C'est un sévère réquisitoire que dresse le Cese contre le défaut de mise en œuvre de la loi de reconquête de la biodiversité de 2016. Si les apports du texte sont réels, le vivant continue malgré tout de s'effondrer.
Allain-Bougrain-Dubourg ne mâche pas ses mots. « Quatre ans après la publication de la loi, c'est un échec total ou quasiment. Un déclin comme jamais on n'a vu. D'abord, il n'y a pas de reconquête, ensuite on n'a pas stabilisé le déclin et, enfin, on assiste toujours à une hémorragie du vivant », tempête le président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).
Figure tutélaire de la protection de la nature en France, Allain Bougrain-Dubourg a rapporté avec Pascal Férey, secrétaire adjoint de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), l'avis du Conseil économique, social et environnemental (Cese) sur le bilan de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages promulguée en 2016. Cet avis a été adopté par 149 voix (2 contre et 10 abstentions) lors de la séance plénière du 23 septembre.
Cela nous conduit à une véritable catastrophe en termes de disparition du foncier, agricole en l'occurrence.
Objectif d'absence de perte nette de biodiversité
La loi était ambitieuse. Elle a consacré « de grands principes comme l'absence de perte nette de biodiversité, la solidarité écologique, l'utilisation durable, la non-régression environnementale, qui viennent enrichir le droit de l'environnement », constate le Cese. Elle a renforcé certains outils comme la séquence « éviter-réduire-compenser », instituée par la loi de protection de la nature de 1976. Elle en a créé d'autres comme l'obligation réelle environnementale et le partage juste et équitable des avantages découlant de l'utilisation des ressources génétiques (dispositif APA). Elle a aussi rénové la gouvernance de la biodiversité par la création de l'Agence française pour la biodiversité (AFB), qui allait devenir l'Office français de la biodiversité (OFB) après sa fusion avec l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) le 1er janvier 2020.
Mais, sur le terrain, l'état de la nature a continué de se dégrader. Au plan international, l'IPBES a montré dans son évaluation de l'état mondial de biodiversité de mai 2019 qu'un million d'espèces étaient menacées d'extinction. Le dernier rapport Planète vivante du WWF, publié le 10 septembre, rapporte, quant à lui, que les populations de vertébrés ont chuté de 68 % entre 1970 et 2016. Au plan national, « seulement 20 % des écosystèmes remarquables sont dans un état de conservation favorable, 60 000 hectares sont artificialisés chaque année en métropole, 23 % des oiseaux communs « spécialistes » ont disparu de métropole », selon les chiffres de l'Observatoire national de la biodiversité.
« On connaît les causes », rappelle Allain Bougrain-Dubourg : l'agriculture intensive « avec son cortège chimique », l'artificialisation des sols, l'assèchement des zones humides, les espèces invasives et le dérèglement climatique.
Rendre effective la séquence ERC
Pour donner son plein effet à une loi dont les outils sont demeurés « largement virtuels », le Cese formule une série de préconisations. Il s'agit tout d'abord de rendre effective la séquence ERC, qui reste toujours « négligée, mal appliquée, mal contrôlée ». « Ce qui nous conduit à une véritable catastrophe en termes de disparition du foncier, agricole en l'occurrence », fustige Pascal Férey. Pour y remédier, les rapporteurs appellent à favoriser l'évitement, en intégrant davantage cette étape dans les plans et programmes (Scot, PLUi, PLU, etc.), à renforcer l'expertise environnementale des bureaux d'études, de même que les moyens des services de l'État pour assurer le contrôle de la séquence.
Le Palais d'Iéna propose ensuite d'agir au plan réglementaire et fiscal pour lutter contre l'artificialisation des sols. « L'artificialisation, cause majeure de l'érosion de la biodiversité, reste imparfaitement définie et non maîtrisée », estiment les rapporteurs. Au plan réglementaire, ces derniers proposent d'exclure les parcs urbains de la définition des espaces artificialisés, ce qui permettrait de prendre en compte les constructions dans ces derniers. Ils demandent également de mettre en place des documents de planification plus contraignants à l'échelon supra-communal. Au plan fiscal, ils suggèrent de faire varier le taux de la taxe communale selon les secteurs et d'alléger la fiscalité sur le non-bâti.
Financer la protection de la biodiversité dans les territoires
Concernant le mécanisme d'accès aux ressources génétiques et de partage des avantages (APA), « moins de 300 autorisations ont été utilisées depuis 2017 », déplore Pascal Férey. Le Cese préconise de développer le dispositif, qui résulte d'un engagement international au titre de la Convention sur la diversité biologique, afin « de financer la protection de la biodiversité dans les territoires » dont sont issues ces ressources. Pour cela, la publication de tous les textes d'application de la loi s'impose. Il manque en effet deux ordonnances et deux décrets permettant de mettre en place les régimes spécifiques d'APA pour certaines espèces.
Plusieurs préconisations visent l'agriculture, faisant appel à des dispositifs non contraignants pour les exploitants français. Parmi celles-ci : accompagner les agriculteurs réduisant l'usage des pesticides, appliquer l'interdiction de vente de produits agricoles ayant reçu un traitement non autorisé par la réglementation européenne, développer les paiements pour services environnementaux, ou encore favoriser la création d'infrastructures agro-écologiques afin d'atteindre 10 % de la surface totale des exploitations agricoles.
Les rapporteurs pointent également « les carences particulièrement préoccupantes dans les outre-mer résultant notamment d'un manque criant de moyens ». D'où la demande d'une augmentation significative des moyens humains et financiers « pour la protection des mangroves et des récifs coralliens ». Les membres du Cese réclament également la mise en œuvre de l'expérimentation, prévue par la loi, d'un réseau d'aires protégées s'inspirant du réseau Natura 2000.
« Enfin, la gouvernance est perfectible à tous les niveaux », estime le Cese, qu'il s'agisse de la pérennité des moyens alloués à l'OFB, des moyens et du rôle des agences de l'eau, du retard dans la création des agences régionales de la biodiversité ou du partage des compétences entre collectivités territoriales.
« La biodiversité est beaucoup plus complexe que le climat : pour le climat, chacun peut agir, pour la biodiversité, c'est un changement de paradigme qui s'impose. Et le citoyen est bien démuni. Donc je renvoie très clairement la responsabilité à l'exécutif. Aujourd'hui, il s'agit d'avoir de l'énergie, de la détermination et beaucoup de courage », interpelle Allain Bougrain-Dubourg.
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Loi du 10/07/1976 (76-629) Loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature S'abonner à EnviroveilleEn savoir plus
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