac, qui présente plus de risque et complique la traçabilité.

Dans cette optique, l'Hôtel de Roquelaure annonce une concertation avec les professionnels agricoles et les fabricants d'engrais pour « préciser d'ici à fin octobre 2021 l'encadrement réglementaire ». Cette concertation portera notamment sur la révision des seuils de la rubrique 4702 de la nomenclature des ICPE concernant les ammonitrates à haut dosage et sur les deux arrêtés ministériels de prescriptions générales applicables à cette rubrique, qui visent respectivement les installations soumises à déclaration et celles relevant du régime d'autorisation.

La mission CGEDD/CGE avait préconisé d'abaisser le seuil actuel de déclaration de 250 à « 50 ou 100 tonnes » pour les ammonitrates à haut dosage. Ce qui reviendrait à soumettre au régime de la déclaration des installations qui échappaient jusque-là à la réglementation des ICPE. Elle suggérait aussi de soumettre à enregistrement les installations relevant actuellement de la déclaration (6) , après avoir constaté que l'obligation de contrôle par un organisme agréé était « largement ignorée ».

Mais, dans le même temps, elle préconisait de relever le seuil de déclaration de 500 à 1 250 tonnes pour les ammonitrates à moyen dosage. « À défaut de cette mesure, un renforcement du contrôle des ICPE déclarées aurait pour conséquence de pousser les coopératives agricoles qui auraient des difficultés à se mettre en conformité soit à renoncer au stockage d'engrais, ce qui multiplierait les stockages à la ferme en dessous des seuils ICPE mais beaucoup moins réglementés et contrôlés, soit à passer à d'autres types d'engrais azotés, l'urée ou les solutions azotées, ce qui provoquerait des émissions supplémentaires d'ammoniac alors que les directives européennes sur la qualité de l'air ont précisément visé cette substance comme devant faire l'objet de réductions d'émissions importantes », expliquaient les hauts fonctionnaires.

Le ministère de la Transition écologique annonce qu'une évaluation du règlement européen du 5 juin 2019 relatif à la mise sur le marché des fertilisants sera également faite lors de la concertation. La mission préconisait de rendre obligatoire ce texte qui impose le conditionnement pour les ammonitrates à haut dosage. « Contrairement à la plupart des autres textes européens conduisant à un marquage CE, l'application du règlement européen sur les matières fertilisantes n'est pas obligatoire », expliquaient les hauts fonctionnaires. Il est donc possible de commercialiser en France des ammonitrates à haut dosage dès lors qu'ils sont conformes à la norme NF U 42-0001, qui n'impose pourtant pas de conditionnement et dont le marquage NF repose sur l'autocertification.

À l'issue de son analyse, FNE suggère d'appréhender la gestion des risques de manière « plus transversale ». « Pour les ammonitrates comme pour d'autres produits dangereux, il ne suffit pas d'articuler des règlementations relevant de plusieurs ministères, mais, au contraire, il convient d'inverser la logique de la prévention en centrant les mesures sur l'ensemble du « cycle de vie » d'un produit ou d'un ensemble de produits et non pas sur des opérations disjointes (fabrication, transport stockage, utilisation, etc.) », estime l'ONG.

Reste à voir ce qui va ressortir de la concertation et sur quoi ces annonces du ministère de la Transition écologique vont déboucher.

1. Conseil général de l'économie2. Consulter la rubrique 4702 de la nomenclature des installations classées
https://aida.ineris.fr/consultation_document/30066
3. Direction régionale et interdépartementale de l'environnement, de l'aménagement et des transports4. Directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement5. Télécharger la note de positionnement de France Nature Environnement
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-38261-FNE-Dossier-NA-RII-Septembre-2021.pdf
6. Consulter l'article de G. Ullmann, Les ICPE soumises à déclaration : l'antithèse de la protection de l'environnement
https://www.actu-environnement.com/blogs/gabriel-ullmann/121/icpe-soumises-declaration-antithese-protection-environnement-33-434.html

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