François Hollande s'est engagé à réduire la part du nucléaire de 75 à 50% du mix électrique à l'horizon 2025. La loi de programmation sur la transition énergétique et la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) préciseront le cap et le calendrier fixés. Pour l'heure, plusieurs scenarios seraient envisagés. Ces questions étaient au cœur des auditions organisées par la commission parlementaire sur les coûts du nucléaire, le 26 mars dernier.
Vingt réacteurs fermés et les autres prolongés ?
"Aujourd'hui 63 GW sont installés. Dans l'hypothèse d'une part du nucléaire à 50% à l'horizon 2025, ce ne sont plus que 36 à 43 GW qui seront nécessaires", analyse Laurent Michel, directeur général de l'énergie au ministère de l'Ecologie. Résultat : une vingtaine de réacteurs se trouverait en "inutilité électrique" et devrait donc être fermée. Comment seront-ils choisis ? Sur des critères de sûreté nucléaire mais aussi de sécurité électrique. "Ce choix doit être fait autour des trente ans des réacteurs. En effet, un certain nombre d'investissements sont nécessaires pour prolonger la durée de vie des centrales au-delà, avec des amortissements sur vingt ou trente ans".
Parmi les options étudiées : la fermeture à 30 ans de certains réacteurs alors que d'autres seraient prolongés jusqu'à 50 ou 60 ans. Mais si l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) s'est prononcée, sur le principe, en faveur d'une prolongation de la durée de vie à quarante ans, elle n'a pas encore tranché au-delà. Cette décision ne devrait pas intervenir avant deux ou trois ans. Autre solution envisagée : la construction de nouveaux réacteurs de type EPR en lieu et place des anciennes centrales.
"Il faut qu'il y ait des mécanismes plus ou moins précisés par la loi ou les décrets qui amènent l'opérateur à échanger avec l'Etat et RTE pour aboutir à un plan de prolongation et/ou de fermeture. Il faut décider des caps assez vite pour mettre en œuvre une stratégie", analyse Pierre Marie Abadie, directeur de l'énergie au ministère de l'Ecologie.
Quelle que soit l'option retenue, de nombreux réacteurs vont arriver à l'échéance des trente ans et EDF n'est pas à l'abri d'un défaut de série qui entraîne la fermeture de plusieurs centrales sur un calendrier restreint. Cette situation doit donc être anticipée, tant d'un point de vue énergétique qu'économique.
Fessenheim : une fermeture test
Mais ce marché est difficile, estime Arnaud Gay du CSFN. Le manque de visibilité, le risque lié aux opérations qui ont tendance à glisser dans le temps, les faibles marges réelles rendent ce secteur peu attractif. "Les industriels ont des difficultés à industrialiser leurs processus", souligne l'expert. Pour le CSFN, plusieurs adaptations sont nécessaires pour lever les barrières : la mise en place d'un cadre réglementaire plus opérationnel, un partage du risque aléas de chantier entre exploitant et sous traitants, la structuration d'une filière de gestion des déchets…
Selon Jean-Michel Malerba, le délégué interministériel, une nouvelle disposition législative sera nécessaire pour enclencher l'arrêt de Fessenheim. Et, puisque le code de l'environnement ne permet pas de justifier une décision anticipée, et que l'ASN a donné son feu vert pour une poursuite de l'exploitation des réacteurs 1 et 2 au-delà de 30 ans, l'exploitant peut demander à l'Etat une indemnisation du manque à gagner occasionné par la fermeture, "au nom du principe d'égalité devant les charges publiques". Reste à déterminer la part d'anormalité du préjudice. La question n'a pas encore été officiellement abordée. Mais le gouvernement pourrait jouer sur l'ouverture, en 2016, de l'EPR de Flamanville et la surcapacité électrique induite.
Car du côté de la sécurité électrique, la fermeture de Fessenheim ne devrait pas poser de problème grâce à la situation géographique de cette centrale, estime RTE. Le directeur de l'énergie a validé la liste des travaux d'adaptation du réseau jugés nécessaires par le gestionnaire du réseau. Ceux-ci devraient être réalisés entre 2014 et 2016 pour un coût estimé entre 40 et 50 M€. A moyen terme, RTE estime que des travaux supplémentaires seront nécessaires, pour un coût estimé à 100 M€. Le gestionnaire planche également sur la nécessité (ou pas) d'implanter une nouvelle unité de production. Sujet qui devrait faire l'objet d'une contre-expertise selon Jean-Michel Malerba.
Quant à la question de savoir si EDF a provisionné suffisamment pour le démantèlement de ses centrales, la réactualisation (en cours) du rapport de la Cour des comptes sur le coût du nucléaire est très attendue. Mais difficile aujourd'hui d'avancer des chiffres sur le coût réel du démantèlement.
Organiser la reconversion des bassins d'emplois
Les opposants à la fermeture de cette centrale dénoncent les impacts socio-économiques d'une telle décision. Pour Jean-Michel Malerba, "la fermeture anticipée avance certaines dépenses et certains impacts dans le temps". Mais finalement, un réacteur nucléaire n'étant pas éternel, ces effets auraient dû être gérés un jour ou l'autre par l'exploitant et les acteurs locaux... Une meilleure anticipation permettrait cependant une plus grande acceptation et une meilleure gestion de ces impacts.
Selon l'Insee, 1.580 à 1.700 emplois devraient être impactés, dont 800 salariés d'EDF. Pour ces derniers, indique Jean-Michel Malerba, des reclassements sur d'autres sites devraient être organisés par l'exploitant afin d'éviter tout licenciement. La sous-traitance concerne 300 salariés. Une vingtaine d'entreprises pourraient être impactées au dessus de 5% du chiffre d'affaires. "Cet effet social sera lissé sur plusieurs années. Dans les premiers temps de l'arrêt, les effectifs restent importants", note le délégué interministériel. Le démantèlement devrait permettre le maintien de 100 emplois chez EDF et de 200 chez les sous-traitants. Selon le Comité stratégique de filière nucléaire (CSFN), les ratios d'effectifs varient selon les sites et les phases du chantier, de 10 à 20% de l'effectif en exploitation, mais avec des métiers assez différents. De fait, "un projet de démantèlement ne peut se faire sereinement sans un plan RH", estime Arnaud Gay, président du groupe de travail Démantèlement au sein du CFSN. Un volet dédié à Fessenheim devrait être intégré au Contrat de plan Etat région. A titre de comparaison, les plans de reconversion de sites militaires coûtent environ 10.000€ par emploi à l'Etat… Quant aux collectivités, le manque à gagner est estimé à 12,6 M€ (chiffre 2012).