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Pesticides : l'émergence de nouvelles technologies nanométriques se fait dans le brouillard

Associations, scientifiques et autorités le constatent : de plus en plus de pesticides sont actuellement développés sous forme nanométrique. Ni la recherche ni la réglementation ne sont encore capables d'estimer la balance bénéfice-risque de ces produits.

Décryptage  |  Risques  |    |  F. Gouty
Pesticides : l'émergence de nouvelles technologies nanométriques se fait dans le brouillard
Actu-Environnement le Mensuel N°445
Cet article a été publié dans Actu-Environnement le Mensuel N°445
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La crise politique que traversent actuellement la France et l'Europe au sujet de l'agriculture présente de nombreuses facettes. Certaines d'entre elles, moins prégnantes que les questions de concurrence économique ou d'élaboration d'un nouveau plan Écophyto (encore en attente de publication), pourraient bien changer la face du secteur et, avec lui, de l'environnement. Il s'agit de l'émergence de nouvelles technologies agronomiques ou phytosanitaires.

Contrairement à la commercialisation de plantes issues de nouvelles techniques génomiques (ou nouveaux OGM), dont l'encadrement est déjà en discussion, l'apparition de nouveaux types de pesticides se fait plus discrète. Après les pesticides génétiques à ARNi, les milieux scientifiques, militants et même institutionnels commencent à s'emparer difficilement du sujet des nanopesticides. De nouveaux produits dont l'évaluation demeure autant brumeuse que leur pénétration du marché agricole.

Une diversité encore mal évaluée

Plusieurs types de produits de synthèse de dimension nanométrique se cachent derrière l'appellation nanopesticides. Ils peuvent néanmoins se diviser en deux catégories : des nanométaux dont l'action peut avoir un attrait phytosanitaire, comme le dioxyde de titane (TiO2), le dioxyde de silicium (SiO2) ou le cuivre ; et des substances actives (dont celles utilisées communément par l'agriculture conventionnelle) encapsulées dans des résines ou gels polymériques ou bien dans des métalloïdes (des nanométaux). Les « nanofertilisants » peuvent également être retrouvés sous l'une ou l'autre de ces formes. Les métaux comme le cuivre ou le soufre n'ont rien de nouveau et sont déjà utilisés en agriculture conventionnelle comme biologique. À l'inverse, la très grande majorité des pesticides à nanocapsules restent à l'état de prototypes, dont les propriétés varient (libération en fonction de certaines conditions météorologiques, pénétration dans certaines cellules cibles d'organismes spécifiques, etc.). Et c'est d'eux dont les industriels commencent à s'emparer.

« Grâce à la déclaration obligatoire instituée par la France depuis 2013, on sait néanmoins qu'une partie des quelque 500 000 tonnes de substances nanos déclarées chaque année dans le registre R-Nano est utilisée en agriculture, sans plus d'indication sur le volume exact ni sur les propriétés de ces nanomatériaux effectivement utilisés dans le secteur agricole », précise l'Association de veille et d'information civique sur les enjeux des nanosciences et des nanotechnologies (Avicenn). Autrement dit, il est encore impossible de savoir si des nanopesticides encapsulés (à la différence des nanométaux simples) sont utilisés ou même commercialisés à l'heure actuelle en France.

L'Avicenn, citant une étude américaine de 2022 (1) , ajoute que plus de 1 000 brevets pour des produits à base de nanopesticides avaient été déjà déposés aux États-Unis. Charlotte Grastilleur, directrice générale déléguée chargée du pôle « produits réglementés » de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), qui gère les déclarations et l'évaluation des dossiers à l'échelle française, confirme l'apparition d'un phénomène de « surdéclaration » ces dernières années, « par anticipation [en l'absence de réglementation ou de restriction des règles déclaratives, NDLR] ou par excès ». Malheureusement, l'Anses ne conditionne pas les demandes d'autorisation de mise sur le marché ou d'utilisation d'un nanoproduit à la déclaration de son usage (en tant que nanopesticide, par exemple) et navigue à vue – ou navigue à peine, en l'occurrence.

Bénéfices promis et risques éventuels

“ Nous ne disposons actuellement que de données insuffisantes pour une évaluation correcte des risques associés à l'utilisation de ces composés ” Christian Mougin, Ecosys
Quelle que soit la vertu du produit nanométrique employé, la littérature scientifique – et surtout industrielle – existante considère ces nouvelles technologies comme « une révolution pour l'agriculture moderne », vantant la « réduction de l'utilisation d'intrants associée à des gains de productivité et à une meilleure qualité des productions », compte tenu de leurs « efficacités accrues en raison d'une meilleure stabilité des formulations et d'une libération contrôlée des substances actives ». Tel a été le premier constat de Christian Mougin, directeur de recherche du laboratoire Ecosys partagé entre l'école AgroParisTech, l'université Paris-Saclay et l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), dans un état de l'art (2) réalisé en mars 2023.

Cela étant, « nous ne disposons actuellement que de données insuffisantes pour une évaluation correcte des risques associés à l'utilisation de ces composés, remarque le chercheur spécialisé en écotoxicologie des sols. Il reste difficile de synthétiser des résultats obtenus dans des conditions expérimentales variées ». Même constat en janvier 2024, dans un article d'opinion (3) signé par quatre chercheurs néerlandais de l'université Leiden et publié dans la revue Environmental Science & Technology. De fait, « les évaluations [menées par les fabricants de ces nanoproduits] ne considèrent souvent pas les effets entraînés par le temps d'activité et la toxicité des produits sous leur forme nanométrique en comparaison de ceux des produits d'origine qu'ils encapsulent », atteste l'un des auteurs, l'écotoxicologue Tom Nederstigt.

Or, d'après Christian Mougin, les risques ne sont pourtant ni inexistants ni anodins. « Certains nanofertilisants métalliques peuvent, par exemple, altérer le rhizomicrobiome [bactéries symbiotiques du système racinaire de certaines plantes, NDLR] ainsi que les processus de mycorrhization [association symbiotique entre champignons et racines végétales, NDLR] lors d'applications directes sur le sol. [D'autres nanoparticules] ont des effets sur la reproduction d'invertébrés du sol tels que les collemboles ou encore les annélides. Et (plusieurs) nanoparticules métalliques sont également la source de production accrue d'espèces activées de l'oxygène (ERO) chez les algues [lesquelles sont responsables d'un stress oxydant, endommageant les cellules, NDLR]. »

Bien qu'encore plus petits que les microplastiques, les nanoproduits peuvent également traverser les parois cellulaires et finir, une fois l'organisme cible ingéré, dans l'appareil digestif d'un autre (comme un insecte nuisible manger par un oiseau, ou un légume par un être humain) et remonter le reste de la chaîne alimentaire. « Les connaissances actuelles concernant les effets écotoxicologiques des nanopesticides sur les organismes non cibles (restent) limitées, notamment au regard du devenir de ces formulations dans l'environnement, indique l'écotoxicologue dans son étude. Mais des effets variables sont rapportés, essentiellement liés à l'internalisation et à la bioaccumulation possiblement accrue des nanopesticides par rapport à leurs analogues conventionnels chez les invertébrés du sol, mais également chez les organismes aquatiques. »

Un encadrement encore insuffisant

En somme, la balance bénéfice-risque reste impossible à estimer. « Surtout que l'utilisation de tels nanoproduits présente forcément des difficultés techniques et un coût économique significatif », remarque Christian Mougin, en écho aux enjeux économiques entourant les nanomédicaments, employés notamment pour traiter certains cancers. Prudente, l'association Générations futures invoque le principe de précaution. « Il nous faut avant tout assurer le plus de transparence possible, en rendant obligatoire l'étiquetage des pesticides employés sous forme nanométrique et en leur appliquant une méthode d'évaluation spécifique », réclame la toxicologue Pauline Cervan, chargée de mission scientifique et réglementaire pour l'ONG. « Il est nécessaire de développer les recherches pour comprendre les effets de ces nanofertilisants et nanopesticides au niveau des écosystèmes, mais également pour connaître les teneurs en résidus dans les matières premières qui serviront à l'élaboration de l'alimentation animale et humaine avec des conséquences sur la santé globale », abonde le chercheur. D'autant, atteste ce dernier, qu'un examen de l'exposition des sols a posteriori risquerait d'être particulièrement ardu. « Un métal peut s'extraire facilement du sol et être dosé, mais pour des composés organiques nanométriques, plus fragiles, nous sommes obligés d'utiliser des méthodes beaucoup moins garanties. »

Face à ce premier « gros warning », Charlotte Grastilleur affirme que l'Anses y travaille. « Un laboratoire a récemment été mandaté en interne pour examiner des échantillons de nanoproduits et ainsi avoir une idée de leur nature, de leur utilisation possible et des risques qu'ils présentent spécifiquement sous cette forme. En fonction de ses conclusions, l'Anses prendra ou non les mesures pour revoir ses méthodes d'évaluation et d'autorisation en la matière. »

Et jusqu'à présent, la règlementation reste très maigre. Le règlement européen relatif à l'étiquetage des produits biocides, en vigueur depuis 2013, ne fait pas de distinction entre les formes conventionnelles ou nanométriques de ces produits. Ni le règlement sur l'utilisation des pesticides (SUR), finalement abandonné par la Commission européenne, ni la proposition de directive sur la protection des sols, encore en attente d'être discutée en trilogue, n'abordent le sujet. Seuls deux règlements d'exécution datés de 2017 encadrent l'utilisation d'un métalloïde en tant que produit phytosanitaire, le SiO2. Tandis que le TiO2 a été interdit en tant qu'additif alimentaire exclusivement (sous l'appelation E171) à l'échelle européenne en 2022. La Commission européenne a entamé des réflexions pour réviser la définition des nanomatériaux fabriqués pour les denrées alimentaires, à l'image du TiO2. Seul un document d'orientation (publié une première fois en 2018, puis mis à jour en 2021) a été produit par l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) sur l'impact potentiel des nanomatériaux dans la chaîne alimentaire. L'Anses a, quant à elle, formulé une méthode d'évaluation des nanomatériaux, au sens large, en 2022. Or, conclut Christian Mougin, « c'est difficile pour la recherche scientifique indépendante de lancer des expérimentations et des études sans connaissances et ressources suffisantes, d'autant que la maîtrise des nanotechnologies n'est pas à la portée de tous. Mais tant que la réglementation n'est pas contraignante, rien n'avancera ».

1. Consulter l'étude américaine
https://www.nature.com/articles/s41565-022-01082-8
2. Accéder à l'étude de Christian Mougin
https://hal.inrae.fr/hal-03622284v1/
3. Accéder à l'article
https://pubs.acs.org/doi/10.1021/acs.est.3c10207

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